STRATEGIE : Le cavalier seul de la coalition allemande

Posté le samedi 27 novembre 2021
STRATEGIE : Le cavalier seul de la coalition allemande

En Allemagne, le contrat de coalition gouvernemental entre les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux (FDP), vainqueurs des élections le 26 septembre dernier a été signé le 24 novembre (1) – en respectant, plus rapidement que prévu, une tradition qui remonte à 1961.

« C'est finalement le scénario que la France et, derrière elle l'Europe du Sud, craignaient le plus qui est en passe de se réaliser » écrit Ninon Renaud pour les Echos, allant droit à l’essentiel : en effet, c’est « le président des libéraux allemand », Christian Lindner (FDP), qui « va hériter du ministère des Finances. Une gageure pour le couple franco-allemand tant ses convictions sont éloignées de celles de Paris en matière de politique budgétaire. La marge de compromis s'annonce ténue » (2). L’homme, bientôt 43 ans, n’a jamais occupé de fonction ministérielle fédérale. Il a pour objectif de « servir le pays » en revenant à l’équilibre des comptes – et il n’est pas connu pour ses convictions européistes. Une mauvaise nouvelle pour Emmanuel Macron et les pays du sud qui espéraient un second plan de relance. « Récemment, il martelait le mot «Stabilität» dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung. Pas de quoi rassurer Emmanuel Macron, dont le parti siège pourtant avec le FDP au sein du groupe Renew au Parlement européen » relève le Figaro (3). D’ailleurs, le contrat de coalition le précise : « Nous limiterons à partir de 2023 l'endettement à ce que permet le frein constitutionnel ». Pour rappel, 60% des citoyens de la zone euro (dont la France et son « quoiqu’il en coûte ») vivent avec un ratio dette/PIB supérieur à 100%. Pour eux, la fête est finie.

Sauf en ce qui concerne le climat. Toute la première partie du contrat lui est consacrée (ainsi qu’au numérique). Les Verts ont négocié un ministère large (économie et environnement) qui reviendrait à un des leurs, Robert Habeck – après, selon la presse allemande, un bras de fer avec Christian Lindner qui avait menacé le revendiquer le ministère pour lui-même. Docteur en économie, charismatique, l’intellectuel de 52 ans se veut réaliste : « Il nous faut concilier la prospérité du pays et la protection du climat ». Et dans ce domaine, il faudra investir. Largement. En effet, résume l’Opinion (4), « les mesures listées dans le contrat de coalition permettent de dépasser l’objectif de réduction des émissions de CO2 (-65% d’ici 2030). Pour y parvenir, l’Allemagne doit décupler la production d'énergie renouvelable. L’objectif est fixé à 80 % d'électricité verte en 2030, contre 65 % dans les plans actuels. 2 % du territoire doit être consacré à l'énergie éolienne, les toits se couvrir de panneaux solaires. La durée des procédures d’autorisation, un des freins actuels, divisé par deux. 15 millions de voitures électriques devront circuler outre-Rhin à la fin de la décennie. La coalition veut devenir un marché majeur pour l’hydrogène et suggère la création d’une UE de l’hydrogène vert. La sortie du charbon sera anticipée de 2038 à 2030, ‘‘dans l’idéal’’ ».

Quant au nucléaire ? Il n’est pas question de revenir son abandon – décision prise par Angela Merkel sans consultation de ses partenaires, il y a dix ans, après Fukushima (rappelons que les plus de 20 000 morts et 2 500 disparus sont dus au seul tsunami (5). Ce n’est pas le nucléaire qui a tué, les choses sont clairement établies aujourd’hui). Des 17 centrales alors en fonctionnement en Allemagne, il en reste six – plus aucune ne devrait encore fonctionner en 2022. Ce qui a eu pour résultat l’augmentation de l’exploitation du charbon, pollueur en chef y compris pour les voisins du pays. Sachant que 44% de l’électricité allemande proviennent des énergies fossiles, dont le charbon et le gaz, d’où l’importance de Nord Stream I et II. Sur le sujet du nucléaire, l’Allemagne et la France ont des positions diamétralement opposées. Et Berlin milite à Bruxelles pour que les centrales françaises (comme celles des 13 autres pays européens qui en possèdent) ne soient pas classées en technologie verte. La Commission temporise. Mais il lui faudra choisir : les préférences des investisseurs en dépendent. Et le 22 octobre, à l’issue d’un Conseil européen, la présidente de la Commission tweetait : « Nous avons besoin de sources stables, comme le nucléaire, et pendant la transition, le gaz ». A suivre.

