LIBRE OPINION du Colonel (er) Jean-Michel THOUVENIN: La mémoire doit-elle être à ce point sélective ?

Posté le mardi 02 mai 2017
LIBRE OPINION du Colonel (er) Jean-Michel THOUVENIN:  La mémoire doit-elle être à ce point sélective ?

Dans la nuit du cinq au six avril 2017, Julien Barbé, sapeur au 6e régiment du génie d’Angers tombe mortellement touché au cours d’un accrochage avec des terroristes au sud-est du Mali, portant à 19 le nombre de morts depuis le début de l’opération Serval à laquelle a succédé l’opération Barkhane.

Un hommage émouvant est naturellement rendu à ce miliaire qui a perdu la vie dans la lutte que mène la France contre le terrorisme. Fait chevalier de la Légion d’Honneur, le caporal-chef Barbé est également nommé sergent à titre posthume.

 

Le 20 avril 2017, le gardien de la paix Xavier Jugelé meurt aux Champs Elysées sous les balles de Karim Cheurfi, terroriste et récidiviste bien connu de la justice comme des services de police. L’Etat islamique revendique l’attentat. Nous sommes en présence du même ennemi, mais cette fois sur le territoire national.

Un vibrant hommage est rendu à Xavier Jugelé qui, à son tour, est fait chevalier de la Légion d’Honneur, mais est élevé quant à lui au rang de capitaine.

 

Si on ne peut que se réjouir de cette promotion pour Xavier Jugelé, elle laisse cependant un goût amer en regard de celle, bien plus modeste, dont bénéficie le caporal-chef Barbé. C’est à croire que les morts - moins visibles - de la lointaine Afrique, ne présentent pas le même intérêt aux yeux de l’opinion, et qu’il faut marquer davantage les esprits quand le drame se déroule sur notre territoire.

Certes, le soldat et le policier ne sont pas régis par des statuts identiques, et c’est là que le bât blesse. Car la lutte est la même, le sacrifice est le même, la peine de ceux qui survivent à ces drames – famille, amis – est la même. Une telle différence de traitement est donc de nature à semer le trouble. Il serait naturellement indigne de déporter le sujet sur les choix de vie ou d’opinion de Xavier Jugelé. Il n’est question ici que d’équité. L’hommage rendu à ceux qui font le sacrifice de leur vie pour la liberté des Français doit être le même sous peine de laisser penser qu’il y a des morts qu’il convient d’honorer et des morts de second ordre.

Antoine de Saint-Exupéry le disait déjà avec une rare acuité : « Le Soldat n’est pas un homme de violence. Il porte les armes et risque sa vie pour des fautes qui ne sont pas les siennes. Son mérite est d’aller sans faillir au bout de sa parole tout en sachant qu’il est voué à l’oubli. »

Jean-Michel THOUVENIN
Colonel (ER)
Membre du comité de rédaction de l’ASAF

 

Source : ASAF