Comprendre la GUERRE ECONOMIQUE : INTERVIEW du professeur Nicolas MOINET par Bruno RACOUCHOT directeur de COMES communication.

Posté le vendredi 13 juillet 2018
Comprendre la GUERRE ECONOMIQUE : INTERVIEW du professeur Nicolas MOINET  par Bruno RACOUCHOT directeur de COMES communication.

Enfin un ouvrage consacré aux combattants de l'ombre de la guerre économique ! Considérés comme des soldats d'élite voire des seigneurs au sein des plus grandes puissances mondiales, ils sont en France ignorés, incompris, voire méprisés tant par l'université que par les grands patrons ou les politiques.
Professeur des universités au profil atypique et praticien reconnu de l'intelligence économique (IE), Nicolas Moinet leur rend hommage en contant leur saga depuis trente ans : Les sentiers de la guerre économique – L'école des nouveaux "espions" (VA Editions, 2018).

Chefs d'entreprise, chercheurs, journalistes d'investigation, fonctionnaires, étudiants en IE, experts en guerre informationnelle… leurs profils sont variés mais leur détermination reste la même : faire gagner la France dans la guerre économique qui fait rage à l'échelle planétaire.

Dans l'entretien qu'il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, Nicolas Moinet retrace leurs combats et les épreuves traversées. Un livre bourré d'anecdotes, toutes authentiques, avec à la clé, une leçon magistrale : comment, à force d'intelligence et de ténacité, une poignée de femmes et d'hommes a su monter l'école des nouveaux "espions".

 

Quel rôle occupent aujourd'hui les jeux d'influence et de contre-influence dans la guerre économique ? Qu'en sera-t-il demain d'après vos observations ?

Le rôle de l’influence dans la guerre économique est majeur. Pour bien planter le décor, arrêtons-nous sur cette citation de Jacqueline Russ, une théoricienne du pouvoir qui écrit : "Des normes, des pouvoirs, des systèmes d’information : le pouvoir contemporain dessine ses multiples figures sur fond de société ouverte, à l’intérieur d’un ensemble dynamique. Une société, en effet, ne se définit pas seulement par des règles contraignantes et le maintien d’une organisation. Elle désigne aussi un système ouvert et une capacité adaptative. (...) Le pouvoir contemporain gère, avec une subtilité extrême, le désordre qu’il prend en charge. Tout pouvoir, nous le savons, gère le désordre. Or cette gestion actuelle du désordre s’opère par des systèmes de communication, par des normes, par des stratégies ouvertes, par des dominations masquées et déguisées." (J. Russ, Les théories du pouvoir, Le livre de poche, 1994, pp. 313318).

En ce qui me concerne, j’ai véritablement compris l’influence et le soft power en travaillant sur les actions philanthropiques des fondations Soros en Europe de l’Est dès les années 90. Si elle défraie encore aujourd’hui la chronique, l’action du milliardaire américain ne date pourtant pas d’hier et c’est bien là toute sa force : travailler dans la durée et cacher dans la lumière (un stratagème vieux comme le monde) en s’appuyant sur la théorie du complot pour stopper court à toute analyse en profondeur. Pourtant, les actions d’influence actuelles des Open Society Foundations, comme le financement du parti indépendantiste catalan ne doivent rien au hasard.

Revenons quelques décennies en arrière, lorsque qu’après la chute du mur de Berlin, le réseau du spéculateur philanthrope américain finance déjà de nombreux programmes liés à la formation des élites dans les ex-pays de l’Est comme l’Université d’Europe Centrale à Prague et à Budapest. En Russie, de nombreux chercheurs ne travaillent plus à cette époque que grâce aux subventions de l’International Science Foundation qui financera même l’arrivée de l’Internet. Et force est de constater que ces actions fort louables sont systématiquement en phase avec les intérêts stratégiques des Etats-Unis et interviennent là où la diplomatie américaine ne peut être officiellement…Tant et si bien que Mark Palmer, ambassadeur des Etats-Unis à Budapest, confiera à l’époque : "Si j’avais à choisir entre fermer la Fondation Soros ou mon ambassade, je choisirai l’ambassade". 

Au-delà de cet exemple, je suis persuadé que ce rôle des jeux d’influence et de contre-influence est appelé à s’accroître dans les années à venir, tant ceux-ci sont en phase avec nos sociétés dites post-modernes. Nous acceptons difficilement l’usage de la force et avons désormais, dans la plupart des pays, un système composé de trois pôles : un pôle autocratique, un pôle médiatique et un pôle de radicalités. Le pôle autocratique appelle un pouvoir politique fort où les décisions sont concentrées dans les mains d’une poignée de décideurs qui fait corps (d’où le préfixe "auto"). On pense tout de suite à certains régimes autoritaires mais cette autocratie peut également prendre les aspects d’une démocratie dès lors que c’est la technostructure qui gouverne et possède les principaux leviers du pouvoir.  Nous retrouvons bien là l’idée que "le  pouvoir contemporain dessine ses multiples figures sur fond de société ouverte". D’où la nécessité de "contrôler" les médias. Une histoire qui n’est pas nouvelle.