Autre grand chapitre, l’Union européenne (p. 130 du contrat de coalition « Responsabilité de l’Allemagne pour l’Europe et pour le monde »). Le Monde y voit « des motifs d’espérer une plus grande ouverture du futur gouvernement allemand, soucieux de confirmer son solide ancrage européen » (6). Effectivement nous lisons dans le contrat de coalition : « Les bouleversements auxquels l'Allemagne est confrontée ne peuvent pas être maîtrisés uniquement au niveau national. Nous agissons dans l'optique européenne, dans le cadre du projet historique de paix et de liberté de l'Union européenne ». Nous sommes très près du projet transpartisan du Conseil allemand des relations extérieures (DGAP), intitulé « Smart Sovereignty » - souveraineté intelligente, travaillé pendant presque un an aussi bien par des politiques de la CDU/CSU, du SPD et de l'Alliance 90/Les Verts que par les universitaires ou des think tanks européens et américains – nous le relevions ici (7). Que disait ce projet quant à l’UE ? « Elle est à la fois le partenariat politique le plus proche de l'Allemagne, qui accroît la puissance et la prospérité du pays, et le cadre politique de sa position géopolitique ». Elle doit donc « servir la souveraineté intérieure de l’Allemagne ».

Et ici, en matière de souveraineté, nous nageons en pleine ambiguïté.

Dans le contrat de coalition, il s’agit par deux fois de « souveraineté stratégique européenne ». Une notion différente de ce que promeut Emmanuel Macron, qui, s’il salue « l’engagement » de la coalition pour la « souveraineté européenne » (8) ne relève pas qu’il n’évoque pas la même chose. Lui parle d’autonomie stratégique européenne - concept dont il reconnaissait la limite dans un entretien fleuve donné à The Conversation le 16 novembre 2020 (9) : « Peut-on aller jusqu’à parler de souveraineté européenne, comme je l’ai fait moi-même ? C’est un terme qui est un peu excessif, je le concède, parce que s’il y avait une souveraineté européenne, il y aurait un pouvoir politique européen pleinement installé. Nous n’y sommes pas encore ». Pas encore ? Rappelons que pour l’Allemagne, affirmée par sa Cour de Karlsruhe dès 2009, la souveraineté appartient aux peuples respectifs de chacun des pays membres : « les peuples de l’Union européenne, qui sont constitués dans leurs Etats-membres (respectifs), restent les détenteurs de l’autorité publique, y compris de l’autorité de l’Union ». Et encore : « La responsabilité de l’intégration européenne est en premier lieu entre les mains des corps constitutionnels nationaux (qui agissent) au nom des peuples (…). L’Union européenne continue à constituer une union autour de règles (Herrschaftsverband) fondées sur le droit international, une union qui repose en permanence sur la volonté de ses Etats membres souverains ».  

Encore cette « souveraineté stratégique européenne » ne concerne-t-elle que les domaines de l’énergie, de la santé, des matières premières et du numérique. Pas celui de la Défense – l’Allemagne ne s’engage que pour le maintien de la paix. L’OTAN reste le « pilier central » de la sécurité allemande. Une orientation saluée par Washington qui « prédit des relations incroyablement étroites » avec Berlin (10). Et, cerise sur le gâteau pour les exportations françaises, Laurent Lagneau, pour Opex360, relève que « la prochaine coalition allemande a l’intention de durcir les règles en matière d’exportation d’équipements militaires… Y compris au niveau de l’UE, en cherchant à y associer les États membres ». Ajoutant : « S’agissant des équipements, l’accord gouvernemental parle de ‘‘renforcer la coopération dans le domaine des technologies de défense en Europe, en particulier avec des projets de haute qualité, en prenant en compte les technologies clés nationales et en permettant aux petites et moyennes entreprises d’y participer’’. On n’y trouve aucun mot sur les programmes actuellement menés en partenariat avec la France, comme le Système de combat aérien du futur (SCAF) ou le char de combat du futur (MGCS – Main Ground Combat System), qui sont pourtant structurants » (11).

