Donald Trump a confirmé mardi soir, que les États-Unis construiront bien un système de défense antimissiles baptisé « Dôme d’or ». « Une fois achevé, le Dôme d’or sera capable d’intercepter des missiles même s’ils sont lancés de l’autre côté de la Terre et même s’ils sont lancés depuis l’espace », a-t-il ajouté. « C’est très important pour la réussite et même la survie de notre pays ».
Moscou et Pékin ont aussitôt critiqué cette annonce. Le projet américain a de « fortes implications offensives » et accroît le risque de course aux armements et de militarisation de l’espace extra-atmosphérique, a ainsi déploré la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning. « Les États-Unis […] sont obsédés par la recherche d’une sécurité absolue pour eux-mêmes. Ils violent ainsi le principe selon lequel la sécurité de tous les pays doit être respectée et remettent en cause l’équilibre stratégique et la stabilité du monde ».
L’ère Reagan et la Guerre des étoiles
Quand, le 27 janvier, Donald Trump a signé un décret (EO 14186) annonçant le futur développement d’un bouclier de défense antimissiles pour protéger le territoire américain, la Russie et la Chine avaient alors critiqué cette annonce. Moscou en particulier y voyait un plan « comparable à la guerre des étoiles » soutenue par le président américain Ronald Reagan durant la Guerre froide.
Dans son décret de janvier, Trump avait d’ailleurs rappelé que le président Ronald Reagan s’était « efforcé de construire une défense efficace contre les attaques nucléaires, et bien que ce programme ait donné lieu à de nombreuses avancées technologiques, il a été annulé avant que son objectif ne puisse être atteint ». Vouloir protéger le territoire national américain contre des missiles balistiques intercontinentaux ne constitue donc pas une nouveauté.
Effectivement, dès mars 1983, le président Reagan (à la Maison Blanche du 20 janvier 1981 au 20 janvier 1989) a proposé son « initiative de défense stratégique » (IDS) qui prévoyait la mise en place de systèmes au sol et dans l’espace pour protéger les États-Unis d’une attaque de missiles balistiques intercontinentaux. Reagan espérait que ce bouclier antimissiles dissuaderait tout ennemi étatique (l’URSS en particulier) de lancer des frappes nucléaires sur le territoire métropolitain américain. Toutefois, en raison de la faisabilité incertaine et des coûts exorbitants d’un tel projet de « guerre des étoiles », en référence à la saga cinématographique du même nom, l’IDS fut finalement abandonnée en 1993.
L’évolution rapide de la situation internationale et la détente entre les deux grands blocs ont aussi contribué à l’arrêt du projet reaganien. On se souviendra que dès le 8 décembre 1987, les États-Unis et l’Union soviétique avaient signé un traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire, prévoyant la destruction dans un délai de trois ans de tous les missiles à charges nucléaires et à charges conventionnelles en Europe ayant une portée de 500 à 5 500 km, dont les fameux SS-20 russes et Pershing II américains. On se souviendra aussi de la chute du Mur de Berlin en novembre 1989 et du démantèlement de l’URSS en décembre 1991.
Frappes de l’avant : le système Aegis
Malgré la détente et la pacification de certaines crises, la dégradation de la situation internationale en particulier en Europe à partir de 2014 et le développement de la menace terroriste, a incité les Américains à relancer leurs projets de bouclier et à reprendre leur déploiement des moyens de leur BMD (Ballistic Missile Defence).
C’est autour du système antimissiles Aegis que le Pentagone a bâti un système de protection avec des bases terrestres (en Pologne et en Roumanie, par exemple dans le cadre de l’Europe), et des bases en mer. La composante navale est déployée dans le Pacifique, en Asie du sud-est et en Méditerranée où évoluent, depuis 2014, au moins quatre bâtiments de l’US Navy armés de missiles SM-6 d’une portée de 370 km. Ces frégates basées à Rota en Espagne constituent la Forward Deployed Naval Force-Europe (FDNF-E) chargée d’empêcher toute attaque de missiles contre des cibles dans le sud et le centre de l’Europe.
Ces moyens navals et terrestres sont positionnés au plus près des pays susceptibles de lancer des frappes (Iran, Russie, Corée du Nord…) de façon à intercepter leurs missiles au plus vite. Ils ne couvent donc pas uniquement le territoire américain mais celui des alliés de Washington (c’est le cas de l’Europe de l’ouest protégée depuis la Roumanie, la Pologne et la Méditerranée). Or, désormais, Donald Trump veut avant tout sanctuariser les États-Unis contre toute menace directe. Quitte à menacer de ne plus assurer le maintien des capacités protégeant des pays amis et à les obliger à financer son futur Dôme d’or.
Traditionnellement, que ce soit sous l’administration Biden, la première administration Trump et les administrations Obama, la politique de défense antimissile était essentiellement axée sur la menace des missiles balistiques intercontinentaux contre le territoire national ; elle mettait l’accent sur le développement de capacités de défense contre les frappes d’États voyous, tels que la Corée du Nord et l’Iran, tout en s’appuyant sur les capacités nucléaires américaines pour dissuader les attaques d’États pairs, tels que la Russie et la Chine.
Les évolutions technologiques, anticipée dès 2021 dans un document du Congressional Budget Office intitulé « National Cruise Missile Defense : Issues and Alternatives », ont poussé l’administration Trump à introduire une inflexion. Sa politique de défense antimissiles comprend désormais la défense « contre les missiles balistiques, hypersoniques, de croisière avancés et autres armes d’attaque aériennes de nouvelle génération mises en œuvre par des adversaires pairs, tels que la Russie et la Chine », comme l’a expliqué Pete Hegseth, le secrétaire à la Défense, dans un communiqué du 20 mai. Les menaces se sont donc diversifiées et les exigences technologiques sont donc désormais immenses. Et de plus en plus coûteuses, Trump parlant d’un coût d’environ « 175 milliards de dollars une fois terminé ». Le dôme d’or mérite son nom. La facture finale pourrait inciter à le rebaptiser «dôme de rhodium».
Philippe CHAPLEAU
Source : Lignes de défense
21/05/2025