Mais ce qui est nouveau, c’est la nécessité à la fois de créer du désordre et de le gérer "par des systèmes de communication, par des normes, par des stratégies ouvertes, par des dominations masquées et déguisées."   Et ce dans un écosystème médiatique qui se complexifie, notamment avec l’arrivée des réseaux sociaux numériques, qui se trouve être également le terrain de jeu du troisième pôle, celui des radicalités. Là encore, il ne s’agit pas de génération spontanée et les racines sont profondes. Sur le fond, l’usage de technologies nouvelles à des fins subversives est ancienne mais ce qui est réellement nouveau, c’est l’étendue du champ d’action et la fulgurance des manœuvres. Jamais l’effet de levier n’a été aussi fort.
Un exemple parlant vécu dernièrement est celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou comment un groupe de zadistes finit par faire plier l’Etat et annuler une décision politique au prix fort. De même, l’action d’une association comme L214 est remarquable – quoi qu’on en pense sur le fond – en terme d’influence. Des petits commandos de bénévoles déstabilisent toute une filière économique et l’agilité des premiers aboutit à la paralysie partielle de la seconde. Remarquons que les multinationales ne sont pas en reste comme l’atteste l’action de Monsanto (Bayer) sur le Glyphosate ou la capacité de certaines industries (tabac, agro-alimentaire, pharmaceutique) à créer de l’ignorance (Agnotologie) pour vendre pendant des décennies des produits nocifs pour la santé…

Toujours en matière de guerre économique, quels pays sont en pointe dans ces questions d'influence ? Les Français sont-ils dans la course ?

Il faut regarder du côté du Japon, de l’Angleterre, de l’Allemagne et de pays plus discrets comme la Norvège. Mais les Etats-Unis restent évidemment LE modèle du genre. L’influence est dans l’ADN de cette hyperpuissance paradoxale qui fabrique des guerres et des bulles (financière, immobilière, bientôt éducative et écologique) à grand coup d’innovations technologiques et de Blockbusters culturels.
La fascination de nos élites pour ce modèle est elle-même fascinante surtout quand on sait qu’elle est le fruit d’une politique d’influence qui ne doit rien au hasard (voir à ce sujet le programme "Young Leaders" de la French-American Foundation qui repère les futures élites). Servitude volontaire ? Je m’interroge toujours sur ces organismes publics de recherche français qui incitent leurs chercheurs à publier dans des revues anglo-américaines privées en validant et même renforçant des classements (Ranking) plus que contestables. Alors qu’il suffirait aux responsables européens de proposer des revues internationales multilingues en accès libres afin de briser un monopole qui se transforme inévitablement en avantage économique.

Quant à la France, elle est assez paradoxale sur cette dimension de l’influence. Sur une mappemonde, nous ne sommes pas grand-chose mais dans les faits notre soft power est loin d’être négligeable dès lors que l’on arrive à jouer collectif et à oublier un peu l’arrogance qui nous est souvent reprochée. Récemment, un lobbyiste français m’expliquait la différence entre les Anglo-saxons et les Français : "Les Français, me confiait-il, veulent avoir raison quand les Anglo-saxons veulent simplement gagner". J’ai effectivement pu vérifier de près cette idée dans le cas des JO 2012 ou comment l’arrogance française conjuguée au refus de faire du lobbying nous vaudra une troisième défaite consécutive. Sommes-nous incapables d’apprendre ? La récente victoire à l’organisation des JO 2024 a de quoi nous rassurer. Mais il aura fallu du temps pour faire oublier cette phrase du maire de Paris de l’époque la veille du vote du CIO (qu’il pensait acquis à Paris 2012 et qui verra la victoire de Londres) : "Nous n’avons pas la culture du lobbying anglo-saxon qui a ses qualités et ses défauts. Il ne faut pas interpréter une musique pour laquelle nous n’avons pas de talent." Du temps, il nous en aura donc fallu, tout comme de l’humilité : faire appel au meilleur lobbyiste du monde, Mike Lee, un Anglais...    

 

Interview de Nicolas MOINET
par Bruno RACOUCHOT ,
Directeur de COMES communication

www.comes-communication.com
www.communicationetinfluence.fr

 

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Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr