Audition du chef d'état-major de la Marine

Posté le dimanche 28 juillet 2019
Audition du chef d'état-major de la Marine

Extraits du compte-rendu de l’audition
de l’amiral Christophe PRAZUCK, chef d’état-major de la Marine,
par le Commission de la Défense nationale le 3 juillet 2019



FREMM (…) Je tiens à souligner l’importance de l’exercice Formidable Shield, que nous avons conduit en mai dernier. De façon cohérente avec ce que l’on imagine devoir être les menaces de demain, l’enjeu consistait pour notre frégate Bretagne à détecter et à intercepter un missile supersonique. Il était important de démontrer à cette occasion les performances en matière de combat anti-aérien de nos FREMM ainsi que les qualités de nos missiles Aster 15, qui ont été poussés assez loin dans leurs capacités. À tous égards, il s’agit d’une grande réussite. Les remarquables qualités de ces frégates étaient déjà unanimement reconnues dans le domaine de la lutte sous la mer, et le sont désormais également dans le champ de la protection et de la lutte anti-missiles.

SNA(…) Notre premier sous-marin nucléaire d’attaque de type Barracuda, le Suffren, rejoindra le 12 juillet son dispositif de mise à l’eau, pour commencer ses essais en vue de pouvoir prendre le relais des sous-marins d’ancienne génération. Nous disposerons ainsi de navires plus silencieux, plus imposants et plus endurants que les précédents. Je souligne qu’ils seront en outre dotés de capacités nouvelles, notamment de mise en œuvre de forces spéciales et de missiles de croisière.



1- Question de monsieur Marilossian sur les stocks de munitions complexes

Amiral Christophe Prazuck (CEMM)
L’un des objectifs du plan Mercator, que j’ai publié l’an dernier, détaille notre ambition que chaque unité tire au moins une munition complexe tous les deux ans au titre de sa préparation opérationnelle, qu’il s’agisse d’un missile de croisière, d’un missile Aster ou d’une torpille. Il s’agit là d’un objectif à long terme, que nous ne sommes pas encore en mesure d’atteindre.

Tout cela sera-t-il suffisant ? Pas tout à fait. La LPM consent un effort absolument nécessaire, mais les sous-investissements passés auront pour conséquence de nous placer dans une situation délicate dans les années 2020, 2021 et 2022. À nous de savoir gérer cette situation et reconquérir des ressources pour la suite.


2- Question de monsieur André Chassaigne
sur le projet Poseidon de rapprochement entre Naval group et le chantier naval italien Fincantieri

CEMM
S’agissant de Poséidon, nous avons déjà fait beaucoup de choses avec les Italiens. Les frégates de défense aérienne que j’ai présentées tout à l’heure et qui relèvent du programme Horizon sont totalement franco-italiennes. La FREMM est très largement franco-italienne aussi. Les pétroliers ravitailleurs qui vont remplacer les type « Marne » ont un design italien. Ainsi, les Italiens sont quasiment notre premier partenaire industriel en matière navale. Nous sommes aujourd’hui à un point de bascule avec l’arrivée des radars-plaques, des missiles supersoniques et hypersoniques et de drones qui vont nous demander d’innover. Il faut que nous joignions nos efforts au lieu de dépenser chacun dans son coin les mêmes sommes sur les mêmes objets. Je me réjouis donc à chaque fois qu’il y a un rapprochement européen. Quant à l’autonomie stratégique, c’est un des sujets clés de la revue stratégique de 2017.
Pour moi, le cœur du cœur de cette autonomie stratégique réside dans notre capacité à concevoir, à construire et à entretenir seuls des sous-marins 100 % français.


