AERONAUTIQUE : Pour la vente de Rafale, la Grèce est plus prioritaire que l’armée française

Posté le samedi 19 septembre 2020
AERONAUTIQUE : Pour la vente de Rafale, la Grèce est plus prioritaire que l’armée française

La vente de 6 avions neufs et de 12 autres d’occasion crée une sérieuse difficulté pour l’armée de l’air, qui souffre déjà d’un manque structurel d’appareils.

Le gouvernement français vante « l’excellente nouvelle », mais il n’y a pas que des avantages à exporter des Rafale F3 à la Grèce, éminent partenaire de défense de la France en Europe.

Annoncée samedi 12 septembre, la vente par Paris de 6 avions neufs et de 12 autres d’occasion prélevés sur les parcs militaires existants, crée une sérieuse difficulté pour l’armée de l’air et de l’espace. Car celle-ci, avec 217 chasseurs en ligne (102 Rafale et 115 Mirage 2000), souffre déjà d’un manque structurel d’appareils pour honorer les missions que lui confie l’exécutif – dissuasion nucléaire, protection permanente du ciel français, engagements extérieurs dans l’OTAN ou en Irak-Syrie.

 « L’exécutif ne s’est pas soucié des capacités opérationnelles de l’armée de l’air dans cette affaire », assure une source proche du dossier, pour qui « la vente des Rafale à Athènes ne relève que d’une logique financière et de la volonté de nourrir la vision politique présidentielle d’une Europe puissance ».

Face à la Turquie, les 18 Rafale de la Grèce ne seront pas le « game changer » définitif, mais ils donneront un solide coup d’avance à ses forces. Déjà affaiblie par les purges du président Recep Tayyip Erdogan, l’armée de l’air turque doit, elle, renoncer aux chasseurs F-35 américains qu’elle voulait acquérir, en raison d’un veto du président Donald Trump.

« Trou capacitaire »

Le contrat franco-grec sera signé fin 2020, pour de premières livraisons mi-2021 et en 2022. Les Grecs ne parlaient pas d’avions dans les discussions en cours depuis des mois sur l’achat d’armement français. Ils disent depuis juin vouloir s’équiper très vite devant l’activité turque. Plusieurs appareils devraient être transférés immédiatement. Aucun ne sera donné.

Des discussions complexes s’ouvrent donc pour que les commandes nationales auprès du constructeur Dassault Aviation puissent compenser le « trou capacitaire » inévitable qui inquiète l’armée de l’air française. Pour elle, admet-on chez la ministre des armées Florence Parly, il y aura bien « un creux, que nous allons faire en sorte de minorer pour qu’il n’ait pas de conséquences opérationnelles. La cadence des prélèvements sur les avions d’occasion n’est pas encore définie ». Le ministère évoque en outre « une augmentation du rythme de production » des appareils neufs, à discuter avec l’avionneur.

L’armée peut trouver un intérêt à céder des appareils du standard F3 déjà « ancien » (il équipe tous les Rafale depuis 2010) plutôt que de les moderniser comme prévu, si elle perçoit plus rapidement leurs successeurs programmés, des Rafale F4. Or, il est confirmé que les 6 avions grecs neufs seront fabriqués d’abord.

« Si nous manquons d’avions nous devrons renoncer à certaines missions », expliquent en substance les aviateurs. Et ce d’autant qu’un autre pays, la Croatie, cherche aussi des avions d’occasion, 12. Si elle choisit des appareils français, ils seraient aussi prélevés sur les bases aériennes en 2023-2024.

Surchauffe opérationnelle des équipages

La France avait décidé à la fin des années 1990 d’équiper son aéronavale et son armée de l’air de 294 avions de chasse à l’horizon 2025. L’objectif a été ramené à 185 pour des raisons budgétaires. Elle en aura 150 si tout va bien, estiment plusieurs sources du Monde. En dépit de nombreuses réorganisations internes, ce déficit engendre une stagnation du volume d’entraînement des pilotes sous les normes de l’OTAN et une surchauffe opérationnelle des équipages.

Faute d’argent pour payer tous ses avions, l’Etat a réduit ses commandes au minimum (11 avions par an) et demandé aux industriels de trouver des clients étrangers pour éviter de fermer leurs usines. En 2015, la toute première vente à l’étranger du Rafale au maréchal égyptien Sissi s’était appuyée sur les démonstrations au combat de l’avion multirôle en Libye, puis aux débuts de l’engagement au Mali. L’exportation a sauvé les chaînes de production de Dassault, tandis que l’armée de l’air y a gagné en rayonnement et en compétences. Mais aussi en contraintes.

Les livraisons aux partenaires étrangers, 96 appareils à ce jour pour l’Egypte, l’Inde et le Qatar, ont pris une place prioritaire dans le programme d’équipement. L’Etat a assumé des « années blanches » pour l’armée française. Celle-ci ne devait pas recevoir de nouveaux Rafale entre 2019 et 2021, puis reprendre son tour entre 2022 et 2024, et de nouveau entre 2027 et 2030. Pour continuer à honorer les opérations militaires, un récent rapport parlementaire a demandé à l’Etat d’avancer de deux ans et demi la livraison de la tranche 2027, en commandant 20 avions.

Calendrier défavorable

Un autre point affecte l’armée française : la formation des pilotes étrangers. Cet effort énorme, sept mille heures d’instruction pour les trois premiers pays clients, a représenté, selon les généraux, « une opération militaire de plus » équivalant à l’activité d’un escadron Rafale durant deux ans.

Le calendrier est donc défavorable. Mais les aviateurs sont désormais familiers de la manœuvre. L’Egypte avait réclamé 18 avions tout de suite. Finalement, 6 seront prélevés dans le parc français, « remboursés » deux ans plus tard.

Pour satisfaire l’Inde, le ministère de la défense avait pensé prélever 4 Rafale biplace destinés à l’escadron nucléaire des forces françaises. Quant au Qatar, le ministre lui avait proposé de baser en permanence 3 Rafale français dans le pays, une idée rejetée par les militaires et qui ne s’est pas réalisée.

Nathalie GUIBERT
Le Monde


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