POLITIQUE ÉTRANGÈRE : Hollande ou les ravages de la pensée magique. Libre opinion de Caroline GALACTEROS.

Posté le vendredi 22 avril 2016
POLITIQUE ÉTRANGÈRE : Hollande ou les ravages de la pensée magique. Libre opinion de Caroline GALACTEROS.

En politique étrangère, le président pratique une stratégie "hors sol", maniant le déni et l'enfermement manichéen. Démonstration avec le conflit syrien.

Les réactions à l’intervention de François Hollande dans Dialogues citoyens le 14 avril sur France 2 ont été unanimes : un pathétique cautère sur une jambe de bois. En lévitation au-dessus du sol, à mille lieues de la planète France, incapable de seulement entrevoir la sombre réalité économique et sociale française et l'exaspération de toutes les couches de la population devant l'empilement de mesurettes d'une démagogie confondante, notre président a sombré dans un exercice public d'autohypnose sans précédent. Un dialogue de sourds satisfait avec quatre citoyens courageux venus lui demander des comptes, un entêtement à ne parler que de la France en soi (fort louable approche qui supposerait l'exercice d'une réelle autorité et la défense pratique de notre souveraineté) en oubliant qu'elle n'est pas seule au monde et doit se mesurer aux autres États…

L'incantation a ses limites. La danse de la pluie autour du tipi aussi. Malheureusement, Monsieur le Président, avec tout le respect dû à votre fonction, rien, vraiment, ne « va mieux » en France. Notre pays dévisse et s'abandonne les yeux fermés à la fuite en avant et aux expédients démagogiques que nos populistes officiels n'oseraient même imaginer. Et puis, vers la fin, en quelques phrases ahurissantes, une transgression démocratique ultime, une perte de contact définitive d'avec la réalité, un découplage fatidique lorsque la journaliste Léa Salamé interroge François Hollande sur le rôle de la France dans le conflit syrien :

« Léa Salamé : La Syrie, cinq ans de guerre civile, 250 000 morts... Les Russes sont-ils en train de gagner là où les Occidentaux ont raté, là où nous avons montré notre impuissance à arrêter les massacres ? Est-ce que vous dites merci à monsieur Poutine ?

François Hollande : Vous pensez que conforter le régime, écraser l'opposition, ce sera la solution pour la Syrie ? Je l'ai dit à monsieur Poutine. Ça ne pourra pas être la solution. Pourquoi ceux qui se sont mis contre le régime, contre Bachar el-Assad, qui ont été bombardés continûment, qui ont été chassés de leur pays, pourraient trouver la solution avec celui qui a été leur bourreau ? Non. Alors, ce que nous faisons avec la Russie, c'est de chercher une solution politique.

Léa Salamé : Sans Bachar el-Assad ?

François Hollande : Sans que Bachar el-Assad soit la solution à la fin. Ça, c'est sûr.

Léa Salamé : Mais pour l'instant, il est une partie de la solution ?

François Hollande : Non, il n'est pas la solution. Il est en ce moment dans une partie du territoire qu'il contrôle, un tiers du territoire, et donc nous devons avoir une négociation. Et en ce moment, elle se fait. Puisque vous me parlez de la Syrie, vous ne pouvez pas douter de ce qu'a été la position de la France. Depuis 2012, la France, elle est aux côtés des démocrates syriens. La France, elle a soutenu l'opposition syrienne. La France, elle a combattu Daech et tout ce qui…

Léa Salamé : La France a voulu intervenir et vous avez été lâché par monsieur Obama !

François Hollande : Et c'est notre honneur !

Léa Salamé : D'avoir été lâché par monsieur Obama ?

François Hollande : … d'avoir voulu intervenir quand il y a eu l'utilisation des armes chimiques. Et vous devriez dire : Oui, c'est la France qui a eu raison de vouloir punir le régime. Puisqu'en 2013, comme on n'a rien fait quand il y a eu l'utilisation des armes chimiques, ça a été au bénéfice de Daech et de toutes ses alliances avec les djihadistes parce qu'une partie de la population a considéré que nous n'avions pas fait notre devoir. La France, elle a été exemplaire dans le dossier syrien, et vous devriez sur le plan de la politique internationale qui doit tous nous unir considérer que c'est la France qui a eu raison depuis 2012 jusqu'à aujourd'hui parce qu'aujourd'hui c'est la France, qui, avec les autres partenaires, permet qu'il y ait une négociation politique. » Sic.

Consternation

Le président français est un homme très informé. Très renseigné. Il ne peut ignorer la course machiavélique des puissances sunnites pour le dépècement de la Syrie avant et depuis 2011. Il sait la dynamique bien peu spontanée des Printemps arabes, l'exploitation politique des revendications populaires montantes par les Frères musulmans, la rivalité entre l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie pour faire prévaloir chacun leur vision du fondamentalisme islamique qui mine nos sociétés et surtout briser la réémergence iranienne et celle de ses alliés libanais, syrien et irakien.

