Un long rapport commandé par la présidence de la République, intitulé « Les Frères musulmans et islamisme politique en France », a été rendu public le 20 mai. Il pointe le rôle joué par les Frères musulmans en France et leur volonté d’entrisme dans la société. Un conseil de défense a été réuni mercredi à l’Elysée pour préparer les mesures à prendre.
Face à une manœuvre d’entrisme souterrain qui gagne du terrain, il est urgent que la République combatte l’islamisme politique conservateur du mouvement des Frères musulmans, ses influenceurs présents sur les réseaux sociaux et ses prédicateurs qui sont une menace pour la cohésion nationale.
Il est utile de rappeler que ce mouvement, né en 1928 en Egypte, a été interdit dans plusieurs pays, comme l’Arabie saoudite, l’Égypte et très récemment la Jordanie.
A partir de ses notes prises lors de la conférence de Mme Florence Bergeaud-Blackler à Versailles le 9 avril 2025, Pascal Tran Huu nous livre une magistrale synthèse de la stratégie souterraine des Frères musulmans et de leurs affiliés en France et en Europe.
GCA (2S) Robert Meille
Frérisme, conquête sans sabre : cartographie d’un séparatisme rampant
« Ce n’est pas une armée qu’on affronte, mais une atmosphère idéologique virale. »
(Florence Bergeaud-Blackler, préface du livre Le Frérisme et ses réseaux)
On ne construit pas une hégémonie sans méthode.
C’est en silence que se déploie, depuis un demi-siècle, une stratégie politique d’une rare patience. Nulle prise de pouvoir fracassante, nul manifeste enflammé. Seulement des cercles. Des mosquées. Des stages. Des prêches. Des onglets YouTube. Des bulletins municipaux.
Et, en toile de fond, une certitude : l’Occident est une terre à reconquérir.
Dans cette entreprise, les Frères musulmans jouent une partition singulière. Leur vision ne relève pas du djihadisme de rupture mais de l’entrisme patient, dont le modèle n’est pas Khomeini, mais le Prophète à Médine : d’abord hôte, ensuite chef, enfin législateur.
L’idée de système : de l’islam spirituel à l’islam total
Le frérisme n’est pas un islamisme parmi d’autres : c’est un projet totalisant. Il ne s’agit pas de ramener l’islam à la mosquée, mais d’en faire un système englobant, régissant la politique, la culture, l’économie, l’alimentation, les mœurs, l’école et la sexualité.
« L’islam est un système », répète Hassan al-Banna. Cette formule, loin d’être métaphorique, structure toute la doctrine stratégique des Frères, dès les années 1930.« L’islam n’est pas une spiritualité, c’est un système. » (Florence Bergeaud-Blackler -Conférence de Versailles du 9 avril 2025)
« L’année charnière de cette stratégie est 1989. […] L’Europe devient alors « terre d’islam » » : elle redevient Dar al-Islam. (Bergeaud-Blackler Le Frérisme et ses réseaux)
C’est dans cette logique que le plan secret découvert en 1982 chez Youssef Nada à Lugano prend toute sa valeur. Il ne s’agissait pas d’un manifeste théologique, mais d’un manuel d’implantation : observation, communication, infiltration, reconfiguration normative. Une sorte de stratégie de Gramsci à la sauce « chariatique.
La force du frérisme tient précisément à sa capacité à épouser les structures occidentales pour en subvertir les finalités, sans jamais les affronter frontalement.
Une stratégie d’implantation méthodique : école, mosquée, halal, vote
Ce système s’incarne dans une mécanique d’implantation très concrète. Le rapport interministériel de 2025 en identifie les leviers principaux :
· Éducation : 21 écoles privées liées à la mouvance, 4 200 élèves, soit 1/3 des élèves scolarisés dans des établissements musulmans.
· Mosquées : 139 sites affiliés, 91 000 fidèles chaque vendredi.
· Normes alimentaires : Le halal devient norme identitaire et communautaire, au-delà de l’alimentation.
· Voile : Devenu drapeau identitaire, imposé aux jeunes filles comme marqueur politique plus que religieux.
· Vote : Monnaie d’échange dans les territoires, certains élus locaux adaptent leur discours pour obtenir des voix communautaires.
« Le hijab, désormais omniprésent dans l’espace public, a permis aux entrepreneurs fréristes de construire une stratégie de lobbying électoral marchandant des votes contre des concessions. » (Bergeaud-Blackler Le Frérisme et ses réseaux)
Des financements structurants : le nerf du réseau
Le réseau ne tient pas sans argent. Celui-ci vient de multiples sources : dons privés, sociétés satellites, fonds étrangers.
Le Qatar et la Turquie jouent un rôle clé dans cette économie d’influence.
