Bastien Alex : « À plus de 45 °C, les hélicoptères ont des difficultés à décoller. »

Bastien Alex : « À plus de 45 °C, les hélicoptères ont des difficultés à décoller. »

dereglement climatiqueLes évolutions climatiques vont profondément affecter les missions opérationnelles des armées. Pour préparer notre outil de défense à ces bouleversements, le ministère des Armées s’est doté, en avril 2022, d’une stratégie « climat & défense ». Trois ans après la parution de ce document, Bastien Alex, conseiller climat du major général des armées, en dresse le bilan et évoque les chantiers à venir.

Vous êtes le conseiller climat du major général des armées, lui-même désigné délégué climat. Quelles sont vos missions ?

Bastien Alex : Ma mission consiste à animer et à soutenir la mise en œuvre de la stratégie « climat & défense », elle-même placée sous la responsabilité du major général des armées. Pour cela, nous travaillons à la traduction des objectifs de cette stratégie en actions concrètes avec des livrables précis, systématiquement coconstruits avec nos interlocuteurs du ministère. Nous les valorisons ensuite auprès des armées, directions et services, afin d’intégrer progressivement le changement climatique et ses conséquences sur l’ensemble de nos processus décisionnels et capacitaires.« Notre principale ligne d’effort demeure l’adaptation des forces armées au changement climatique. »

Bastien Alex

  • Conseiller climat du major général des armées

Pouvez-vous nous donner un exemple de livrable ?

La fresque « climat & défense ». Déployé à partir de juillet 2023, cet outil sensibilise le personnel civil et militaire aux enjeux climatiques. Conçu comme un serious game1, il propose des clés de compréhension concernant le changement climatique, ses causes structurelles et ses conséquences sur les problématiques sécurité-défense, le tout de manière ludique. Au terme d’une séance, les « joueurs comprennent pourquoi les armées doivent s’adapter, et ils se familiarisent en même temps avec la stratégie « climat & défense ». Aujourd’hui, 560 personnes ont participé à la fresque et plus de 80 animateurs y ont été formés. Ces derniers sont répartis dans les différents services des armées et au sein des entreprises de défense, et sont ainsi autant de relais pour la promouvoir. 

Dans vos travaux, sur quels domaines mettez-vous l’accent ?

Notre principale ligne d’effort demeure l’adaptation des forces armées au changement climatique. Cela comprend l’adaptation des hommes, des équipements, des matériels, des infrastructures et des missions. Tous sont déjà concernés – et le seront davantage à l’avenir – par les évolutions du climat. Celles-ci défient la résilience de nos équipements et matériels et nos capacités à remplir nos contrats opérationnels. Nous devons donc nous y préparer pour préserver l’efficacité de l’outil militaire.

Pourriez-vous nous donner un exemple concret d’impact prévisible du changement climatique sur les opérations militaires ?

Tous les équipements ne sont pas résilients à la chaleur. Au-dessus de 45 °C, les hélicoptères ont, par exemple, des difficultés à décoller, car l’air est moins dense. Ce phénomène affecte leurs capacités d’emport, et il est amené à modifier notre utilisation de ces matériels sur certains théâtres d’opération « grand chaud ». Pour réaliser les mêmes missions, nous aurons peut-être besoin de deux aéronefs et donc d’un pilote supplémentaire, de plus de carburant, d’un soutien logistique plus important… Tout cela s’anticipe et se planifie.

Comment procédez-vous ?

Il faut partir de la science : caractériser par exemple l’évolution climatique d’un environnement où les armées pourraient potentiellement se déployer, afin d’identifier d’éventuelles lacunes capacitaires. Nous avons réalisé une étude sur l’évolution des températures sur des théâtres « grand chaud », moyen-orientaux entre autres. Celle-ci a démontré que, en 2050, nous aurons 120 jours par an à +45 ° dans certaines localités, contre cinq jours par an seulement dans les années 2020 sur le théâtre sahélien que nous connaissons bien. Cela équivaut à quatre mois, où la température nocturne ne descendra d’ailleurs pas en-dessous de 30°C. Les conséquences seront nombreuses, à la fois sur la physiologie des soldats, sur le matériel et sur l’électronique. Sur la base de cette étude, le Centre de planification et de conduite des opérations a conçu un scénario crédible d’emploi des forces dans cette région pour 2040. Nous avons présenté ce scénario aux stagiaires du comité « environnement et climat » de l’École de guerre qui auront à réaliser la première brique d’un Concept d’opérations2, un document de planification de l’Otan. Cela permet de sensibiliser et de former les futurs officiers, mais aussi d’identifier de possibles lacunes capacitaires.

