Alain Chouet , haut responsable du SDECE et de la DGSE, fin connaisseur du Moyen-Orient et de la culture musulmane, aujourd’hui retraité et essayiste, a été depuis des décennies un observateur reconnu sur la sécurité et le terrorisme ainsi qu’un infatigable lanceur d’alerte sur les dérives de l’islamisme politique et les stratégies de conquête du pouvoir par les disciples d’Al Bahna.
Il livre ici un coup de cœur personnel sur la prise de conscience des responsables politiques français et son espoir circonspect que des mesures de défense efficaces en résulteront.
GCA (2S) Robert Meille
Mieux vaut tard que jamais ?
Je n’ai cessé depuis 30 ans à travers mes articles, livres et conférence de tenter d’alerter et de mettre en garde sur la dangerosité de l’Association des Frères Musulmans pour nos sociétés et encore plus pour les sociétés arabes et musulmanes que cette entité violente et réactionnaire a contribué à détruire ou à plonger dans le chaos (Soudan, Afghanistan, Somalie, Algérie, Tunisie, Irak, Syrie, Libye, etc. ).
Je devrais donc me réjouir de la soudaine et inattendue prise de conscience par nos responsables politiques de la capacité destructrice de la Confrérie sur nos propres sociétés par le biais de nos communautés musulmanes immigrées. Je ne peux cependant qu’observer le phénomène avec circonspection tant toutes les initiatives pour dénoncer la stratégie des Frères durant ces trente années et pour proposer des contre mesures adaptées ont été traitées par le mépris et le rejet par nos élites politiques, médiatiques et intellectuelles.
En 2004, les rapports de Bernard Stasi (médiateur de la République ) et Obin (inspecteur général de l’Education nationale) exposent de façon détaillée et circonstanciée très exactement les mêmes conclusions que le rapport d’aujourd’hui . Ils sont classés sans suite puis relégués aux archives en 2005. Bernard Stasi (démocrate chrétien centriste) et Jean Pierre Obin (homme de gauche proche du PS) ne sont pourtant pas des zélateurs du repli identitaire ou du rejet migratoire.
Cela m’avait conduit l’année suivante, à rédiger une premières note d’alerte sur les Frères Musulmans ( sous le titre « Chronique d’une barbarie annoncée » ) que j’ai fait publier à Bruxelles tant j’avais été prévenu de diverses sources que sa publication en France me vaudrait une inculpation pour racisme et « islamophobie » assortie d’une condamnation inévitable.
En 2011, dans mon livre d’entretiens avec Jean Guisnel paru aux éditions La Découverte sous le titre « La menace islamiste, fausses pistes et vrais dangers », j’avais mis en évidence de façon documentée et argumentée le rôle central de la Confrérie dans l’expression de la violence djihadiste ainsi que la déstabilisation des pays musulmans et des communautés émigrées en Occident. Ce qui n’a pas suscité grand intérêt mais a eu pour conséquence d’enrichir ma biographie sur Wikipédia de plusieurs paragraphes vengeurs. ( …)
En 2014, j’ai rédigé à sa demande la préface du livre de l’universitaire égyptien Chérif Amir intitulé « Histoire secrète des Frères Musulmans » paru après plusieurs années d’hésitation aux éditions Ellipses et voué à une diffusion confidentielle. Cette somme parfaitement documentée est passée largement inaperçue et s’est vue refuser tout écho médiatique.
En octobre 2018 un colloque de l’IHEDN co-organisé par l’Association régionale n°4 (Bourgogne) de cet Institut et le CNC-IHEDN sur le thème de l’endoctrinement salafiste et de la radicalisation qui devait se tenir le 22 novembre 2018 à Dijon, a été annulé pour cause d’oukase du Préfet de région. (…) La lettre d’interdiction du Préfet indiquait: « Le Directeur de Cabinet (du Préfet de région) ainsi que la chargée de mission radicalisation de la Préfecture n’ont pas souhaité que la société civile et associative puisse intervenir sur un thème qu’ils estiment ne relever que de leurs uniques prérogatives »
Le rapport publié aujourd’hui préconise la formation des fonctionnaires territoriaux au décèlement précoce des phénomènes d’endoctrinement et de séparatisme induits par la Confrérie. Cela paraît frappé au coin du bon sens mais il est urgent d’attendre de voir comment cette préconisation sera traduite dans les faits ou s’enlisera dans les méandres d’une bureaucratie frileuse.
