EGO et AUTORITÉ : Extrait de l'intervention du général Pierre de VILLIERS au sommet de l'économie de Challenges

Posté le samedi 08 décembre 2018
EGO et AUTORITÉ : Extrait de l'intervention du général Pierre de VILLIERS au sommet de l'économie de Challenges

 

Invité à clore 5e Sommet de l'économie de Challenges, l'ancien chef d'état-major des Armées a livré un message d'apaisement à une France « fracturée ». Tout en appelant les chefs, d'Etat comme d'entreprises, à se remettre en cause.

Depuis mi-novembre, son nom est sur toutes les lèvres. Celles de certains gilets jaunes, à la recherche d'un homme providentiel. Celles des centristes de l'UDI, en quête d'une tête de liste aux européennes. Invité à clore le 5e Sommet de l'économie de Challenges, au Palais de Tokyo, le général Pierre de Villiers a sifflé la fin de la récréation : pas question de viser un quelconque poste de pouvoir, ni de verser dans la polémique politicienne. « Je suis un soldat, pas un homme politique, a martelé l'ancien chef d'état-major des armées. Je n'ai pas envie de commenter l'actualité : j'ai subi moi-même des commentateurs et des chronométreurs, qui commentaient pendant que je courais autour de la piste. Dans la situation actuelle, je pense qu'il faut être responsable.»

A la veille d'un possible nouveau samedi noir, le général de Villiers n'en dresse pas moins un diagnostic inquiétant sur l'état actuel de la France, développé dans son dernier ouvrage, Qu'est ce qu'un chef ? (éd. Fayard). « On est passé de l'espérance à l'inquiétude, puis au doute, puis à la colère, résume le Vendéen, reconverti dans le conseil aux entreprises et aux organisations. En politique, dans les entreprises, les clubs de sport, les associations, partout, l'autorité est contestée. Il y a un fossé entre les responsables qui décident et ceux qui agissent. »

Honte aux casseurs

Pourquoi ? Parce que dans une société fracturée, « l'homme se sent perdu, ignoré, peu considéré, estime Pierre de Villiers. A la base, les gens ne savent plus où ils sont.» Le numérique, qui devait être un facteur de simplification, se révèle un facteur de complexité : « On a le numérique, et on a gardé les papiers », estime le Vendéen. Plus grave, l'Etat se replie souvent loin des administrés. « Quand on a besoin d'économies, on rationalise, on regroupe, avec ce terme formidable de « guichet unique ». Les Français ne veulent plus ça. On a trop éloigné le citoyen de sa zone de vie quotidienne, il faut recréer de la proximité. » Surtout, déplore l'ancien chef d'état-major, la vision de long terme, le cap indispensable à une action politique efficace, a disparu. « Nous sommes dans la tactique, pas dans la stratégie. Il faut revenir au temps stratégique. »

Pour le général de Villiers, la solution à cette fracture, dont le mouvement des gilets jaunes est un révélateur, ne peut passer que par un retour aux fondamentaux. D'un côté, l'humanité, l' « écoute de signaux faibles, qui ne sont plus si faibles », de la détresse exprimée. De l'autre, la fermeté et le respect de la loi. Pierre de Villiers ne trouve ainsi aucune excuse aux casseurs des Champs-Elysées. « J'ai été profondément choqué, dans mes tripes, par ce que j'ai vu samedi soir à l'Arc de Triomphe. Nous, on n'est pas des comédiens, on ne fait pas des prises d'armes comme des pièces de théâtre. Quand je vais au pied du soldat inconnu, c'est l'origine de ma vocation militaire. J'ai conduit des hommes à la guerre, au combat, jusqu'au sacrifice suprême pour ça. Qu'on laisse saccager ce symbole de la République m'a fait très mal. On ne peut pas laisser faire ça ! »

Soif d'autorité paradoxale

Pierre de Villiers assure aussi que les chefs, d'Etat comme d'entreprises, ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion sur leur façon de diriger. Le cocktail idéal, souligne-t-il, est un équilibre subtil, entre fermeté et dialogue, audace et prudence. L'ancien chef d'état-major cite cinq qualités-clés : exemplarité, authenticité, optimisme, humilité et ouverture. « On voit trop de comédiens dans un univers balzacien, et de "tout à l'égo", où chacun pense à soi. Toute autorité est un service : c'est faire s'élever les autres, pas faire pression depuis le haut. Si tout le monde fonctionnait comme ceci, tout irait mieux. »

Quand on lui demande pourquoi certains voient l'ancien chef d'état-major qu'il est comme recours, Pierre de Villiers tente de remettre les choses en perspective. Certains, par cet appel, « recherchent de l'autorité », ce qui "un grand paradoxe". « Il y a une soif d'autorité, mais une difficulté à l'assumer du fait la colère. Les gens viennent chercher en ma personne, qui représente l'institution militaire, un équilibre, une autorité, une voix plutôt calme et posée qui inspire, comme l'armée, la protection »
Pour autant, Pierre de Villiers refuse à nouveau tout costume d'homme providentiel. « Je suis un homme public par effraction, je suis resté 43 ans dans l'ombre », rappelle-t-il.

A voir l'accueil réservé à son discours, la lumière ne lui sied pas si mal.

 

Vincent LAMIGEON
le 07.12.2018  
https://www.challenges.fr

 

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