La différence entre les victimes et les héros. LIBRE OPINION du Général (2s) Bruno DARY 

Posté le mercredi 15 mai 2019
La différence entre les victimes et les héros. LIBRE OPINION du Général (2s) Bruno DARY 

Cette « amère victoire »
nous rappelle la différence entre les victimes et les héros.

 

Le général d’armée (2s) * rend hommage à Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, les soldats d’élite tués dans la libération des otages au Bénin. Il rappelle que l’héroïsme des militaires est d’abord ordinaire.

 

Le dénouement heureux de la prise d’otages au Bénin ne doit pas occulter son coût, à savoir la mort de deux soldats français ! La souffrance et la mort étant souvent associées, l’habitude permet d’évoquer indifféremment « le sang et les larmes », surtout depuis que Joseph Kessel et Maurice Druon ont magnifié le sacrifice des résistants de la Seconde Guerre mondiale dans leur célèbre chant. On le comprenait bien à cette époque, car l’enjeu de la guerre était si élevé que compassion et douleur étaient confondues, et les risques afférents étaient tels que la blessure allait de pair avec la mort.

Or la libération des otages du Bénin nous ramène à la réalité, car si quatre vies ont été sauvées, deux commandos-marine ont trouvé la mort au combat. Cette « amère victoire » montre de façon brutale et dramatique que le sang et les larmes ne sont pas de même nature et ne peuvent pas être confondus, que si le sang appelle les larmes, les larmes ne justifient pas tout et qu’une victime n’est pas un héros.

En effet, d’un côté, les victimes sont deux concitoyens, qui décident d’aller passer des vacances au Bénin, pays en général calme, quoique les derniers événements de Cotonou montrent que rien n’est jamais sûr et qu’un rien de vigilance est toujours nécessaire. Toutefois, ils s’aventurent dans le nord du pays, zone trouble où braconniers, trafiquants et islamistes créent un climat permanent d’incertitude, où le prix de la vie humaine ne vaut plus grand-chose, sauf celle des Occidentaux, qui peuvent toujours constituer une monnaie d’échange. Et lorsque la prise d’otages survient, qui oserait ne pas s’apitoyer sur le sort des deux compatriotes et craindre pour leur vie ? Par compassion, qui pourrait rester insensible aux larmes versées par leurs proches et qui oserait émettre une seule remarque désobligeante ? Nul ne contestera qu’ils sont des victimes du terrorisme ! Mais, maintenant qu’ils sont sains et saufs, il semble difficile de ne pas s’interroger sur leur imprudence (voire leur insouciance ?). Mais laissons simplement leur propre conscience les interpeller…

Et de l’autre, les héros sont deux commandos-marine, qui appartenaient aux forces spéciales françaises ; dans le cadre des opérations conduites depuis plusieurs années par l’armée française dans la bande sahélienne, ils conduisaient sans relâche un combat difficile contre le terrorisme islamiste ; car ces éléments incontrôlés et incontrôlables vivent parmi la population, camouflent leurs armes, se servent des hommes et des femmes comme bouclier humain et attaquent toujours masqués. Ces soldats aussi sont des citoyens français, des jeunes gens qui se sont engagés dans l’armée française et qui ont choisi volontairement de servir dans ce que l’on fait de mieux et de plus exigeant, les forces spéciales. Mais ils ne se sont pas engagés pour mourir ! Contrairement à ce que certains esprits caustiques affirment un peu rapidement, ils ne sont pas « payés pour mourir »: comme tous leurs frères d’armes, ils se sont engagés pour défendre la France, ses intérêts et sa population, quitte à risquer leur vie pour accomplir leur mission. Leurs chefs, conscients du prix de la vie et soucieux des risques pris quotidiennement par leurs hommes, observent, réfléchissent, étudient, expérimentent et conçoivent les meilleurs systèmes d’armes pour les protéger, pour accroître leurs performances et leur efficacité et ainsi assurer la victoire au moindre coût.

La tristesse et l’amertume, que chacun aura forcément au fond du cœur, ce mardi aux Invalides, ne seront que la traduction de notre époque, à la fois idéaliste et paradoxale : idéaliste, car les progrès et l’absence de guerre sur le territoire national depuis presque trois quarts de siècle ont fait reculer l’échéance d’un conflit majeur et fait croire à une paix éternelle ; mais aussi paradoxale, car, à se croire invulnérable, on en vient à évacuer les risques et à oublier la mort ! Mais le paradoxe va plus loin, car, dans la société où l’on vit, l’émotion est reine, à tel point que le statut de victime permet de tout dire, sans que personne ne puisse faire de reproches. En revanche, pour les soldats engagés en opérations, à l’instar de ce qu’écrivait le supérieur des moines de Tibéhirine, « l’héroïsme ne consiste pas à faire des actes extraordinaires, mais à continuer de faire les choses ordinaires, même lorsque les circonstances ont radicalement changé et comportent la possibilité de conséquences tragiques ! »

Enfin, tout chef qui conduit un compagnon d’armes à sa dernière demeure après l’avoir conduit au combat, ressent plus que tout autre ce goût amer. Il se demande toujours s’il n’aurait pas été possible de faire autrement, si les mesures prises ont été suffisantes, si les risques pris n’ont pas été trop lourds… car le remord se paie encore plus cher que le courage.

Et puis, au-delà de l’amertume, il existe celles que l’on ne voit pas, que l’on n’entend pas et pour lesquelles les mots sont peu de chose: les familles. Depuis quelques jours, elles pleurent en silence, loin du bruit, de la foule et des médias. Car le garçon qu’elles ont conçu, porté et élevé et dont elles étaient si fières n’est plus. Car le mari ou le compagnon de route, avec lequel elles ont vécu des instants inoubliables et trop courts, est parti pour toujours, emporté par la passion de son métier. Car le papa, avec qui ils jouaient sur la plage, ne les accompagnera plus jamais à l’école. Si la France a perdu deux de ses enfants, si les armées ont perdu deux frères d’armes, deux familles ont perdu « la chair de leur chair »…

Général (2s) Bruno DARY
Le Figaro


* Président du Comité de la flamme sous l’Arc de triomphe.
Ancien chef de corps du 2e REP.
Ancien commandant de la Légion étrangère.

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr