BURKINA FASO : Incertitudes sur l’attitude de la junte face à Paris

Posté le mercredi 02 février 2022
BURKINA FASO : Incertitudes sur l’attitude de la junte face à Paris

Au pouvoir, au Burkina Faso depuis une semaine, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba doit faire face à un double défi. Il y a celui, attendu, de se confronter à la direction d’un État, une tâche à laquelle il n’est pas forcément préparé. Mais il doit aussi composer avec la pression générée par une junte à la tête du Mali, pays frère et voisin. Le colonel Assimi Goïta, vice-président puis président malien depuis dix-huit mois, semble se lancer dans une fuite en avant, toujours à la limite de la rupture avec ses partenaires traditionnels : la France, l’Europe et même les pays d’Afrique de l’Ouest. Le renvoi de l’ambassadeur de France au Mali, lundi, n’est qu’un signe de plus de ce crescendo inamical. Les observateurs scrutent ainsi avec plus d’attention et d’impatience les premiers pas de la junte burkinabée, cherchant à définir les intentions de l’impétrant.

Car il y a entre les deux hommes d’évidents points communs. Des officiers âgés d’une quarantaine d’années, des militaires de terrain bien formés qui, jusqu’à leurs putschs, n’étaient connus que de la troupe. Le Burkinabé suivra-t-il pour autant la voie tracée par le Malien ?

Sur un point au moins, il a choisi son exemple. Comme Assimi Goïta, Paul-Henri Damiba préfère l’ombre à la lumière. Ses sorties sont très rares. Il n’est apparu à la télévision que deux fois, dont une fois sans rien dire. Les Burkinabés ont alors découvert cet homme un peu rond, béret rouge sur la tête, sanglé dans l’uniforme léopard des troupes nationales, le drapeau sur le bras gauche. Il garde, lui aussi, un visage grave, presque inexpressif. Une image conforme à ce portrait photo, le seul qu’on lui connaisse, qui a immédiatement envahi les marchés et les étals de Ouagadougou. « Ce n’est pas quelqu’un qui parle beaucoup. Quand il ne travaillait pas, il restait souvent silencieux, les bras croisés. C’est un militaire jusqu’au bout des ongles et c’est d’ailleurs pour ça que son surnom est ‘‘l’Armée’’ », se souvient un sous-officier, qui fut sous ses ordres.

Les Burkinabés sont contraints à attendre, ou à deviner où veut les conduire ce nouveau chef. Et ils ne peuvent pas compter, pour glaner quelques informations, sur son entourage proche qui demeure parfaitement inconnu. Le 25 janvier, l’annonce de sa prise de pouvoir et la création du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) ne fut que peu éclairante.

Son adresse publique, trois jours plus tard, a donné quelques pistes. Tout en assurant que tous ses efforts seraient tournés vers la lutte contre le terrorisme, il s’est engagé à réunir les forces vives, à définir « une feuille de route » et rétablir l’ordre constitutionnel dans un « délai raisonnable ». Il a surtout rassuré la communauté internationale en affirmant que « le Burkina a plus besoin que jamais de ses partenaires »… Éloignant, du moins pour l’instant, le spectre d’un futur bras de fer comme à Bamako. La France se rassérène un peu en constatant que le lieutenant-colonel Damiba, contrairement à son homologue malien, a fait en partie sa formation à Paris où il a fréquenté l’école de guerre, qui forme les officiers supérieurs français et certains de leurs homologues étrangers, et le Conservatoire national des arts et métiers.

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), l’organisation régionale, en butte à une bronca populaire depuis les sanctions prises contre le Mali, joue l’apaisement. Elle s’est, pour l’heure, contentée de sanctions minimes contre le Burkina. Mardi, à l’issue d’une rencontre, le président de la commission de la Cédéao s’est félicité de « très bons échanges » avec le pouvoir, tandis que le représentant de l’ONU le disait « très ouvert ». Peu avant, toutefois, la publication d’un « acte fondamental » sorte de nouvelle Constitution en 37 articles qui garantit les libertés tout en confiant le pouvoir au MPSR, a jeté un froid. « Ce texte, c’est du n’importe quoi, ça n’a aucun sens », s’agace ainsi un juriste burkinabé.

Cette publication n’étonne pas cet intellectuel qui tient à rester anonyme. « Ces militaires ne savent pas encore où ils vont. Ils ont parfaitement organisé le coup, mais ils ont dû précipiter les choses. Ils ne sont pas du tout préparés pour la suite », explique-t-il. Si, selon lui, ils apparaissent comme « calmes et peu tournés vers des positions extrêmes », il est « trop tôt pour savoir la direction qu’ils choisiront ».

L’exemple du Mali est de fait extrêmement populaire dans la jeunesse burkinabée qui y voit souvent une renaissance africaine et n’a jamais totalement cessé de rêver à un nouveau Thomas Sankara.

Tanguy BERTHEMET
Le Figaro
2 février 2022

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Source : www.asafrance.fr