CENTRAFRIQUE : Paris fait entendre sa voix dans le chaos centrafricain

Posté le vendredi 25 décembre 2020
CENTRAFRIQUE : Paris fait entendre sa voix dans le chaos centrafricain

Trois Mirage français ont survolé vendredi les axes menacés par la coalition rebelle.

Après avoir longtemps hésité, la France est à son tour entrée dans la crise en Centrafrique. Mercredi, trois Mirage de l’armée de l’Air et de l’Espace ont survolé la capitale, Bangui, puis, à basse altitude, les principales routes alentour. Ces axes sont depuis vendredi le théâtre de combats entre les forces loyalistes et une coalition de rebelles qui menacent la stabilité de la capitale. Pour Paris, l’objectif de la manœuvre est d’afficher clairement son soutien au gouvernement et au président Faustin-Archange Touadéra.

La chose n’allait pas de soi. Les relations entre la France et le président Touadéra sont notoirement tendues, notamment depuis que ce dernier a fait de la Russie son principal allié. Samedi, une lettre officielle des autorités centrafricaines à la France pour demander de tels survols n’avait pas eu de réponse. Mercredi matin, le président Emmanuel Macron s’est finalement entretenu au téléphone avec son homologue pour, selon une source française, « préciser les demandes ». Les autres sujets évoqués par les deux chefs d’État restent flous. Emmanuel Macron, très agacé par les virulentes campagnes antifrançaises conduites dans la presse centrafricaine et sur les réseaux sociaux, a sans doute demandé leur arrêt. « La France est très inquiète de la situation et ne pouvait pas rester sans intervenir. Un renversement par la force de Touadéra aurait été aussi son échec », souligne un diplomate ­africain.

Fébrilité ambiante 

Les survols, à l’efficacité aléatoire, ne suffiront de toute façon pas à faire baisser significativement la tension, ce dont Paris a parfaitement conscience. Signe de la fébrilité ambiante, un vent de panique a balayé mercredi Bangui en quelques minutes, replongeant d’un coup la capitale centrafricaine dans la guerre. Albin, un ingénieur joint au téléphone, raconte cette peur qui l’a rattrapé d’un coup comme aux pires heures de 2013. « J’étais à mon travail, dans le quartier Castor, quand j’ai entendu des bruits dehors. Je suis sorti et j’ai vu des gens qui fuyaient partout. » Alors lui aussi a pris ses jambes à son cou pour rentrer chez lui, sans se poser plus de questions. Ibrahim a vécu la même chose, à quelques kilomètres de là. « Tout le monde a peur. Les gens se sont précipités dans les écoles pour pendre les enfants puis se sont calfeutrés », dit-il. Le « PK0 » (point kilométrique 0) le centre-ville, n’a pas résisté à la vague de frayeur. En quelques instants, les rues se sont vidées à une encablure du palais présidentiel tandis que les commerçants fermaient boutique à la hâte. « On a quitté les lieux tout de suite », confirme Anis, qui affirme avoir vu dans une ruelle des gendarmes qui « enlevaient leurs uniformes pour mettre des habits civils » et se fondre ainsi dans la ­population.

« Cette panique fondée sur rien montre quel traumatisme touche toujours les populations », analyse le responsable d’une ONG. Dans l’après-midi, Bangui reprenait lentement vie, méfiante. La capitale n’a été en réalité la victime d’aucun coup de force. Des petits faits, grossis par la rumeur et les réseaux sociaux, ont suffi à créer l’effroi. Un convoi de soldats russes qui appuient les forces armées centrafricaines (Faca), de retour à Bangui pour ravitailler, qui vire à la débandade de militaires locaux, a laissé penser que les insurgés étaient aux portes de la ville.

« Une posture dangereuse » 

Seulement cette possibilité n’a rien d’un fantasme. Le mouvement rebelle, baptisé Coalition des patriotes pour la Centrafrique (CPC), a, depuis vendredi, pris plusieurs villes dans l’ouest du pays avant de les perdre. Selon plusieurs sources, des combats avaient néanmoins lieu mercredi près de Boali, à seulement 80 kilomètres de Bangui. À l’est, des hommes armés ont submergé Bambari, la quatrième ville du pays, avant de faire route vers Sibut. « Boali et Sibut sont les deux principaux accès à Bangui », souligne un observateur. Mercredi, on ignorait si ces mouvements avaient pour but de prendre la capitale ou simplement d’instaurer un quasi état de siège pour faire capoter les élections présidentielles prévues dimanche prochain.

Pour l’heure, le scrutin, en dépit de la situation chaotique, est toujours officiellement maintenu. Faustin-Archange Touadéra, largement favori pour sa propre succession il y a encore quelques jours, l’affirme. Mardi, Mankeur Ndiaye, le représentant de l’ONU en Centrafrique, soutenu par l’ensemble de la communauté internationale, assurait lui aussi curieusement que « les conditions étaient réunies » pour organiser le vote. « C’est une posture dangereuse, assure une source bien placée. Tout monde sait en réalité qu’une élection crédible dans de telles conditions est absolument impossible. Mais personne ne veut donner l’impression de céder à la violence et aux rebelles. On cherche à gagner du temps mais nous n’en avons plus beaucoup. »

 

Tanguy BERTHEMET
Le Figaro
24 décembre 2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr