LIBRE OPINION : Le cocu pathétique

Posté le dimanche 03 août 2014
LIBRE OPINION : Le cocu pathétique

 

LIBRE OPINION

Le cocu pathétique

 

« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent » : cette formule souvent reprise d’Henri Queuille, friand d’aphorismes cyniques, s’applique parfaitement aux lois de programmation militaire depuis plus de trente ans. Et la LPM (loi de programmation militaire) 2009-2014 demeure conforme aux précédentes, qui respecte un scénario maintenant bien rodé : annoncée comme procédant de la volonté présidentielle d’assurer la sécurité et l’indépendance de la France, elle est présentée solennellement par un ministre qui s’engage personnellement, votée en toute confiance par un Parlement discipliné, rapidement avortée suite aux manœuvres dilatoires de Bercy.

Cette comédie, qui a pour effet une réduction continuelle du format toujours jugé trop ambitieux faute de pouvoir être menée à son terme, dure depuis plus de trente ans sans émouvoir outre mesure les politiques et bien sûr l’opinion à qui l’on affirme qu’en consacrant moins on fait mieux… ce principe ne valant naturellement que pour la Défense ! Le procédé d’asphyxie financière des LPM est trop constant pour ne pas relever de la méthode dont l’objectif recherché serait  l’élimination progressive du soldat de l’appareil de défense, pour des raisons moins idéologiques que politiques, économiques et doctrinales qui spéculent sur les progrès technologiques, avec l’assurance que l’institution, volens nolens, suivra .

Certes un fond d’antimilitarisme demeure encore au sein d’une partie de la classe politique, notamment celle qui se réclame de gauche et en qui sommeille encore la crainte du césarisme. Mais plus personne aujourd’hui ne peut adhérer au plus stupide des jugements de notre grand Victor Hugo « les guerres ont toutes sortes de prétextes, mais n'ont jamais qu'une cause: l'armée. Otez l'armée, vous ôtez la guerre. » En réalité, la nécessité d’une armée est reconnue par tous mais la présence du militaire en son sein moins.

C’est l’usage de la force armée qui fait en effet débat car le politique, de quelque bord qu’il soit, redoute par-dessus tout l’enlisement. Postulant la fin des conflits classiques et la très faible occurrence d’une agression directe du territoire national qui ne serait menacé que par le terrorisme, il n’envisage l’action militaire qu’à la condition qu’elle soit supportable par l’opinion publique et acceptée par la communauté internationale : elle doit donc être courte, précise et le plus proche possible du « zéro mort » pour la force engagée.

Assuré de progrès décisifs dans les nouvelles technologies, dans l’informatique et la miniaturisation, l’autorité politique, encouragée par les industriels et quelques stratèges autoproclamés nourris du tropisme américain, souhaite un appareil militaire d’un coût raisonnable, donc aux effectifs réduits mais capable d’effets puissants et précis à distance, donc politiquement acceptables, d’autant que la plus part des technologies seraient développées par le secteur civil pour le plus grand bénéfice des industries de pointe. Ils ne rêvent certes pas encore, comme les intégristes de la RMA (théorie de la révolution dans les affaires militaires) outre Atlantique, d’une guerre conduite à distance avec une multitude de robots, engins sans pilotes et munitions guidées interconnectés dans un champ de bataille entièrement automatisé où seraient ainsi devenus inutiles le char, l’avion tactique piloté ou encore le porte-avions, plateformes chères et vulnérables, mais pour beaucoup le principe du remplacement du combattant par un produit technologique est acquis .

Or, le principal obstacle à la mise en œuvre de ce principe, outre le fait que certaines technologies n’en sont qu’à leurs débuts, résiderait dans les supposés conservatismes propres à l’institution militaire. Pour les contourner, il conviendrait donc de maintenir les armées dans un état de remise en cause permanent. C’est le rôle des LPM avortées qui, en se prévalant de la technologie pour masquer aux yeux de l’opinion et des médias les pertes de capacité , justifient la fonte progressive des effectifs combattants, couteux en formation, rémunération et soutien, tout en mettant en chantier des opérations de restructuration mobilisatrices pour l’intelligence et l’énergie des militaires mais destinées à disparaître aussitôt pleinement opérationnelles. La dernière LPM en date (2014-2019) procède du même enfumage, à la différence toutefois qu’elle n’offre rien d’autre que l’élagage et le dépyramidage des effectifs, mission peu mobilisatrice : qu’importe, il ne restera aux armées qu’à «faire au mieux, à 120% de (leurs) possibilités » selon l’expression (désabusée ?) du CEMA.

Il y a quelque chose de pathétique à voir ainsi les armées, remettre sans cesse sur le métier un ouvrage toujours jugé irréaliste par ceux-là même qui l’on conçu et sont persuadés que l’on peut tout demander au militaire dès lors qu’on le complimente et lui décerne des médailles. Dans la mascarade des LPM, les Armées sont, osons le terme, cocufiées, avec il est vrai le concours en leur sein de quelques idiots utiles : non seulement les intégristes du mieux avec moins ( pour qui , par exemple, un Rafale équivaudrait à trois Mirage 2000) mais surtout ceux qui, au nom de la priorité à l’opérationnel, devenu avec le temps  le cœur de métier, mais aussi en raison d’enjeux de pouvoir au sein de l’institution, ont peu à peu détruit l’unité de commandement en rognant d’abord les attributions des commandants de région jusqu’à leur disparition, puis celles des CEM d’armées au profit du CEMA avant que ce dernier ne subisse le même sort au profit des grands services du ministère. Léon Blum doit s’en tortiller d’aise dans sa tombe, lui qui proclamait « qu’on démolisse l’armée, j’en suis. » : les LPM l’ont fait peu à peu et la dernière s’y attache mieux que les autres.

De cette dégradation sont responsables les politiques, au premier rang desquels il faut citer les parlementaires chargés de voter les lois et surtout d’en contrôler l’exécution mais qui sacrifient en réalité l’avenir, qu’ils appréhendent comme le prolongement du présent alors qu’il est par nature imprévisible, à un immédiat dont ils sont prisonniers par électoralisme, pression médiatique et soumission au « technologisme ». En substituant peu à peu la sécurité à la défense, l’administrateur au chef, l’ingénieur à l’officier, l’opérateur au combattant ou encore les prestataires extérieurs aux services, le pouvoir politique, exécutif comme législatif, désorganise le commandement et démilitarise les armées, compromettant ainsi gravement les capacités de résilience de la nation.

Si les buts et la conduite de la guerre ne peuvent incomber au militaire, l’organisation du commandement et des moyens accordés est chose trop importante pour l’efficacité des armées pour être confiée aux politiques : les exemples de 1914 et, à l’opposé, de 1939, le prouvent. Elus et gouvernants auront à répondre le moment venu de la situation qu’ils auront créée…mais il sera trop tard.

Source : Christian RENAULT