3- Question de monsieur Joachim Son-Forget sur le projet de
dédoublement des unités spécialisées de la force maritime des fusiliers marins et commandos

CEMM
Au sujet de la question des commandos-marine du contre-terrorisme et libération d’otages (CTLO) et de l’équipe spéciale de neutralisation et d’observation (ESNO).
C’est une logique différente de celle du double équipage sur les bateaux, qui voit alterner les deux équipages. L’enjeu, c’est d’avoir une unicité d’organisation des différents commandos qui permette de mieux les gérer. Auparavant, il y avait des commandos spécialisés, comme Jaubert et Trépel, dans la libération d’otages, et d’autres dans la neutralisation à distance. Nous voulons davantage de commandos comme le commando Hubert, qui dipose de ces deux capacités simultanément. La question est, une fois encore, de disposer de la ressource humaine. Les sélections ont lieu en ce moment.

 

4- Question de madame Françoise Dumas sur les questions de recrutement

CEMM
(…) Les ressources humaines sont la question stratégique des dix ans à venir pour la marine. Il faut impérativement élargir les viviers de recrutement ; je recrutais 2 400 jeunes il y a cinq ans et j’en recrute 3 600 aujourd’hui que je vais chercher là où nous n’allions pas. Je dois changer mes méthodes de recrutement, encourager les services de recrutement à aller voir ailleurs. Il s’agit également de la représentation de la Marine qui n’est pas un monde à part mais reflète la société et doit, de ce fait, accroître sa mixité. La marine américaine est d’ailleurs féminisée à plus de 20 %. Certains porte-avions américains comportent 30 % de personnel féminin. Or il n’y a aucun doute quant à la capacité opérationnelle de nos camarades américains, pas plus qu’il n’y en a quant à celle de l’armée de l’air française qui est, elle, féminisée à 22 %. Qu’il s’agisse d’image, d’ouverture, de compétences, je suis certain des bénéfices que nous apportera une mixité élargie.

 

5- Question de madame Natalia Pouzyreff sur le rachat par General Electric, d’Alsthom qui fournissait les turbines nucléaires du Charles De Gaulle et des sous-marins nucléaires, et sur la dépendance de notre flotte de sous-marins au regard de cette production aux mains de GE 

CEMM 
Vous m’avez interrogé sur notre BITD, le maintien des compétences et les risques d’obsolescence concernant les turbines. Loin de moi l’envie de me défausser mais, en l’espèce, je ne suis pas compétent pour vous répondre car c’est bien la responsabilité de la direction générale de l’armement (DGA) de s’assurer du maintien des savoir-faire. Cela recouvre deux aspects. D’abord, il s’agit de garantir le caractère national de ces savoir-faire. Ensuite, il s’agit de gérer les effets du temps et d’anticiper l’obsolescence des matériels comme des hommes. Par exemple, un porte-avions comme le Charles de Gaulle, c’est cinquante ans de durée de vie. Puisque nous évoquions son successeur, il faut avoir conscience qu’il entrera en service vers 2038, et qu’il le sera toujours en 2090 ! Il faut donc veiller à maintenir notre capacité à le concevoir aujourd’hui, mais également à l’entretenir dans le futur. Il en va de même pour les sous-marins, qu’il faut être en mesure de maintenir durant quarante ans. Se pose donc la question, à un moment donné, de notre indépendance nationale pour la conception et la construction, mais il ne faut pas négliger notre capacité à entretenir des objets dont la durée de vie est quasiment unique dans l’industrie. La DGA œuvre donc à l’animation de notre BITD, et identifie les domaines dans lesquels il nous est possible de partager des savoir-faire – par exemple la maintenance des tourelles de 76 millimètres des FREMM est confiée à des acteurs italiens – et ceux qu’il nous faut être en mesure de maîtriser de manière autonome – c’est le cas de l’entretien de la bibliothèque de guerre électronique des FREMM.

 

Mme Natalia Pouzyreff : À ce sujet, êtes-vous satisfait du service fourni par une entreprise comme General Electric ?

CEMM
En l’état actuel des choses, oui.

 

6- Question de monsieur Thomas Gassilloud sur le tonnage du futur porte-avions (PANG) pour accueillir le futur avion de combat (NGF).


