UKRAINE : 1226 jours d’une guerre technologique  qui s’installe dans la durée.

Merci à Laurent LE MENTEC qui nous autorise la publication et la réutiisation d’une partie de ses études, particulièrement pointues, des fractures actuelles du monde.

Les guerres lancées par Israël au Proche et au Moyen-Orient monopolisent à juste titre l’attention des chancelleries, des états-majors et des opinions publiques dans nos pays européens. Pourtant la guerre de haute intensité voulue par le pouvoir moscovite continue de ravager nos marches orientales. Comme celles d’Israël, la guerre d’Ukraine est caractérisée par l’irruption de l’IA et des nouvelles technologies dans l’art militaire. Elle secoue et bouscule les gouvernements européens et l’alliance atlantique, force à la révision des priorités d’investissement. Elle amène les armées et les industries de défense à une révolution de l’organisation, des volumes, des missions et des alliances.

Sans négliger le sud de la Méditerranée, il faut donc rester attentif à la guerre d’Ukraine, quand celle-ci est en train de prendre un visage nouveau, sur fond de tractations diplomatiques. S’appuyant sur le suivi hebdomadaire de la situation, les travaux de Laurent Le Mentec et du cabinet Vision Sécurité permettent de mieux apprécier la situation d’ensemble sur le théâtre des opérations  et d’évaluer les évolutions possibles. Sans exclure des surprises stratégiques majeures qui pourraient se produire, d’un côté comme de l’autre, dans les prochains mois.

GCA(2s) Robert Meille

Carte Ukraine

I- Elements d’analyse sur chaque axe opératif russe

Sur l’axe Nord,

l’objectif russe semble de créer une zone-tampon défendable jusqu’à Soumy.

La situation actuelle est cependant caractérisée par des petites progressions ukrainiennes dans l’oblast de Soumy. Elles sont le résultat de contre‑attaques qui révèlent une meilleure maitrise interarmes et une capacité de manœuvre accrue des forces ukrainiennes, bien appuyées par des frappes d’artillerie de contre‑batterie.

En face, les lignes de ravitaillement russes sont vulnérables aux raids ukrainiens, notamment au sud de Koursk où les convois sont régulièrement détruits ou retardés.

Evaluation:

l’incapacité des forces Russes à neutraliser l’artillerie ukrainienne de longue portée compromet la réussite de l’objectif de création d’une zone-tampon durable.

A contrario, la montée en puissance de l’industrie de défense ukrainienne et la poursuite des livraisons occidentales pourrait permettre à l’Ukraine d’intensifier ses raids au cœur des positions logistiques russes et interdire de la sorte toute consolidation défensive.

Sur l’axe Est, qui reste l’effort principal russe sur trois directions convergentes:

en direction de Kharkiv

Les forces russes maintiennent la pression en continuant à lancer des opérations offensives sans parvenir à percer.

Les unités russes se heurtent aux défenses en profondeur ukrainiennes constituées de solides tranchées améliorées, de champs de mines, de drones et d’ouvrages antichars.

La densification du dispositif de défense aérienne ukrainienne a pour effet d’affaiblir le soutien aérien rapproché russe.

Evaluation:

En infériorité numérique, le commandement ukrainien a choisi une tactique de nappe défensive diluée s’appuyant sur le façonnage du terrain et ses solides avantages technologiques. Le commandement russe contraint de mener une bataill d’usure devra choisir entre concentrer ses moyens sur une percée localisée ou maintenir une pression diffuse pour épuiser les réserves ukrainiennes.

En direction de  Louhansk:

A l’offensive, les forces russes échouent jusqu’à présent à percer vers Koupiansk, Borova ou Lyman.

Les observateurs s’accordent à reconnaitre l’emploi répété et extrêmement coûteux d’une infanterie d’assaut, parfois peu aguerrie, sans préparation d’artillerie suffisante ( peut-être par manque de pièces disponibles). On note toutefois des attaques d’infanterie localisées suivant au plus près un « barrage  » de drones, utilisés comme une sorte d’artillerie volante.

En règle générale, la coordination entre blindés et fantassins est médiocre. C’est une faiblesse souvent exploitée par les Ukrainiens pour tendre des embuscades aux attaquants russes ou lancer des contre-attaques locales.

L’arrivée éventuelle de pièces d’artillerie lourdes et leur redéploiement pourraient permettre aux Russes de créer des sacs à feux localisés pour appuyer la création de brèches. La fin des assauts frontaux stériles poserait un autre problème tactique au commandement ukrainien.

En direction de Donetsk:

Les forces russes continuent de lancer des actions offensives à Siversk, Toretsk, Pokrovsk, Novopavlivka, VelykaNovosilka sans avancée significative confirmée. A noter toutefois, une contre‑attaque ukrainiennequi a permis une progression vers ChasivYar.

Evaluation:

La poussée ukrainienne à ChasivYar pourrait menacer l’axe logistique russe reliant Donetsk à Bakhmout, coupant potentiellement l’arrivée des renforts.

Dans cette hypothèse, le commandement russe devra arbitrer entre le renforcement de la protection de ses lignes de communication ou la poursuite coûteuse de ses vaines offensives.

