STRATEGIE. Le casse-tête stratégique des menaces « hybrides »    

Posté le dimanche 14 novembre 2021
STRATEGIE. Le casse-tête stratégique des menaces « hybrides »      

La Pologne a qualifié « d’attaque hybride » la crise migratoire. Mais le concept militaire demeure ambigu.

Dans les états-majors militaires, on surveillait le cyber, la désinformation ou encore la prédation économique, comme autant de nouveaux terrains de conflits dits « hybrides ». On regardait aussi la manipulation des flux migratoires à des fins de déstabilisation. « Elle peut être très efficace », confiait un haut gradé il y a quelques mois. L’exemple turc et le spectre d’une nouvelle crise comme celle de 2015 était en tête. Le coup est finalement venu de Biélorussie, qui laisse s’amasser à sa frontière avec l’Union européenne des centaines de migrants.

Vendredi, l’Otan a condamné les « actions hybrides » de la Biélorussie qui instrumentalise des « flux d’immigration irrégulière ». Quelques jours auparavant, le gouvernement polonais avait qualifié la crise « d’attaque hybride ». Le terme a été repris par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Les mots sont posés. Mais ils contiennent leur part de piège.

Le terme d’hybridité est désormais un passage obligé de toute réflexion stratégique militaire. Ces stratégies « combinent des modes d’action militaires et non militaires, directs et indirects, réguliers ou irréguliers, souvent difficiles à attribuer, mais toujours conçus pour rester sous le seuil estimé de riposte ou de conflit ouvert », écrit le chef d’état-major des armées, le général Burkhard, dans sa « vision stratégique ». « Elles peuvent notamment chercher l’affaiblissement interne du pays ciblé en s’attaquant à sa cohésion nationale », ajoute-t-il.

Décision politique 

Si le concept semble clé, la distinction d’une guerre, d’une attaque ou d’une menace hybride demeure encore incertaine. « Il ne peut pas y avoir de lutte contre les stratégies hybrides sans identification des objectifs de l’adversaire », précisait un haut gradé il y a quelques mois. « C’est un terme qui englobe beaucoup de choses », observe Elie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité à l’Ifri. « Il est apparu il y a vingt ans dans les études stratégiques, mais son sens a tendance à fluctuer », ajoute-t-il. Le concept est finalement presque aussi ambigu que les situations qu’il veut décrire sont incertaines.

L’idée de conflits « hybrides » a été popularisée par l’institution militaire américaine à partir de 2005, en premier lieu par James Mattis, qui deviendra plus tard secrétaire de la Défense de Donald Trump. Il s’agissait alors de prendre en compte la nouvelle complexité du monde et de redéfinir la lutte contre le terrorisme. Puis le concept a servi à décrire la nouvelle stratégie russe après 2014, faite d’influence et de politiques du fait accompli.

« Dans le cas de la Biélorussie, il ne s’agit pas d’une guerre hybride mais d’une arsenalisation des politiques migratoires », souligne Elie Tenenbaum. « Du point de vue de Minsk et de Moscou, il s’agit aussi d’une réponse du berger à la bergère : pour la Russie, les premiers à avoir déployé des mesures hybrides, ce sont les Occidentaux, avec les politiques de sanctions ou le soutien à des ONG », ajoute le chercheur. Souvent citée, la doctrine Gerasimov, en Russie, ne théorise effectivement pas la guerre hybride mais se veut une réponse à la guerre « non linéaire » des Occidentaux.

Qualifier les menaces hybrides pour sortir de l’ambiguïté relève d’une décision politique. Cette incertitude rend la riposte difficile tout comme elle fait peser un risque d’escalade sur fond de malentendu. Au sein de l’Otan, une frange des pays de l’est de l’Europe milite pour que les « attaques hybrides » soient intégrées dans la liste des attaques susceptibles de déclencher une réaction collective. « L’Otan est prête, sur décision du Conseil, à aider un allié à n’importe quelle étape d’une campagne hybride menée contre lui », ont écrit les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance dans le communiqué final du dernier sommet à Bruxelles en septembre. « Dans des cas relevant de la guerre hybride, le Conseil pourrait décider d’invoquer l’article 5 du traité de Washington, comme pour une attaque armée », ajoutait-on. Les mots employés sont importants.

 

Auteur : Nicolas BAROTTE
Source : Le Figaro
Date : 13 novembre 2021

 
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Source : www.asafrance.fr