UKRAINE. La Chine et la Russie : Une alliance ambiguë…

Posté le mercredi 16 mars 2022
UKRAINE. La Chine et la Russie : Une alliance ambiguë…

La Chine et la Russie.
Une alliance ambiguë, confortée par la défiance commune à l’Amérique et à l’Occident.

Alors que l’intervention en Ukraine de Vladimir Poutine le « vieil ami – 老朋友 – lao pengyou - », (qui n’est pas faut-il le rappeler Boris Eltsine qui signa les accords) met, quoi qu’en dise le Parti communiste chinois l’alliance sino-russe sous tension, tout récemment, le Ministère des Affaires chinois a, par l’intermédiaire de son porte-parole mis les pieds dans le plat en les agitant vigoureusement.

Au passage, les médias occidentaux « mainstream » dont le principal défaut est qu’ils tirent des conclusions stéréotypées avant d’avoir pris la peine d’analyser une question, ont surévalué le terme « vieil ami », en réalité une des expressions les plus banales des relations sociales en Chine où même les inconnus sont qualifiés de « vieil ami ».

Certains commentateurs, parlèrent même « d’amitié traditionnelle » entre Pékin et Moscou alors que pendant toute la guerre froide, la relation entre les deux fut marquée par une profonde défiance et même, en mars 1969, par un conflit militaire sur l’Oussouri dont les racines sont une rivalité ancestrale non éteinte pour le contrôle de l’accès à la mer du Japon.

Celle-ci n’est en effet pas effacée. Après deux semaines d’hésitations, durant lesquelles les porte-paroles chinois refusèrent même d’utiliser le terme « d’invasion », pour caractériser l’attaque de Poutine contre l’Ukraine, le Parti Communiste chinois a, lors de la récente réunion des deux assemblées du 4 au 11 mars, clairement pris ses distances et parlé d’une conflagration guerrière.

Le mot utilisé par le ministre Wang Yi lors de sa conférence de presse du 7 mars, est sans ambiguïté.  Il parle de « - 战火 zhan huo »,  mot à mot « le feu de la guerre ». Plus encore, certains continuent à spéculer sur une proximité inflexible entre Pékin et Moscou, même après la prudence chinoise qui s’est abstenue lors du vote de l’Assemblée Générale des NU le 2 mars dernier condamnant Moscou. 

En général ceux qui n’ont pas voté la condamnation se sont réfugiés dans une posture de précaution. En Asie, rares les pays ceux qui s’y sont clairement opposés. Objectivement la posture est une précaution, en même temps qu’un message critique adressé à Washington. Elle ne vaut pas un soutien inconditionnel à Moscou.

En revanche, l’abstention de la Chine, le vieil ami de Poutine, attaché à lui par une alliance « solide comme le roc », exprimait une sérieuse contradiction.

Pour le moment cependant la cible de Pékin reste sans conteste Washington.

Le 3 mars, réagissant avec aigreur à un article du New-York Times qui spéculait sur le fait que Pékin aurait été mis au courant par Moscou de l’attaque du 24 février contre l’Ukraine, Wang Wenbin l’un des porte-parole du MAE a abondamment développé les longues racines de la crise, s’appuyant même sur les déclarations de George Frost Kennan du printemps 1998.

A l’époque âgé de 94 ans, il était l’inventeur de la politique de « Containment » destinée à endiguer l’expansion soviétique durant la guerre froide et brièvement ambassadeur à Moscou en 1951 – 1952 dont il fut chassé par Staline pour avoir déclaré qu’il se « sentait prison ». Il y a 34 ans, il s’était publiquement élevé contre l’extension de l’OTAN vers l’Est.

Son discours prémonitoire n’a pas été écouté par l’administration Clinton. « Je pense que c’est le début d’une nouvelle guerre froide. (…) Les Russes vont graduellement réagir de manière hostile, ce qui va affecter leurs politiques. Je pense que c’est une erreur tragique. » […]

Il ajoutait « Cette expansion ferait se retourner les Pères fondateurs dans leurs tombes. » […]« Notre différend pendant la guerre froide nous opposait au régime communiste soviétique. Et maintenant nous tournons le dos au peuple même qui a fait la plus grande révolution de l’histoire sans effusion de sang pour mettre fin à ce régime soviétique » (Thomas L. Friedman, « Foreign Affairs, et New-York times, mai 1998. »

Utilisant la transparence des archives de l’Occident, quand celles de la Chine sont soigneusement occultées, parfois réécrites, Wang Wenbin pointait clairement du doigt la responsabilité de Washington.