Sur l’Axe Sud , axe secondaire russe destiné à fixer le maximum de forces ennemies:

Des opérations offensives d’ampleur limitée sont sans cesse relancées à l’ ouest de Zaporijia et dans le secteur de Malynivka par les forces russes. Il est difficile d’y distinguer un cadencement particulier ou une cohérence d’ensemble. Elles sont surtout très lourdes en pertes humaines.

De leur côté, les forces ukrainienne paraissent renforcer leurs capacités de reconnaissance en profondeur et de frappe des dépôts derrière la ligne des contacts.

Evaluation:

Ce front, initialement secondaire, le reste pour les deux belligérants, pour l’instant. Il pourrait redevenir critiquedans l’hypothèse d’un basculement des rapports de force locaux en faveur de Kiev. Il conviendra de mesurer le niveau d’attrition des unités russes du secteur et la montée en gamme technologique et en capacité de coordination interarmes des unités ukrainiennes.

Si l’hypothèse devait se concrétiser, le port de Berdyansk pourrait être menacé et en péril la liaison terrestre russe via la Crimée.

Dans ce cas, le commandement russe devrait renforcer ce secteur mais cela affaiblirait d’autant l’axe nord.

II- Logistique et approvisionnement

21- Les forces russes rencontrent des difficultés croissantes à acheminer munitions et pièces détachées à cause des frappes ukrainiennes répétées sur Koursk et Belgorod.

Elles sont contraintes d’acheminer les convois par les voies ferroviaires du sud , c’est à dire la ligne Zaporijia – Melitopol, elles‑mêmes sous surveillance ukrainienne et sous la menace des sabotages de partisans ukrainiens.

22- La situation ukrainienne est paradoxalement plus confortable:

l’acheminement des livraisons des pays de l’OTAN est sous la protection directe des renforts aériens dépéchés par SHAPE

Les flux logistiques sont renforcés depuis les ports de la mer Noire (livraisons internationales) et par les lignes ferroviaires occidentales.

Les forces ukrainienes ont su mettre en place un système de stocks décentralisés qui p ermet delimiter les vulnérabilités.

III- Facteurs humains et moral

31-Les troupes russes sont jugées rongées par l’épuisement et les rotations fréquentes. Le moral et la cohésion seraient en baisse dans de nombreuses unités

32- A l’inverse les forces ukrainiennessont en meilleur état physique et moral malgré la fatigue de plus de quarante mois de combats et la perspective sans cesse repoussée d’un arrêt de la guerre.

Leur moral est soutenu par les succès tactiques limités remportés et par l’espoir d’une nouvelle contre-offensive d’envergure avant l’arrivée des pluies d’automne.

Le facteur principal est toutefois la professionalisation impressionnante et l’esprit de discipline et de cohésion librement consentis des unités, gain chèrement acquis par l’expérience de trois années de guerre de haute intensité.

IV- Enjeux politiques et diplomatiques

41- Le soutien américain à l’Ukraine est incertain car soumis à l’imprévisibilité du président Trump et à une logique commerciale. L’arrêt tout récent des livraisons d’armes ( mais pas du renseignement) est un signal négatif.

Les livraisons des pays européens se sont au contraire accélérées. L’aide européenne est désormais supérieures à celle des Etats-Unis.

Toutefois les engagements de livraisonsde nouveaux systèmes de défense anti-aérienne et de blindés lourds sont conditionnés au respect des calendriers d’achat et à des enquêtes sur le bon emploi des armes.

42- La pression accrue des sanctions sur la Russie,ciblant mieux les secteurs de défense russes, paraissent limiter la production nationale de munitions et d’équipements modernes. Elles contribuent à accroitre sa « vassalisation », au moins sa dépendance, à ses partenaires extérieurs.

V- Quelles sont les perspectives ?

51- Il s’agit pour l’Ukrainede poursuivre la stratégie de harcèlement logistique et de contre-batterie de longue portée. Et de préparer – si l’évolution des rapports de force sectoriels le confirme- une éventuelle contre-offensive estivale, probablement au centre tout en en consolidant ses flancs autour de ChasivYar et de Soumy.

52-La Russiepourrait être amenée à réorienter son effort principal, se voyant contrainte deredéployer son artillerie lourde en arrière du front sud secondairel afin de protéger la liaison Crimée–Donbass.

Face aux faibles résultats de ses attaques simultanées sur tous les secteurs du front, le commandement russe pourrait privilégier des opérations limitées mais concentrées. Il lui faudrait à cet effet améliorer très rapidement la coordination interarmes.

Sauf le cas de rupture décisive, la guerre s’achemine vers un conflit d’usure prolongé, où l’avantage ira à celui qui saura mieux préserver ses lignes de ravitaillement, maintenir le moral des troupes et exploiter la technologie de précision.

 

Merci à Laurent LE MENTEC qui nous autorise la publication et la réutiisation d’une partie de ses études, particulièrement pointues, des fractures actuelles du monde.

UKRAINE, 1226 jours d’une guerre technologique qui s’installe dans la durée.