D’autres prises de position vont compliquer la vie de la France comme de l’UE, et pas des moindres : la coalition s’affirme clairement comme « pays d’immigration moderne », un « statut désormais complètement assumé du fait du vieillissement de la population qui menace le pays d'une crise de compétences » (12). Une décision qui suppose une modification des accords de Schengen ?

L’Allemagne est un pays souverain qui choisit légitimement son futur dans une Union qui la sert. Bien sûr, le pacte de coalition n’est pas inscrit dans le marbre. Mais pour ce que nous en voyons, Berlin fait en réalité, en toute souveraineté, cavalier seul.

 

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène

 

Infographies :

Résultats de l’élection du 26 septembre avec variations par rapport à 2017 (source : The Financial Times)
https://thenextrecession.files.wordpress.com/2021/09/g1.png

Répartition des ministères dans le futur gouvernement d’Olaf Scholz (en allemand)
(Aussen = affaires étrangères. Inner = Intérieur. Gesunheit = santé. Verkehr = transports. Verteidigung = Défense. Entwicklung = développement. Umwelt = Environnement. Landwirtschaft = Agriculture. Bildung und Forschung = Education et recherche).
https://pbs.twimg.com/media/FE9tnrLXEAAPbPi?format=jpg&name=small

Notes :

(1) Contrat de coalition 2021 - 2025 entre le parti social-démocrate allemand (SPD), Les Verts et les Libéraux (FDP) (en allemand seulement)
https://fragdenstaat.de/dokumente/142083-koalitionsvertrag-2021-2025/

 (2) Les Echos, le 24 novembre 2021, Ninon Renaud, Allemagne : faut-il avoir peur de Christian Lindner ?
https://www.lesechos.fr/monde/europe/allemagne-faut-il-avoir-peur-de-christian-lindner-1366643

 (3) Le Figaro, le 24 novembre 2021, David Philippot, Allemagne: Christian Lindner, un faucon fiscal aux Finances
https://www.lefigaro.fr/international/allemagne-christian-lindner-un-faucon-fiscal-aux-finances-20211124 

 (4) L’Opinion, le 25 novembre 2021, Luc André, Ce que va faire la coalition à la tête de l'Allemagne
https://www.lopinion.fr/international/ce-que-va-faire-la-coalition-a-la-tete-de-lallemagne 

(5) Le Point, le 10 mars 2021, Géraldine Woessner, Zéro mort, aucun cancer : le vrai bilan de l’accident nucléaire de Fukushima
https://www.lepoint.fr/monde/zero-mort-aucun-cancer-le-vrai-bilan-de-l-accident-nucleaire-de-fukushima-10-03-2021-2417139_24.php 

(6) Le Monde, le 26 novembre 2021, Editorial, En Allemagne, un contrat de coalition pro-européen
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/26/en-allemagne-un-contrat-de-coalition-pro-europeen_6103689_3232.html 

(7) Voir Léosthène n° 1592/2021 du 29 septembre 2021, Après les élections, l’Allemagne au futur

(8) FranceInfo/AFP, le 25 novembre 2021, Allemagne : la France salue "l'engagement" pour la "souveraineté européenne" du nouveau gouvernement
https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/coalition-allemande-paris-salue-l-engagement-pour-la-souverainete-europeenne-du-nouveau-gouvernement_4858757.html 

 (9) The Conversation, le 16 novembre 2020, Claudia Imbert, Entretien avec le Président français Emmanuel Macron
https://legrandcontinent.eu/fr/2020/11/16/macron/

(10) Le Figaro/AFP, le 24 novembre 2021, Washington prédit des relations «incroyablement étroites» avec le nouveau gouvernement allemand
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/washington-predit-des-relations-incroyablement-etroites-avec-le-nouveau-gouvernement-allemand-20211124 

(11) Opex360, le 24 novembre 2021, Laurent Lagneau, L'accord de la future coalition allemande n'est pas très encourageant pour les projets d'armement menés avec la France
http://www.opex360.com/2021/11/24/laccord-de-la-future-coalition-allemande-nest-pas-tres-encourageant-pour-les-projets-darmement-menes-avec-la-france/

(12) Les Echos, le 25 novembre 2021, Ninon Renaud, La nouvelle coalition allemande veut assumer le statut de pays d'immigration
https://www.lesechos.fr/monde/europe/la-nouvelle-coalition-allemande-veut-assumer-le-statut-de-pays-dimmigration-1367044

 

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Source : www.asafrance.fr