C’est de bonne guerre, d’autant que l’analyse est exacte.

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Quant à la question la plus controversée et la plus sensible de l’emploi du nucléaire sur le champ de bataille agitée par Vladimir qui vient d’entrer en Ukraine en brandissant la bombe, elle a également des racines anciennes.

Elles aussi pointent du doigt un indéniable « Hubris » de puissance de l’Amérique après la chute du mur, dont l’acmé fut exprimée par Georges W. Bush après le 11 septembre. Lui, comme d’autres pourraient prendre place dans la salle d’attente du tribunal international, pour crimes contre l’humanité.

Revenons en arrière.

 C’est en effet Georges W Bush qui, à coup de mensonges, désigna l’Irak comme son principal ennemi avant de mettre le pays à feu et à sang, entreprise irrationnelle dont, heureusement, nous nous sommes désolidarisés.

Selon l’enquête du Congrès elle-même « Senate and House Intelligence Committee » dont les conclusions furent rendues fin août 2004, les 19 terroristes qui n’avaient rien à voir avec l’Irak, étaient des membres de l'organisation Al-Qaïda dirigée par le Saoudien Oussama Ben Laden. Le 2 mai 2011, près de dix ans après le 11 septembre, Barack Obama, annonçait la mort d’Oussama Ben Laden. « Justice has been done ».

Alors que des voix d’intellectuels occidentaux utopistes, semblant vivre sur une autre planète, s’élevèrent pour s’interroger si cette déclaration n’était pas plus l’expression d’une « vengeance » que celle de « la justice », il n’est pas anodin de rappeler qu’en 2016, peu avant la fin de son mandat, Obama a ouvertement avoué que la plus grande erreur de ses mandats, fut de n’avoir pas planifié les conséquences de l’élimination de Kadhafi.

L’erreur déclencha, dit un article du Guardian du 12 avril 2016 https://www.theguardian.com/us-news/2016/apr/12/barack-obama-says-libya-was-worst-mistake-of-his-presidency ,  une « spirale de chaos qui livra le pays aux extrémistes ».

En mars 2016, Obama avait déjà vertement critiqué David Camerone et Nicolas Sarkozy pour le rôle que tous deux avaient joué dans la campagne de bombardement de la Libye. Ses plus vives critiques allèrent d’ailleurs à Sarkozy. Pour lui en effet, « Camerone s’était laissé distraire », tandis que Sarkozy « cherchait à promouvoir le rôle de la France au sein de l’alliance qui menait l’attaque. »

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Pour conclure sur la menace nucléaire agitée par Vladimir Poutine, notons qu’elle n’est pas nouvelle. Voilà au moins une quinzaine d’années que le Kremlin accumule les allusions à la pérennité des forces nucléaires stratégiques russes, qui ostensiblement, participent régulièrement à des manœuvres spécifiques, mimant la préparation opérationnelle à leur engagement.

Ces signaux étaient des réactions insistantes aux intrusions américaines dans ce que Poutine considère comme sa zone d’intérêt stratégique directe, immédiatement à l’ouest de l’ancienne URSS.

En arrière-plan « le Grand échiquier » de Brezinski, définissait une stratégie de l’Amérique inacceptable pour l’ancien kgébiste qui n’a pas manqué d’en prendre connaissance, dans le texte : « détacher de l’empire russe ce qu’on dénomme aujourd’hui à Moscou “l’étranger proche“, c’est-à-dire les États qui, autour de la Fédération de Russie constituaient l’Union soviétique. »

A cet égard, l’effort américain portait sur trois régions clefs, dont l’Ukraine. Toujours selon Brezinski : « l’Ukraine, essentielle avec 44 millions d’habi­tants et dont le renforcement de l’indépendance rejette la Russie à l’extrême est de l’Europe et la condamne à n’être plus, dans l’avenir, qu’une puissance régionale. ».