La stratégie « climat & défense » a été adoptée en avril 2022, pouvez-vous nous dresser un bilan deux ans et demi plus tard ?

Le bilan est positif. Sur le volet de l’acculturation, nous avons déployé la fresque, rédigé un atlas Sécurité et climat, développé un espace collaboratif suivi par 250 personnes, lancé des rencontres scientifiques mensuelles… Nous avons également publié une réflexion prospective interarmées sur « l’impact du changement climatique sur l’emploi des forces à l’horizon 2050 ». Ce document contient des contributions de différents services des armées qui ont évalué les vulnérabilités et impacts du changement climatique à leur niveau. Ce document clé va nous servir de base pour lancer l’élaboration de plans d’adaptation spécifiques selon les services. L’analyse de la vulnérabilité des infrastructures militaires sur le territoire national s’est aussi accélérée grâce à la stratégie. Le Centre d’expertise des techniques de l’infrastructure de la défense (Cetid) a notamment développé une méthodologie qui sera testée sur six sites militaires en 2025. Le but ? Les adapter au climat et aux aléas de demain.

Travaillez-vous en coopération avec les pays de l’Union européenne ?

L’Union européenne (UE) a demandé à ses États membres en 2022 de se doter d’une « climat & défense » – ce que nous venions de faire. Une dizaine de pays européens ont, depuis, publié leur propre stratégie. À cela s’ajoute un groupe de travail au niveau de l’UE, piloté par le Service européen pour l’action extérieure et l’Agence européenne de défense, qui réunit deux fois par an les États membres pour discuter de ces sujets. Il est intéressant de comparer comment les uns et les autres déploient leur stratégie, qui sont leurs interlocuteurs nationaux, etc. Nous échangeons sur nos pratiques et essayons collectivement de nous tirer vers le haut. Nous y avons d’ailleurs présenté la fresque « climat & défense », pour qu’elle puisse être exportée dans d’autres pays.

Et à l’international ?

L’Alliance Atlantique s’est saisie des problématiques climatiques pour se positionner comme l’organisation de sécurité de référence sur le sujet. Le Centre d’excellence de l’Otan pour le changement climatique et la sécurité a ainsi ouvert ses portes en fin d’année dernière, à Montréal. La France y est d’ailleurs représentée par deux personnes, dont le chef d’état-major du centre.

Quels sont les chantiers à venir ?

Il y en a trois principaux. Le premier : élaborer les plans d’adaptation pour chaque armée, direction et service. Pour cela, il nous faudra construire un réseau de correspondants climat au sein des armées. Il existe déjà d’une manière informelle, mais l’idée est bien d’avoir des points de contact établis sur lesquels s’appuyer pour élaborer ensemble ces documents. C’est un travail ambitieux, de long terme, mais indispensable. Le deuxième chantier concerne l’adaptation capacitaire : il nous faut mieux documenter les conséquences du changement climatique sur nos équipements et matériels pour les adapter au climat futur. Si ces derniers ne sont pas résilients, nous ne serons pas en mesure d’honorer nos contrats opérationnels. Pour ce faire, nous sommes en relation avec la division Cohérence capacitaire de l’état-major, chargée de construire le modèle d’armée de demain, ainsi que le Service des architectes des systèmes d’armes de la Direction générale de l’armement.

Et le troisième chantier ?

Enfin, nous réfléchissons à la manière d’aborder la vulnérabilité des entreprises de défense et de leur chaîne de valeur aux aléas climatiques. La mondialisation a conduit à un éclatement des chaînes de valeur des entreprises, réalité dont nous avons pris douloureusement conscience avec la covid-19. Dans cette logique, le climat ne pourrait-il pas perturber les chaînes d’approvisionnement des industries de défense ? Les inondations en Thaïlande en 2011 avaient, en ce sens, désorganisé les chaînes d’approvisionnement en matériel informatique. 

La vague de froid au Texas en 2021 a, quant à elle, conduit à l’arrêt de plusieurs sites de pétrochimie. Quid de l’exposition de nos petites et moyennes entreprises françaises aux aléas climatiques sur le territoire national ? Nous devons faire cette analyse.

Recueilli par Laura Garrigou

1Un « jeu sérieux » est un outil de formation qui utilise les mécanismes du jeu (vidéo, de rôle ou de plateau) à des fins pédagogiques.

2En anglais, Concept of Operations.

La France face aux guerres d’aujourd’hui et de demain

Voir le dossier spécial

 

Source : ministère des Armées
18/04/2025