Nous sommes encore en phase d’études. Il n’est pas plus question aujourd’hui de 70 000 tonnes que de 60 000 ou 90 000 tonnes. La donnée de départ, c’est en effet la masse du NGF. Elle est compatible avec les catapultes EMALS (Electromagnetic Aircraft Launch System) des porte-avions américains. Il faut évidemment se demander combien d’avions nous voulons avoir sur notre porte-avions et pour quel scénario. La question est alors, moins la masse, mais l’envergure et corrélativement, la superficie, celle du pont d’envol, celle du hangar. Ensuite, il faudra déterminer la propulsion possible pour ce porte-avions, sachant que la vitesse maximale doit être d’au moins 27 nœuds. Pourquoi ? Parce que c’est la vitesse à laquelle on récupère un Hawkeye E-2C ou E-2D en avarie sévère.

 

7- Question de monsieur Jean-Philippe Ardouin sur le système de lutte anti mines marines futur

CEMM
J’en viens à présent au système de lutte anti-mines marines futur (SLAMF) et au programme franco-britannique MMCM (Maritime Mine Counter Measures). Un essai a été conduit au début du mois de juin, permettant de faire le point sur l’état d’avancement des travaux de Thales. Nous entrerons dans une phase de tests plus aboutie à partir de 2020. Nous doter d’une capacité autonome de lutte anti-mines constitue une absolue nécessité.
Ce programme opère une véritable évolution conceptuelle : auparavant, le bateau qui parcourait un champ de mines, s’il n’explosait pas, était chargé de les détecter ; dorénavant, l’idée est d’envoyer des drones autonomes dans la zone minée pour détecter les mines puis les détruire. Ce programme n’est néanmoins pas révolutionnaire, et j’en veux pour preuve que de nombreuses marines travaillent déjà sur ce concept. Bien sûr, le recours aux drones pose un certain nombre de difficultés sur lesquelles nous travaillons. À titre d’exemple, nous nous interrogeons sur la manière dont le drone peut transmettre les informations collectées : doit-il être doté de capacités d’intelligence artificielle et être capable d’évoluer de manière autonome ? Lui faut-il ramener l’ensemble des données sur un bâtiment, ou à terre, où elles seraient analysées ? Une fois qu’une mine a été détectée, faut-il envoyer un autre drone pour la détruire ? Nous devrons répondre à toutes ces questions, et nous le ferons dès lors que le prototype nous sera livré et que nous ouvrirons la phase de tests que j’évoquais tout à l’heure.

 

8- Question de monsieur Louis Aliot : Quelle est, considérant nos moyens limités, la stratégie de surveillance de notre immense espace maritime au regard des drones de surveillance opérant notamment dans le Pacifique, et plus spécialement aux abords de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie ?

CEMM
S’agissant des drones, j’ai aujourd’hui cinquante appareils, dont aucun n’est encore opérationnel. Ils sont tous en expérimentation, dont beaucoup au sein de la force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO). Mon objectif, vous le savez, c’est de disposer d’un drone par bateau en 2030 – petit drone, petit bateau ; gros drone, gros bateau. J’estime donc qu’en 2030, dans la Marine, il y aura environ 1 200 drones :
- 900 drones aériens pour équiper les bateaux, les bases à terre et les sémaphores ;
- une cinquantaine de drones de surface pour la surveillance
- et 200 drones et gliders sous-marins pour la guerre des mines et la surveillance de l’environnement.
Parmi les drones aériens, il y aura des petits drones mais aussi des drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) qui peuvent voler plusieurs heures, pour compléter nos avions de patrouille et de surveillance maritime, ainsi que nos hélicoptères. En équipant nos patrouilleurs de petits drones, j’espère multiplier par un chiffre compris entre six et dix la surface couverte annuellement par nos moyens. Enfin, nous avons plusieurs projets visant à exercer une surveillance satellitaire de nos zones économiques exclusives (ZEE).
Ainsi, je pense que les programmes qui sont lancés, même s’ils n’augmentent pas le nombre de bateaux présents outre-mer, vont augmenter nos moyens de surveillance et d’action et seront à la hauteur des enjeux de la surveillance de nos ZEE.

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

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Source : www.asafrance.fr