LIBRE OPINION : L’armée de terre, grande gagnante des arbitrages

Posté le vendredi 01 mai 2015
LIBRE OPINION : L’armée de terre, grande gagnante des arbitrages

 Par Alain RUELLO - Les Echos

Ses effectifs vont augmenter de 11 000 hommes en deux ans et elle bénéficiera de nouveaux équipements. Longtemps parent pauvre des crédits militaires par rapport à l'armée de l'air et à la marine, l'armée de terre est la grande gagnante des arbitrages rendus mercredi par François Hollande. C'est qui est logique, dans la mesure où la principale raison de l'actualisation de la loi de programmation militaire tient au nouveau contexte sécuritaire né des attaques terroristes de janvier.

 

En décidant dans la foulée des attentats de déployer 10 000 hommes pour la protection des lieux sensibles, d'abord pour un mois, puis jusqu'à l'été, le chef de l'Etat a de facto revu à la hausse la mission de protection du territoire - l'une des trois de l'armée avec la dissuasion et la projection. Le nouveau contrat opérationnel, pour reprendre le jargon des militaires, est le suivant : pouvoir déployer 7 000 soldats sur une année, et même monter à 10 000 de manière temporaire si les circonstances l'exigent. A titre de comparaison, l'année dernière, en période Vigipirate normale, pas plus de 1 200 militaires patrouillaient dans les rues. Pour remplir ce nouveau contrat, l'armée de terre, qui est la plus grosse pourvoyeuse de troupes, doit disposer d'un réservoir en effectifs trois fois plus important, compte tenu des périodes d'entraînement ou de déploiement en opération extérieure. L'état-major a donc fait ses calculs, et plusieurs scénarios ont été étudiés, faisant varier le paramètre durée de déploiement ou impliquant ou non les forces du ministère de l'Intérieur par exemple. François Hollande a retenu le plus exigeant, et donc le plus coûteux, ce qui amène à revoir les effectifs cibles de l'armée de terre à hauteur de 77 000, et non plus 66 000 comme prévu dans le Livre blanc de la défense de 2013. « Nous avons fait remonter des témoignages en Interministériel de compagnies dont les effectifs étaient répartis en dix, entre ceux qui étaient en opérations extérieures, ceux qui se reposaient, ceux qui étaient affectés à "Sentinelle"... », témoigne-t-on dans l'entourage de Jean-Yves Le Drian. Cette bonne nouvelle ne signifie pas que l'armée de terre, et même tout le ministère de la Défense, va arrêter de supprimer des postes administratifs ou de support. Pas plus que les nombreux projets de transformation vont s'arrêter. Le Val de Grâce fermera donc bien. Et la doctrine militaire va devoir prendre en compte cette évolution majeure pour que les soldats soient aussi bien préparés pour aller traquer le djihadiste dans l'Adrar des Ifoghas, au Nord-Mali, que pour répondre à des attaques à la kalachnikov devant la gare de Montparnasse.

 

Sur les 3,8 milliards de crédits supplémentaires sur la période 2016-2019, 2,8 milliards seront affectés au renforcement de la mission de protection : recrutement, infrastructures et fonctionnement. Le solde, soit 1 milliard, sera consacré à l'entretien des matériels, très éprouvés en opérations extérieures, voire à en acheter d'autres. La Défense peut en plus compter sur 1 milliard de gain de pouvoir d'achat lié à la baisse de l'inflation ou du carburant.

Les plans ne sont pas encore arrêtés, mais on commence à avoir quelques détails sur les emplettes à venir : au moins une demi-douzaine d'hélicoptères d'attaque Tigre ; des hélicoptères de transport Nh90 ; quelques avions de transport tactiques C-130 pour pallier les nouveaux retards de l'A400M et le vieillissement accéléré des Transall ; de nouveaux capteurs de renseignement électromagnétiques pour les drones ; ou encore des véhicules pour les forces spéciales. Là encore, c'est l'armée de terre qui en bénéficiera pour l'essentiel, mais pas tout de suite : sur 2016 et 2017, quasiment tous les crédits supplémentaires iront au renforcement de la mission de protection.

Alain RUELLO

Avis de l’ASAF

Pour 2015, les armées n’auront pas de ressources financières supplémentaires alors que ses effectifs seront moins réduits que prévus. Le financement se fera donc à partir d’économies réalisées notamment sur la baisse du prix du carburant même si, faut-il le préciser, les armées comme tous les consommateurs paient les taxes d’Etat sur le carburant.

En fait la rallonge de 2016 (600 millions d’€) et de 2017 (700 millions d’€) permettront avant tout de remplir les missions actuelles : opérations « Sentinelle » sur le territoire métropolitain) et les opérations Barkhane et Sangaris qui s’avèrent particulièrement éprouvantes pour le matériel nécessitant des opérations de maintenance plus nombreuses et plus importantes.

2/3 des ressources annoncées, soit 2,5 Mds € sur les 3,8 Mds €, sont prévues après 2017…pour 2018 et 2019. D’ici là il est probable que d’autres évènements surviendront et exigeront de revoir à la hausse les contrats opérationnels très insuffisants définis dans le livre blanc de 2013 et donc la loi de programmation militaire.

2 points particuliers :

Le financement de la Défense, fonction régalienne, ne doit pas reposer sur des ressources exceptionnelles et donc incertaines comme c’est le cas dans la loi de programmation actuelle.

Le budget prévu pour couvrir le surcoût lié aux opérations extérieures dans la loi de programmation militaire a été sous évalué à 450 millions alors que les dépenses réelles dépassent le milliard d’ € par an.

Henri Pinard Legry

Président ASAF

 

 

Source : Les Echos