« Le principal fonds de dotation de Musulmans de France, Al-Wakf, a été dissous pour perception de financements opaques à visée religieuse. » (ref : Rapport interministériel 2025)
« La Turquie fournit un indispensable soutien logistique et financier à la branche européenne de la confrérie. » ( Rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France »)
L’association « Secours Islamique France », la mosquée de Gennevilliers, ou l’Institut Avicenne ont été cités dans des enquêtes parlementaires pour leurs liens avec des financements qataris ou fréristes.
Un outil fédérateur : le Salon annuel de Musulmans de France.
Organisé chaque année au parc des expositions du Bourget (à ne pas confondre avec le salon aéronautique !), il constitue également un événement majeur.
Il fonctionne à la fois comme grand rassemblement spirituel (prêches, conférences, prières), comme espace marchand (stands de livres, vêtements, services, alimentation) et comme levier politique (invitation d’élus, visibilité médiatique, messages idéologiques).
Ce carrefour permet à la mouvance frériste de se financer, se structurer et se légitimer dans un même espace.
Ce que disent une majorité de musulmans : le rejet d’un projet de domination
Non, les Frères ne parlent pas au nom des musulmans. De nombreux intellectuels s’y opposent frontalement : Mohamed Louizi, Ghaleb Bencheikh, Malek Chebel, Omero Marongiu-Perria. Tous dénoncent :
· la duplicité du discours,
· la captation communautaire,
· le refus de l’intégration.
« Ce n’est pas un soulèvement musulman. C’est une islamisation rampante de la société, opérée par les courants les plus radicaux. » (Bergeaud-Blackler Le Frérisme et ses réseaux)
Et que dire du silence qui entoure Boualem Sansal, pourtant citoyen français, ostracisé pour avoir dénoncé le totalitarisme islamique avec une rare précision :
« Je suis citoyen français, et pourtant je n’existe pas pour la République. Je suis trop dangereux, non pas parce que je suis radical, mais parce que je suis précis. » — Boualem Sansal, 2023
Une islamisation rampante, pas une insurrection
Là réside le cœur du problème. Le frérisme ne prend pas d’assaut les institutions, il les infiltre. Il ne déclenche pas de guerre civile, il reformule les normes du quotidien. Il n’opère pas à visage découvert, mais par capillarité sociale.
« Le danger est dans ce qui ne fait pas peur à première vue. L’entrisme feutré est souvent plus efficace que les slogans. » ( Notin, Les Guerriers de l’ombre)
Ce n’est pas l’islam qui conquiert, mais une idéologie de la réislamisation, patiemment diffusée par une minorité organisée qui a une vision stratégique.
Le parallèle avec les débuts du christianisme est instructif : à l’image de Paul fondant des communautés dans les marges de l’Empire, les Frères construisent une contre-société, régissant ses propres règles, son économie, son langage.
Mais là où les apôtres demandaient la liberté de prêcher, les Frères exigent la légitimité de gouverner.
Conclusion : la République , c’est la fermeté laïque
Le frérisme n’a pas besoin de kalachnikovs. Il prospère sur la culpabilité des sociétés occidentales, la faiblesse des élites et l’aveuglement des institutions. Il avance sous les radars, mais avec constance. Ce combat exige de la République non pas la peur, mais la clarté, non pas la répression aveugle, mais la fermeté lucide. Il exige aussi de soutenir et rassurer nos concitoyens musulmans modérés.
« Peccatum duplicis cordis est cum aliud simulatur ore, et aliud habetur in corde. »
(Le péché du cœur double consiste à montrer une chose avec la bouche, et à en garder une autre dans le cœur.) (Saint Thomas d’Aquin, Commentaire sur le Psaume 11, 3)
Pascal TRAN HUU
administrateur de l’ASAF
21/05/2025
Bibliographie
Ouvrages et essais
· Bergeaud-Blackler, Florence, Le Frérisme et ses réseaux. L’enquête, Paris, Odile Jacob, 2023.
· Encel, Frédéric, L’Art de la guerre par l’exemple, Paris, Odile Jacob, 2023.
· Larroque, Anne-Clémentine, Géopolitique des islamismes, Paris, Presses Universitaires de France (PUF), collection « Que sais-je ? », 2023.
· Notin, Jean-Christophe, Les Guerriers de l’ombre. Renseignements et opérations spéciales, Paris, Fayard, 2017.
· Bauer, Alain, Les Guetteurs. Les patrons parlent, Paris, JC Lattès, 2018.
· Sansal, Boualem, 2084. La fin du monde, Paris, Gallimard, 2015.
· Sansal, Boualem, Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, Paris, Gallimard, 2008.
Rapports et documents publics
· République française, Frères musulmans et islamisme politique en France, rapport interministériel déclassifié, mai 2025.
Conférences et interventions
· Bergeaud-Blackler, Florence, Compte rendu de la conférence donnée à Versailles le 9 avril 2025, document inédit, transmission privée.