SEPTEMBRE 2024
« ABJECT ! »

SEPTEMBRE 2024« ABJECT ! »

ABJECT ! Mourir en service commandé n’est pas mourir au travail

Le 28 août 2024 à Mougins, alors qu’un gendarme venait de perdre la vie, écrasé par un chauffard qui a pris la fuite, le journal L’HUMANITÉ a posté un tweet qualifiant la mort du gendarme Éric COMYN, de « mort au travail ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce tweet relève d’un rare mépris pour nos forces de l’ordre, qu’elles soient civiles comme les policiers ou militaires comme les gendarmes.

 

Aucun travail ne justifie de mourir pour lui.

Par contre certains métiers peuvent faire courir un danger mortel à la vie du professionnel qui l’exerce. Lorsque ce danger est prévisible, toutes les mesures sont prises en amont pour l’éviter, à tout le moins pour en amoindrir les conséquences ; c’est le principe de précaution.

Mais il est des professions où en dépit d’une formation poussée, le risque mortel ne peut être écarté car imprévisible par sa nature même.

Il s’agit des militaires et des policiers face à des délinquants sans scrupules, respectueux de rien en particulier de la vie d’autrui.

Le journaliste auteur de ce titre parle manifestement de ce qu’il ne connaît pas car il n’a jamais risqué de « mourir au travail » pour écrire un tel papier.

Pour illustrer mon propos, je suis obligé de faire appel à un souvenir personnel que, malgré tous mes efforts, je ne suis jamais parvenu à vraiment oublier. J’étais alors capitaine, marié et père de deux enfants.

À Pâques 1978, pour la première fois de son histoire, l’ONU demande à la France d’envoyer un contingent au Sud-Liban pour s’interposer entre le Hezbollah et Tsahal. Le colonel Salvan, chef de corps du 3ème RPIMa, est désigné avec son régiment pour remplir cette mission d’interposition.

Mission la pire qui existe puisqu’il est interdit d’ouvrir le feu en premier. Seule la riposte est autorisée. Autrement dit, le casque bleu est d’abord une cible. D’ailleurs à l’époque le sport préféré du Hezbollah était de voler les véhicules de l’ONU sous la menace de leurs armes.

Le Colonel Salvan débarque donc au sud du fleuve Litani à hauteur de la ville de Tyr et installe le PC de son régiment dans une caserne abandonnée par l’armée libanaise. Puis il fait prendre contact avec les responsables locaux du Hezbollah afin de préciser avec eux les positions de ses unités parachutistes sur le terrain. Rendez-vous est pris dans un lieu improbable soigneusement contrôlé par sa milice.
Je m’y rends avec le colonel, sans protection (nous sommes une force de paix) et sans armes (pour ne pas se les faire voler).

 L’ambiance est tendue voire électrique car le Hezbollah n’appréciait guère cette initiative de l’ONU. Durant toute la négociation, nous étions sous la surveillance attentive d’un Palestinien derrière une mitrailleuse lourde « Douchka » 12,7 cal. d’origine soviétique et montée sur la plateforme arrière d’un 4×4 japonais. La grande mode à l’époque.

Le souvenir de cette matinée passée sous une telle menace m’a longtemps poursuivi et à mon retour en France, pendant de longs mois, j’ai eu des frissons dans le dos chaque fois que je voyais un pick-up craignant de discerner la silhouette menaçante d’une mitrailleuse et son servant à l’arrière. Un réflexe difficile à perdre.

Pour en revenir à cette matinée, j’étais également sous la menace d’un gamin avec sa Kalachnikov qui me braquait à moins de 3m, le doigt sur la queue de détente. Il n’avait pas quinze ans. Il aurait dû être à l’école.

Je me suis alors remémoré ce demi alexandrin de Victor Hugo à propos de la jeunesse : « cet âge est sans pitié ». Sans état d’âme non plus.

Ma seule protection : la couleur bleue de mon casque ! Mais je n’étais même pas sûr que ce gamin en connaissait la signification.

C’est alors qu’on s’aperçoit que sa propre vie ne tient qu’à un fil, à la merci d’un mouvement d’humeur, d’un geste déplacé ou inconscient, d’un gamin irresponsable…

À la fin des négociations, nous sommes enfin repartis, en vie et soulagés mais nerveusement épuisés.

Quelques années plus tard, le 28 octobre 1983, l’attentat du Drakkar tuait 58 parachutistes français. Moins chanceux que nous.

« Morts au travail ».

Le métier de maintien de la paix ou de maintien de l’ordre par nos soldats, nos gendarmes et nos policiers ne mérite pas cette épitaphe.

En mémoire de tous ceux qui ont donné leur vie pour la France pour accomplir ces missions, j’ai honte pour le journal L’HUMANITÉ qui porte dès lors bien mal son nom lorsqu’il écrit qu’un gendarme était « mort au travail ».

 

Colonel (h) Christian Châtillon
Délégué national de l’ASAF