Car, en octobre 2019, on apprenait (….) que le Président de l’Université Paris I-Sorbonne avait décidé de suspendre sine die l’ouverture d’un cycle de formation à la « prévention de la radicalisation » qui devait débuter en novembre dans les murs de la Sorbonne. Ce cycle assez court, organisé par le très respecté professeur Vermeren, spécialiste des sociétés arabes et musulmanes, se proposait de faire étudier par un panel de responsables administratifs et associatifs la naissance de l’islam politique, la part du djihadisme dans la doctrine salafiste, la perception de la démocratie et de la laïcité dans la rhétorique des radicalisés, le fanatisme en tant qu’antichambre de la violence, etc. Le Président de Paris I concluait les attendus de sa décision par la phrase suivante : « La question de la radicalisation est un enjeu majeur de notre société et il est normal qu’une université citoyenne s’en saisisse, mais je pense qu’il est dangereux et réducteur de cibler uniquement l’islam ».
Fin 2020, suite à l’assassinat du malheureux professeur Samuel Paty, les éditions Flammarion m’ont contacté pour me commander un livre sur le séparatisme islamique en France. Je leur ai remis en février 2021 le manuscrit de « Sept pas vers l’enfer » qui décortique l’ensemble de la problématique au plan national et international. Il s’en est suivi une longue année de tergiversations de l’éditeur qui souhaitait manifestement que je parle de séparatisme islamique sans parler d’Islam et surtout pas de Frères Musulmans.
J’ai refusé toute modification en ce sens. Cela a retardé la parution du livre à février 2022 et entraîné un « service minimum » de l’éditeur dans l’exposition médiatique de l’ouvrage qui s’est malgré cela bien vendu mais qu’il n’est pas question de réimprimer après épuisement du stock.
Je ne me considère pas comme spécialement visé par la lâcheté, la pusillanimité et l’aveuglement de notre technostructure et de notre intelligentsia face à la subversion frériste. Mon statut de retraité provincial me confère une vocation « d’amateur » difficile à atteindre.
Mais des gens dont c’est le métier d’observer le phénomène et d’alerter l’opinion publique et nos décideurs politiques en souffrent, eux, réellement dans leur quotidien personnel et professionnel : Gilles Kepel, infatigable observateur de l’islamisme dans toutes ses déclinaisons et composantes ; Florence Bergeaud-Blackler du CNRS qui a commis l’imprudence de publier une étude scientifique sous le titre « Le Frérisme et ses réseaux », menacée de mort, « lâchée » par son institution, interdite de parole à peu près partout ; Fabrice Balanche, professeur à Lyon II, privé de sa chaire il y a quelques années puis réintégré à contre-cœur sur décision de la justice administrative mais persécuté jusque dans ses cours par des militants « antiracistes » cagoulés. Et toute la cohorte des enseignants, des travailleurs sociaux, des fonctionnaires territoriaux sommés de ne « pas faire de vagues », de contraindre leurs propos, de fermer les yeux sur les dérives salafistes inspirées par les Frères dans le système éducatif, le système de santé, les services publics territoriaux, les associations culturelles et sportives, les transports, etc.
A la lueur de tous ces errements, c’est donc avec beaucoup de circonspection que j’attends les mesures concrètes que devrait entraîner la toute récente « découverte » du rôle subversif et déstabilisateur de la Confrérie des Frères Musulmans que chercheurs universitaires et spécialistes de la sécurité dénoncent inlassablement depuis des décennies.
On pourra juger sur le terrain de l’efficacité de ces mesures qui en sont encore au stade (…) des cabinets ministériels. …Il en va pourtant de notre destin commun et de notre paix civile.
Alain Chouet
25/05/2025