Nous voilà soudain projetés au cœur du sujet. Mais il y a plus.

Récemment la situation s’est aggravée, par un enchaînement néfaste, d’abord par le fait que l’Amérique a, hors OTAN, déployé une série de coopérations militaires sur le pourtour de la Fédération de Russie, avec plusieurs États et à leur demande.

Les nouvelles crispations guerrières renvoient aussi à la doctrine nucléaire russe d’emploi ou non en premier de l’arme nucléaire tactique.

Après l’Oukase présidentiel n°355 signé le 2 juin 2020, par Poutine, dans la droite ligne de ses démonstrations de forces citées plus haut, intitulé « Fondements de la politique d’État de la Fédération de Russie dans le domaine de la dissuasion nucléaire », la Fondation pour la Recherche Stratégique identifie à la fois des « clarifications » et quelques « ambiguïtés » dans la doctrine nucléaire russe.

 https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-de-la-dissuasion/une-doctrine-nucleaire-pour-russie-2020 .

« L’énoncé général des conditions pouvant justifier l’emploi de l’arme nucléaire est similaire à celui des doctrines militaires de 2010 et 2014 (point 17). Il cite la prédominance du “danger occidental “ » (…) « Dans l’évaluation des menaces », le document signale « la perception d’une mise en cause de la dissuasion russe par les évolutions technologiques, notamment américaines ».

D’où, la conclusion de la FRS : « les conditions déterminant la possibilité d’emploi de l’arme nucléaire » (par Moscou), sont liées à des « informations fiables sur le lancement de missiles balistiques attaquant le territoire russe ou celui de ses alliés ». 

En bref, les « ambiguïtés » russes ont surgi après la décision de Donald Trump de sortir du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (INF), évoquée pour la première fois en 2018 et arrêtée en 2019. Signé pour la première fois par Reagan et Gorbatchev en décembre 1987, le traité fut le premier et le seul accord de contrôle des armements nucléaires ayant jamais éliminé une catégorie entière de forces.  Il est cependant essentiel de préciser que la dénonciation du traité par Trump n’était pas une lubie, mais venait après des informations de la CIA selon lesquelles Moscou s’apprêtait à les violer depuis plusieurs années, notamment par l’introduction du missile de croisière « Novator 9M729 – nom OTAN SSC-8 ». D’une portée de 2500 km, il est, disent les Américains, incompatible avec le traité INF.  En riposte, début 2018, la NPR américaine (Nuclear Posture Review) qui évoquait des armes nucléaires tactiques russes, créait elle-même une incertitude dénoncée le 25 janvier 2018 lors d’une audition au congrès, par Georges Schultz, le Secrétaire d’État de Reagan.  Critiquant le texte avant sa parution officielle, Georges Schultz affirma qu’il était « alarmé » par l’idée que le Pentagone pouvait disposer de “minunukes“ et que, « d'une manière ou d'une autre, ces armes pouvaient être mises en œuvre. ». * Pour terminer ce texte trop aride par un pas de côté culturel, renvoyant à la très ancienne culture chinoise, faisons un voyage au sein de l’habitude, seconde nature  chinoise, de parler de manière sibylline par des morceaux de proverbe anciens.  Un peu comme si nous émaillons nos discours par « trop pourvu… » ou « celui qui n’a jamais pêché ... » , ou « selon que vous soyez puissant ou misérable… » et encore «  On n’est jamais mieux servi que… ».  En Chine, la référence qui convoque de vieilles légendes est encore plus opaque pour le béotien. Ainsi pour accuser les États-Unis par une allusion oblique d’avoir par leur entrisme sur l’ancien pré-carré soviétique, favorisé la guerre en Ukraine, ce qui permet d’évacuer une partie de la responsabilité de Vladimir Poutine, le porte-parole du MAE a employé la formule « Celui qui a accroché la cloche…系铃 人» Le morceau de proverbe renvoie à une vieille légende de la dynastie Song, 960 – 1279 (Constitution du Saint-Empire Romain germanique, Califat de Cordoue.). Un maître bouddhiste ayant demandé à ses moinillons comment décrocher la cloche attachée au coup du tigre, s’entendit répondre « c’est celui qui l’a accrochée qui devrait être le premier à prendre le risque ». 

