Prise de conscience de la défense commune ou promotion de l’industrie européenne de défense ?

Prise de conscience de la défense commune  ou promotion de l’industrie européenne de défense ?

Les sommes avancées par la commission européenne pour réarmer l’Europe donnent le tournis. L’annonce est généralement applaudie, sauf à Budapest et Bratislava. Elles aiguisent les appétits des lobbies industriels. Le white paper « ReaArm Europe » du commissaire Kubilius était très attendu. Il acte l’ouverture d’une voie  commune vers l’autonomie stratégique européenne.

Ce document de 20 pages est disséqué et analysé dans les 27 capitales. A Paris, la DGRIS a livré sa propre analyse intermédiaire la semaine dernière. La BITD française a toutes les raisons de se réjouir, seule industrie européenne peu intégrée dans les chaines de valeur américaines et britanniques, à la différence des industriels allemands et italiens.

Que retenir du Livre Blanc européen?

L’écho de la France en Europe

Face à une administration américaine qui tourne le dos à l’Europe et lui déclare une brutale guerre commerciale, les appels répétés de la France à « autonomie stratégique européenne » sont enfin entendus et partagés. Les constantes propositions françaises depuis les présidences Chirac jusqu’au discours de la Sorbonne de 2017 constituent désormais une base de discussions pour tous les dirigeants européens.

Le white paper « ReaArm Europe »  est une importante étape de la maturation progressive de l’idée de préférence européenne et même de défense dans une Union que ses fondateurs n’avaient conçue que comme instrument de paix.

Les jalons précédents ont été le mécanisme de CSP/PESCO (Coopération structurée permanente) instauré en 2017 par 17 états puis le FED (Fonds européen de défense) en 2020 qui permet de  financer la recherche et le développement de programmes industriels transeuropéens de défense.

En 2022, la Boussole stratégique européenne avait tracé les orientations de la sécurité et de la défense européennes.

Cette même année, la Russie lançait son agression contre l’Ukraine. Le président de la République appelait le Parlement européen à un sursaut de « réarmement ». Réarmement moral, capacitaire et industriel. «Nous ne sommes pas en guerre mais ce n’est pas non plus la même paix ».

En 2024, le poste de commissaire à la Défense et à l’Espace était créé par la commission nouvellement  élue. Il était confié au Lithuanien Andrius Kubilius.l

Le plan « ReArm Europe » de mars 2025 marque un bond en avant largement conforme aux vues françaises. Il propose un train de mesures visant à stimuler la montée en puissance des investissements dans les capacités de défense européenne pour arriver à une éventuelle défense européenne à l’horizon 2030.

Les lignes d’action de ce plan sont ambitieuses

  • à partir de l’inventaire des capacités critiques recensées par les États membres, combler les lacunes en matière de capacités;
  • soutenir l’industrie européenne de la défense par des commandes groupées et la généralisation des offres collaboratives de marchés publics ;
  • soutenir l’Ukraine par une assistance militaire accrue et une intégration poussée des industries de défense européenne et ukrainienne;« investir davantage, investir mieux et produire européen; donner des garanties de sécurité à Kiyv, en premier lieu en équipant très bien la première armée européenne en équipements européens»
  • simplifier la réglementation pour élargir le marché de la défense à l’échelle de l’UE;
  • favoriser les innovations de rupture telles que l’IA et la technologie quantique dans l’industrie de défense;
  • améliorer la mobilité militaire, reconstituer des stocks et renforçer les frontières extérieures face à l’Est, en retenant les scénarios les plus sombres;
  • renforcer les partenariats avec les pays du monde entier qui partagent les mêmes valeurs.

Les moyens proposés sont à la hauteur :

  • la dérogation aux contraintes des critères de Maastricht qui permettrait de dégager jusqu’à 650 milliards d’euro;
  • la mise en place d’un fonds « SAFE » de 150 milliards offrant aux Etats des taux bonifiés à condition qu’ils s’associent à deux Etats au moins pour acheter Européen.
  • Curieusement le livre blanc ne mentionne pas les différents programmes existants : EDIRPA, ASAP ou encore en discussion tel le récent EDIP (2024), doté de 1,5 milliards, qui prévoit d’aider les achats communs à partir de 2028. Ces programmes de subventions visent à dé-risquer les investissements des industriels de la défense.

En même temps, la commission souhaite diminuer les dépendances de l’Europe aux technologies américaines tout en maintenant le constat que les États-Unis, au delà de l’épisode Trump, restent nos alliés et que nous sommes les alliés des États-Unis. Rappeler toutefois que 80% des équipements des armées européennes depuis 2014 ont été achetés dans des pays hors UE ( Grande-Bretagne, Corée, Turquie et Etats-unis pour 60%).

Et demain?

Les bases sont posées , la réalisation reste un défi.

1/ La commission est parfaitement dans son rôle en proposant au Parlement et au Conseil européen une panoplie d’instruments et d’outils économiques et industriels car elle ne dispose d’aucune compétence en matière militaire.

2/ En l’état actuel, la défense européenne conventionnelle ne pourra progresser avec des moyens européens que dans le cadre normatif de l’OTAN, avec ou – mieux- sans les Etats-Unis ou ces derniers en « back bench« .

3/ Il est vraisemblable que les outils financiers proposés feront hésiter les 27: les pays endettés par crainte d’accroître les déficits; le fonds SAFE par la difficulté, si souvent rencontrée, de mettre en accord deux ou plusieurs Etats sur un programme commun; sans oublier l’irrépressible tropisme américain de certains pays européens peu motivés par l’achat européen, avec ou sans Trump.

4/ Enfin il faut souligner que les peuples européens, une fois encore, ne sont pas associés à cet effort énorme. Pour sortir du reproche de bureaucratie bruxelloise, n’est-ce pas le bon moment pour la France de lancer l’idée d’un « emprunt européen pour la sécurité de l’Europe et de l’Ukraine » sous forme d’obligations à 10 ans qui serait ouvert au 370 millions de citoyens européens?

GCA (2S) Robert MEILLE
Vice-président de l’ASAF
04/04/2025