UKRAINE. Câbles sous-marins : la Russie peut-elle couper l'Europe du reste du monde ?

Posté le mardi 15 mars 2022
UKRAINE. Câbles sous-marins : la Russie peut-elle couper l'Europe du reste du monde ?

C'est un angle mort du conflit actuel que la Russie mène contre l'Ukraine. Et sans doute le plus mondial qui soit: en sectionnant les gigantesques câbles sous-marins qui traversent l'Atlantique, Moscou pourrait causer des dommages importants, durables et profonds à l'économie mondiale.

L'internet « sans fil » n'existe pas, du moins pas au niveau de la planète. Et le scénario d'une rupture de précieux câbles de fibre optique sous-marins est pris très au sérieux par les autorités, qui redoutent des conséquences incommensurables en cas d'attaque intentionnelle. A savoir, la section de ces « tuyaux » par un pays belliqueux - en l'occurrence la Russie, dans le contexte actuel.

 

Plus de 1,2 million de kilomètres de câbles

Les enjeux sont gigantesques : 1,2 million de kilomètres de câbles, qui relient entre eux pays et continents à travers toute la planète, assurent la connexion internet du monde entier. Avec, par exemple, pas moins de 10 000 milliards de dollars de transactions... chaque jour. 

C’est d'ailleurs le cas du principal système d’échanges de la finance mondiale, baptisé Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications) - dont de nombreuses banques russes viennent d'être exclues.

De l'argent, mais aussi et surtout des données : militaires, sanitaires, personnelles... près de 99% du trafic internet mondial transite par ces câbles.


Un réseau gigantesque et indispensable

Pourrait-on vivre sans internet ? Le danger ne viendrait évidemment pas de l'arrêt de Facebook ou de Netflix. Mais depuis plus de 20 ans, le réseau assure la quasi-totalité du fonctionnement d'une économie mondialisée.

Il s'agit de câbles « aussi importants que le gaz ou les oléoducs », selon le Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).


Le diamètre d'un tuyau d'arrosage

Concrètement, ces « tuyaux » courent au fond de l'Atlantique, entre le continent américain et l'Europe, notamment. Par plusieurs milliers de mètres de fond, le plus souvent. Et là, ils ne sont pas plus épais qu'un tuyau d'arrosage.

Un expert en cybersécurité, qui souhaite conserver l'anonymat, est formel: selon lui, aucun autre pays que les Etats-Unis et la Russie n'ont la capacité d'intervenir dans de telles conditions et de sectionner les câbles.

Causant ainsi une panne dont les effets, en cascade, seraient dévastateurs: " La perturbation, par des coupures de câbles ou leur destruction, fracturerait immédiatement et de façon catastrophique à la fois le commerce international et tout usage d'internet

Le maréchal Peach, alors président du comité militaire de l’Otan, en 2017


Dommages en cascade irrémédiables

Avec des dommages souvent irrémédiables : impossible de réparer de telles pannes, par 3000 mètres de fond. Seule solution : il faudrait redéployer de nouveaux câbles, ce qui prendrait du temps. En témoigne l'incident survenu au Vietnam en 2007 : des pêcheurs avaient coupé des câbles pour en récupérer les matériaux. Le pays avait perdu 90% de ses connexions avec le reste du monde pendant trois semaines... Et encore s'agissait-il là d'un incident isolé, pas motivé par cet objectif: au fond de l'Atlantique, entre deux continents, il en irait tout autrement.

Il existe bien un réseau dit « de secours » - qui emprunte un chemin différent des câbles principaux afin de pallier à une éventuelle panne. Mais avec une capacité réduite, et des communications alors dégradées.


Des solutions de secours largement insuffisantes

Surtout, dans le cas d'un cisaillement intentionnel, ce réseau secondaire pourrait lui aussi être ciblé, simultanément.

Quant aux satellites, aptes à procurer une connexion internet, ils se révéleraient très largement insuffisant pour compenser une telle perte de connectivité.

Entre l'Amérique du Nord et l'Europe, les enjeux se situent en particulier au niveau de deux « noeuds » : le premier se trouve au large de la Bretagne, le second au sud de l'Irlande.


Les mystérieuses manœuvres d'un navire russe

Or ces derniers mois, un navire océanographique russe, le Yantar, a été repéré à proximité. Navire qui a fait plonger un mini sous-marin au niveau des câbles qui relient l'Irlande aux Etats-Unis, par 6000 mètres de fond...

Même scénario en février, juste avant l'offensive sur l'Ukraine: c'est cette fois au sud-ouest de l'Irlande que le manège a été repéré, au niveau des câbles des armées de l'Otan. 

En 2014, la Russie avait d'ailleurs déjà coupé les câbles ukrainiens, en pleine crise sur la Crimée.

Qualifié de « vaisseau espion », voire de « bateau coupeur de câbles », le Yantar fait depuis l'objet d'une intense surveillance des spécialistes comme des autorités.

 

Le renseignement sur les dents

D'autant que dans l'extrême nord de la mer de Barents, en Norvège, un câble - d'importance mineure pour le monde, mais primordial pour le pays - a été sectionné à l'automne dernier: le mystère reste entier quant à l'auteur du sabotage, mais le renseignement du pays est depuis sur les dents.

C'est évidemment au niveau de leurs points d'entrée et de sortie, sur la terre ferme, que les câbles sont les plus faciles à atteindre... à condition d'y être autorisé : les installations sont très surveillées. Il semble inimaginable, en temps de guerre, qu'un pays étranger parviennent à y accéder.


Impunité totale en haute mer

En revanche, la Russie ou tout autre pays pourrait œuvrer en pleine mer en toute impunité : « Sur le plan du droit international, les belligérants ont une totale liberté d'action en haute mer », résume Camille Morel, chercheuse à l'IESD de l'université Lyon-3, dans le Canard enchaîné. 


La France en première ligne

En clair : trouver et saboter un câble sous-marin dans les eaux internationales serait, vu les conséquences, sans aucun doute perçu comme un acte de guerre, mais ne constituerait même pas une infraction. 

Quand bien même le ou les auteurs des faits seraient identifiés et/ou retrouvés... 

La France, d'où partent l'essentiel des câbles reliant l'Europe à l'Amérique du Nord, a décidé en février d'un sérieux coup d'accélérateur en la matière, avec une force de surveillance accrue et, surtout, le déploiement de 150 militaires spécialisés pour réagir au mieux et au plus vite en cas d'attaque des précieux câbles sous-marins. 


Aucun pays n'est suffisamment armé

Des centaines d'accidents mineurs se sont déjà produits, généralement causés par des bateaux de pêche qui traînent leurs ancres sur les fonds marins.

Reste qu'aucun pays n'est à ce jour préparé en cas d'attaque intentionnelle, a fortiori en de multiples points : ni la France, ni le Royaume-Uni, ni même les Etats-Unis ne disposeraient, alors, de moyens suffisants pour faire rapidement face aux conséquences, rappelle Serge BESANGER, professeur à l’ESCE International Business School, dans The Conversation.  

 

Pour visionner l'animation, cliquez sur le visuel ci-dessous compte youtubeèesri cables marins

Titre : Animated Maps: Submarine Cables
Réalisée par : ESRI
Date :  09 novembre 2019
Durée : 00:01:25
Publiée sur le compte YouTube de l'ESRI

Joël CARASSIO
11/03/2022
Le Journal de Saône-et-Loire

Source photo : Capture écran -Animation ESRI


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Source : www.asafrance.fr