Les Armées françaises ont la cote.

Quel citoyen – un tant soit peu patriote- pourrait s’en plaindre alors qu’à la fin du siècle dernier, loin s’en fallait ! La remarquable tenue des troupes en OPEX, la disponibilité des personnels militaires sur le territoire métropolitain dans l’opération Sentinelle, le courage des gendarmes en maintien de l’ordre etc…, ont suscité une empathie envers nos forces armées autant marquée que méritée. Et ce, dans toutes les catégories de la population, notamment chez les jeunes.

Or paradoxalement, malgré leur excellente image, les Armées et particulièrement l’Armée de Terre, ont du mal à recruter. En 2023 par exemple, sur les 16.000 postes annuels à renouveler, 2.500 n’ont pas trouvé preneurs. Ce n’est pourtant pas faute de spots publicitaires sur nos Armées, et diffusés sur toutes les chaines de télévision, initiative inédite en France.

Quantitativement comment expliquer ce phénomène alors que selon l’INSEE le taux de chômage au 2ème trimestre 2024 qui est de 17,7% pour les 15-24 ans totalise 1.458.204 sans emplois ? Ce taux descend à 6,7% pour les 25-49 ans, soit 1.375.592 chômeurs, hommes et femmes confondus.

Une partie de la réponse peut se trouver dans les 80 années de paix consécutives en Europe de l’Ouest qui a fait perdre de vue toute menace concernant l’Hexagone, surtout depuis la suspension du service militaire en 1996 et ce en dépit de la guerre en Ukraine et des attentats périodiques sur notre sol. En fait la jeunesse a perdu contact avec l’institution militaire et ses valeurs principales que sont l’ordre, la discipline, la solidarité…

Une autre explication pourrait se trouver dans le rapport du Haut Comité d’Évaluation à la Condition Militaire (HCECM) publié en juillet 2023 et qui souligne l’attractivité des métiers en tension, particulièrement les métiers duaux, dont les conditions d’exécution sont plus astreignantes dans les armées que dans le civil d’autant qu’à compétences égales, les rémunérations sont moins favorables dans les armées que dans le secteur privé.

Toutefois, le HCECM relève que le recrutement contractuel interne pour permettre un déroulement de carrière n’a concerné que 10% des effectifs alors que le recrutement contractuel externe (par équivalence) a représenté 51,5% pour l’ensemble des forces armées.

En résumé, il semble que le service de la France passe après les intérêts personnels de chaque citoyen.

Maintenant la fidélisation reste également un problème majeur, en particulier dans le corps des officiers. Selon la Direction des Ressources Humaines de l’Armée de Terre (DRHAT), 35% d’une promotion d’officiers issus de l’ESM ou de l’EMIA a quitté l’armée après 15 ans de service et ce taux d’attrition peut atteindre 70% après 20 ans de service. Or le taux d’encadrement de l’armée de terre qui doit passer de 11,4% à 13% pour se rapprocher de celui des autres armées occidentales, doit tenir compte de cette érosion (1). En effet, le HCECM relève que l’attractivité des postes d’officiers supérieurs et généraux est réduite du fait de plusieurs facteurs dont les principaux sont :

1°- La gestion des officiers à haut potentiel échappe au gestionnaire militaire pour passer au pouvoir exécutif. De plus l’accès au généralat est tardif et fonction des emplois vacants.

 2°- La réduction des moyens imposée par la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) est un des motifs d’insatisfaction des officiers et pèse sur leur moral.

3°- La solde moyenne des officiers supérieurs et généraux est inférieure au traitement indiciaire moyen des fonctionnaires civils de la catégorie A+, écart qui s’est encore accru après la refonte de la grille indiciaire de ces derniers, entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2023.

4°- Les mutations fréquentes des officiers sont un frein à l’emploi du conjoint de sorte que les revenus du foyer fiscal d’un officier sont souvent inférieurs à ceux d’un ménage de fonctionnaires civils.

Ces raisons peuvent expliquer les difficultés de fidéliser les cadres militaires alors que ces derniers représentent un élément essentiel de la qualité de nos armées.

Antoine de Saint-Exupéry écrivait : » Le soldat n’est pas un homme de violence ; il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d’aller sans faillir au bout de sa parole, tout en sachant qu’il est voué à l’oubli ».

Une vraie reconnaissance matérielle et morale de la Nation pour ses soldats serait déjà un début de solution pour recruter et fidéliser.


Colonel (h) Christian Châtillon
Délégué National de l’ASAF