Le flanc méridional de l’Europe est une zone particulièrement crisogène. Au début du siècle, on évoquait un « arc des crises » s’étendant du Maghreb au Moyen-Orient jusqu’au » balcon de l’Asie ». Sur cette frontière sud de l’Europe, les tensions n’ont pas diminué : crise du Covid 19, guerre en Ukraine, aggravation des guerres menées par Israël, bouleversement des équilibres régionaux au Proche-Orient, effets du réchauffement climatique, etc.
Elles ont fait naître de nouvelles approches dans les relations méditerranéennes, entre interdépendance et concurrence, entre compétition et confrontation. C’est bien dans ce cadre qu’il faut régulièrement mettre à jour l’état des relations internationales dans la région à la mesure des évolutions politiques et sociales, de la logique diplomatique et militaire des grandes puissances à l’œuvre dans la grande région, du jeu des acteurs régionaux et des enjeux de sécurité de l’UE sur son flanc sud
Le grand rendez-vous annuel, soutenu par Sciences Po Aix depuis 2022, a eu lieu cette année les 2 et 3 juin 2025 à Toulon. Il a notamment accueilli un colloque international réunissant les chefs d’état-major des armées de Terre – ou leurs représentants – de 15 pays méditerranéens.
Ce rendez-vous s’inscrit dans le cadre de l’initiative “Flanc Sud” coconstruite par la France et l’Italie depuis 2023.
Il s’est tenu sous le thème : “La Méditerranée, un espace de coopération terrestre”.
L’objectif était de consolider une dynamique collective de dialogue stratégique, face à un environnement régional marqué par des défis sécuritaires multidimensionnels : migrations, catastrophes naturelles, menaces cyber, trafics illicites, conflits et enjeux de puissance.
Le symposium a ainsi permis de poser les bases d’une solidarité militaire concrète et régionale. La coopération militaire à l’échelle méditerranéenne s’articule autour de quatre piliers : la formation, l’entraînement, les capacités et le rayonnement.
Chaque année, par exemple, la France accueille des officiers étrangers dans ses lycées militaires et ses écoles de guerre tandis que des officiers français bénéficient d’une formation chez leurs homologues. Des coopérations capacitaires ont aussi été mises en avant, comme l’exportation du canon Caesar vers plusieurs pays partenaires.
Le lundi 2 juin, les délégations ont échangé à Brignoles, où elles ont assisté à des présentations stratégiques. Mardi 3 juin, les discussions se sont poursuivies dans le cadre bucolique mais hautement sécurisé près de Toulon. Le symposium a également inclus une séquence sur le porte-avions Charles de Gaulle, symbole du lien entre actions en mer et coopération terrestre.
Des tables rondes axées sur les menaces et la jeunesse
Quatre tables rondes ont structuré les discussions :
- L’avenir de la Méditerranée dans dix ans
- Les menaces hybrides et cyber
- L’aide humanitaire et les secours d’urgence (HADR)
- La jeunesse et la cohésion nationale
Lors de la table ronde sur l’aide humanitaire, le général espagnol Lanchares a insisté sur l’expérience de la DANA à Valence (228 morts), insistant sur la nécessité de bâtir des chaînes de commandement robuste et d’une grande réactivité.
Le général lybien Sadam Haftar a évoqué la tempête Daniel en Libye (11 500 morts), saluant la solidarité internationale comme indispensable.
Pour la jeunesse, le général italien Carmine Masiello a plaidé pour une armée ouverte aux jeunes : « Les idées n’ont pas de grades. C’est le moment de faire ce saut, de sortir de la stagnation intellectuelle. »
Un message politique fort
Pour le CEMAT français, GA Pierre Schill, ce symposium répond à une impératif clair :
ne pas se focaliser uniquement sur les menaces de l’Est mais traiter aussi celles du Sud, souvent négligées.
Et de rappeler que « la coopération commence en mer, mais se conclut à terre ».
L’absence de l’Algérie, acteur incontournable, doit être toutefois regrettée. Une absence liée à la présence de l’ armée nationale libyenne (LNA) ,non reconnue internationalement, sans doute aussi à la crise des relations entre l’Algérie et la France.
A travers les exemples de Valence et de Derna et la prise de conscience des appétits des jeunes générations sur les deux bords de la Méditerranée, les chefs d’état-major des pays riverains ont pu au moins trouver un espace d’échanges et de coopération face à l’ampleur des catastrophes démographiques, climatiques, mafieuses et humanitaires à prévoir au cours de ce siècle.
GCA (2S) Robert Meille
Vice-président de l’ASAF
12/06/2025