Alors, de qui se moque-t-on ? Quid de ces déclarations rengorgées, de ce vocabulaire ridicule sur « le bourreau » et « la punition » ? On vacille, on hésite entre la consternation devant l'ampleur de la déformation du réel et l'écœurement devant un tel cynisme. L'enfermement de la diplomatie française depuis 2011 dans une posture diplomatique manichéenne, son soutien ouvert au renversement du régime syrien et à la mainmise de l'islamisme salafiste le plus violent, qui n'a strictement rien de démocratique, sur ce pays, son parti pris ahurissant pour le camp de la déstabilisation par des puissances extérieures du dernier grand État nationaliste laïc arabe ne peuvent plus être niés. Paris a pris un pari et l'a perdu. Nous sommes juste malades de rage de voir qu'une fois encore, comme pour l'économie, le chômage, l'école ou la délinquance, les faits sont têtus. Seuls l'honnêteté intellectuelle, la lucidité, la prudence et le pragmatisme peuvent permettre de retrouver un espace de manœuvre dans la sordide compétition des sauvageries locales pour améliorer le sort des populations toujours sacrifiées à la soif de pouvoir de leurs prétendus représentants. Le malheureux général Soubelet, dernière victime expiatoire de cet aveuglement politique, que l'on excommunie pour ne pas l'écouter faire son pur et simple devoir, en sait quelque chose. Eh bien, en Syrie aussi, il faut ouvrir les yeux : ne nous en déplaise, la Russie a fait bouger les lignes sanglantes tracées par ceux qui voulaient voir démantelé ce grand et précieux pays. Moscou a réussi ce qu'aucune puissance occidentale n'a su réussir, et pour cause : aucune ne l'a voulu !

La version présidentielle de la geste française dans cette affaire est l'archétype d'une désinformation entêtée de l'opinion publique afin qu'elle ne réalise pas l'ampleur de notre suivisme et notre renoncement à compter sur la scène mondiale. La France effectivement était prête à intervenir contre le régime en août 2013, après le bombardement au gaz sarin de la ville de la Ghouta. Elle avait même hâte d'en découdre. Pourquoi un tel empressement à sauter à pieds joints dans le gouffre ? Cela reste un mystère. Elle en fut in extremis empêchée par le renoncement américain : alors que les États-Unis avaient imprudemment annoncé que l'usage d'armes chimiques serait une « ligne rouge » à ne pas franchir, le président Obama refusera de se lancer dans une nouvelle opération militaire aux fondements et aux conséquences aléatoires. Rappelons en effet qu'en décembre 2013, le journaliste d'investigation Seymour Hersh révélera que l'administration américaine, pour mieux soutenir ses accusations contre le régime de Bachar el-Assad, aurait volontairement dissimulé lors de ces événements que le groupe djihadiste Front Al-Nosra disposait de gaz sarin. D'après le journaliste, Barack Obama aurait également accusé le régime en s'appuyant non sur des communications interceptées au moment de l'attaque, mais sur des interceptions réalisées en décembre 2012 et analysées a posteriori.

Vocabulaire de cour d'école

En décembre 2013 toujours, le chef de la mission d'enquête des Nations unies concernant les allégations d'emploi d'armes chimiques en République arabe syrienne estimera « ne pas avoir à [s]a disposition les éléments d'information nécessaires permettant d'identifier les responsables des attaques à l'arme chimique ». Plus grave encore, en janvier 2014, Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU spécialiste des missiles, et Theodore Postol, professeur au MIT, publieront un rapport de 23 pages selon lequel le régime syrien ne peut être tenu responsable du massacre. Après étude de « centaines » de photos et de vidéos d'ogives, de restes de roquettes, d'impacts sur le sol, et de barils contenant le gaz sarin publiées sur Internet, après analyse physique interne, ils concluront que le volume de gaz sarin utilisé, la portée des missiles, leur direction ainsi que l'endroit d'où ils ont été tirés démontrent que les roquettes tirées étaient de courte portée (hypothèse d'ailleurs évoquée par le rapport final de l'ONU) et attribueront la paternité de l'attaque aux rebelles, tout point situé à deux kilomètres des impacts se trouvant de fait en territoire rebelle. Le rapport du MIT contredit sans équivoque les déclarations américaines (qui affirmaient que les roquettes avaient été tirées depuis le « cœur » du territoire contrôlé par le régime à Damas). Rien n'est donc « à notre honneur » dans cette affaire. Nous l'avons juste échappé belle, et bien malgré nous.

La France aux côtés des « démocrates syriens » ? Mais de qui parle-t-on ? Que représentent politiquement ces quelques personnalités sunnites exilées que l'on prétend « modérées » et que l'on cherche à imposer ? Elles sont au pire la face émergée de l'offensive ultra-violente des groupes sunnites avatars d'Al-Qaïda et de Daech et au mieux débordées par la noria de groupes rebelles islamistes forcenés qui ne promettent que massacres et chaos aux minorités syriennes. Entre un islamiste « modéré » et un radical, seul le mode d'action immédiat diffère.

L'armée syrienne ne contrôlerait qu'« un tiers du territoire » ? Certes… Mais un tel énoncé laisse penser que la Syrie serait un territoire vide, presque vierge, offert au plus martial, au plus brutal, au plus tenace, un territoire où « rebelles » et armée du régime auraient une légitimité politique équivalente, alors que le régime syrien défend son territoire, celui de l'État syrien légal, et que « ce tiers » géographique est aussi celui qui concentre la très grande majorité de la population du pays (plus de 60 %, selon Le Monde, qu'on ne saurait suspecter de « bacharophilie ») réfugiée massivement dans les zones contrôlées par le régime ! Présenter ainsi la situation n'est ni honnête ni habile.

Enfin, il faudrait encore, après cinq ans de drames et d'impasse, « punir » « le bourreau » syrien ? Et l'on prétend avec ce vocabulaire de cour d'école être une partie prenante utile et sérieuse au très complexe processus de négociations en cours sous la double tutelle russo-américaine ? Il faut se réveiller et, sur ce sujet comme sur les autres pans de notre politique étrangère, recommencer à penser et à agir en fonction de nos intérêts nationaux, pas en remorque d'acteurs dont nous sommes les jouets désarticulés.

 

 

Caroline GALACTEROS
Administratrice
 
de l’ASAF


Source : Le Point.fr