En juillet 2021, le proverbe avait été cité dans un autre contexte pour forcer les groupes chinois du numérique à faire plus d’efforts pour dissiper les symptômes de dépression suicidaire de leurs personnels accablés par le surcroît de travail.

En 2014, Xi Jinping l’avait utilisé pour stigmatiser les journalistes occidentaux qui se plaignaient des délais pour obtenir des visas pour la Chine dans les consulats. Dans son esprit, s’ils souhaitaient que la procédure s’accélère, les journalistes étrangers devaient d’abord se conformer aux souhaits du Parti de ne pas exagérer les critiques de la Chine.

Par cette remarque, assimilant l’exigence de vérité journalistique occidentale, à une cloche accrochée au cou du tigre chinois, il se référait à « une caractéristiques chinoise » qui rejette la liberté de la presse.

Ainsi se dessine avec l’Iran toujours en quête de l’arme nucléaire où Pékin vient de commencer à mettre en œuvre un vaste plan d’investissements de 400 Mds de $ signé en mars 2021, une nébuleuse d’États autocrates clairement anti-occidentaux.  https://www.questionchine.net/l-iran-enjeu-historique-du-defi-chinois-a-washington

L’arrangement était attisé par de sérieux ressentiments contre Washington, quinze mois après l’assassinat à Bagdad par un tir de drone américain du général Soleimani du « corps des gardiens de la révolution islamique » et une semaine après les échauffourées verbales de la rencontre d’Anchorage avec Washington.

A cette occasion, Antony Blinken le secrétaire d’État américain s’était sérieusement écharpé avec Yang Jiechi, aujourd’hui sur la sellette avec Jake Sullivan le responsable américain des affaires stratégiques.

Au cours de leur entrevue à Rome, le 14 mars, que la Maison Blanche résume officiellement à la nécessité de maintenir ouverts les canaux de contacts pour préserver les chances de la paix, Sullivan a en réalité exprimé les craintes que Pékin apporte son soutien à Moscou pour contourner les sanctions.

Niant les accusations d’une demande d’aide de Moscou, Yang Jiechi, n°16 du Bureau Politique – honneur exceptionnel pour un diplomate -, a riposté en substance par le même discours offusqué qu’il avait tenu à Blinken à Anchorage, les 18 et 19 mars 2021. Par une intervention fleuve, il avait interpellé son vis-à-vis en lui faisant vertement savoir que le temps était révolu où Pékin se soumettait aux injonctions de Washington était terminé.

Pour autant, à l’abri des caméras, derrière le rideau, s’était dessinée une marge de manœuvre. En dépit des acrimonies de la rencontre où Blinken et Yang se sont jetés à la face de très désagréables allégations d’où était évacuée la plus élémentaire réserve diplomatique, les Américains, qualifièrent le dialogue de « substantiel », mentionnant des « secteurs d’intérêts communs » comme les questions climatiques. Mais au fond, le sujet est accessoire.

L’appréciation américaine trouva aussitôt un écho chez Yang Jiechi dont le jugement, commencé par une litote « Bien sûr il reste des différends », décrivit la rencontre, pourtant l’une des plus brutales et des plus directes dans la forme de toute l’histoire de la relation sino-américaine depuis 1979, comme « constructive, sincère et positive ».

 

Ces réalités très peu commentées, renvoient indirectement aux réflexions sur la solidité et l’équilibre des relations entre Moscou et Pékin, dont les défiances ancestrales qui ne sont pas éteintes, sont aggravées par deux constats incontournables : 1) La puissance démographique et économique chinoise est exactement dix fois celle de la Russie et 2) La priorité stratégique chinoise reste la relation avec Washington. Celle avec Moscou n’étant qu’un opportunisme tactique.

 

François Torrès
15 mars 2022

Diffusé par l'ASAF

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Source : www.asafrance.fr