TECHNOLOGIE : De la chasse aux sous-marins à la quête des « océans transparents »

Posté le samedi 16 octobre 2021
TECHNOLOGIE : De la chasse aux sous-marins à la quête des « océans transparents »

Les sous-marins naviguent dans l’ombre, protégés par l’obscurité marine. C’est leur force. Les SNLE, qui assurent la mission de dissuasion, patrouillent prêts à frapper en retour si une guerre nucléaire était déclenchée tant qu’ils sont indétectables. Les sous-marins d’attaque, eux, avancent avec discrétion vers leurs cibles, pour des missions de combat ou de renseignement. Théoriquement, ils sont censés en temps de paix signaler leur présence quand ils pénètrent des eaux territoriales… Une obligation aisément contournée puisque personne ne les voit. Alors les sous-mariniers ont une angoisse : que les océans deviennent un jour transparents grâce au progrès technologiques. Repéré, un sous-marin devient immédiatement vulnérable.

« Cela fait quarante ans qu’on en parle, mais les océans ne sont toujours pas transparents », observe un haut gradé de la marine. Les grandes nations maritimes mènent néanmoins des recherches… « Nous avons en permanence une veille stratégique pour savoir si les technologies en vue sont fiables ou opérationnelles », concède le même officier.

« Nos analyses montrent que les océans seront susceptibles, dans la plupart des cas, de devenir transparents d’ici les années 2050 », écrivent les auteurs d’une note publiée en 2020 par le National Security College de l’université nationale australienne (ANU). « Cela signifie que, malgré les progrès des technologies de contre-détection, les sous-marins pourront être détectés dans les océans du monde entier en raison de l’évolution de la science et de la technologie », ajoutent-ils. Tous les programmes de construction de sous-marins, qui s’étalent sur plusieurs décennies, seraient remis en cause par cette rupture. Les marines y réfléchissent. D’ailleurs le programme français de SNLE de 3e génération s’intitulait initialement « Futur moyen océanique de dissuasion ». La marine avait imaginé se passer du format d’un sous-marin traditionnel.

Pour l’heure, la détection sous-marine s’appuie sur des capacités de sonar actif ou passif. Le sonar actif permet d’émettre des ondes qui se réfléchissent sur les objets sous l’eau, ainsi détectés. Les sonars passifs se contentent d’écouter le bruit de la mer. L’un et l’autre peuvent être largués en mer depuis un avion. Les ATL2 de la marine sont spécialisés dans la détection de sous-marins. Certains de ces avions sont aussi dotés d’une antenne de détection magnétique capable de repérer des masses métalliques sous l’eau… à condition d’avoir repéré leur cible et de voler à sa verticale.

Dans le jeu du chat et de la souris, l’avantage va aujourd’hui aux sous-marins. Le milieu aide énormément : la profondeur, la température, la salinité de l’eau, tout comme les courants marins influent sur la propagation des ondes. Des facteurs conjoncturels, comme une tempête, perturbent aussi l’équation. Sous l’eau, les ondes sonars se déplacent en lignes courbes de façon variable. À cause de ces ondulations, « on peut entendre quelque chose à 1 km, puis à plusieurs dizaines de kilomètres ; entre, c’est la cuvette de non-détection », poursuit l’officier supérieur. La performance est aussi dépendante du bruit ambiant. Dans les zones à fort trafic maritime, distinguer le passage d’un sous-marin demandera une expertise poussée. L’intelligence artificielle y aidera peut-être.

Pour entendre plus loin, la marine explore les basses fréquences. « Mais pour entendre des sons plus graves il faut des antennes plus grandes », dit-on. Celles sur les flancs du sous-marin Suffren font une dizaine de mètres. Pour mieux se dissimuler, les sous-marins émettent de leur côté des sons qui masquent le leur.

Les recherches militaires tentent de contourner le défi acoustique en faisant appel à d’autres moyens de détection. La détection des radiations nucléaires offre une maigre perspective, l’eau étant un isolant naturel. Les déformations provoquées par le déplacement d’un sous-marin sous l’eau semblent impossibles à percevoir. La Chine communique de son côté sur un laser de détection sous-marine qui pourrait être embarqué dans un avion, un hélicoptère, voire, dans l’hypothèse la plus folle, par un satellite. La réalité de la performance est à prendre avec précaution tout comme la profondeur pénétrée. Et encore faut-il savoir où pointer le laser.

La chasse aux sous-marins est un sport d’élite qui doit combiner toutes les techniques disponibles. Mais la surveillance de zones critiques est une perspective crédible. Avec le système Sosus, les États-Unis ont déjà développé un réseau de surveillance sous-marine durant la guerre froide pour guetter l’arc du Groenland à la Norvège, par où transitent les sous-marins russes. Russes et Chinois sont suspectés de faire de même dans leurs zones. La détection peut aussi s’appuyer sur le réseau des câbles sous-marins. La déformation de la fibre optique, sous la pression de l’eau liée au déplacement d’un bâtiment, permet théoriquement de repérer des objets. Mais la technologie est ­balbutiante.

Une dernière piste, de quasi-science-fiction, préoccupe enfin les ingénieurs de l’armée : la physique quantique. Deux particules quantiques « intriquées » partagent en effet des caractéristiques quelle que soit la distance qui les sépare. Or leur état peut être affecté par la présence d’objets massifs et non par leur bruit. Adaptée à la chasse aux sous-marins, la technologie quantique offre une nouvelle promesse. Mais à un horizon ­inconnu.

Nicolas BAROTTE
Source : Le Figaro
Date : 16 octobre 2021

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Source : www.asafrance.fr