EQUIPEMENT. Stabilité, export et char léger au menu du rachat potentiel d’Arquus par John Cokerill

Posté le mercredi 14 février 2024
EQUIPEMENT. Stabilité, export et char léger au menu du rachat potentiel d’Arquus par John Cokerill

Ni fermeture de site, ni réduction massive des effectif en vue pour Arquus, mais la recherche d’un meilleur ancrage à l’export en misant, entre autres, sur les volumes et l’émergence de nouvelles plateformes. C’est l’un des messages transmis mercredi dernier par le PDG de John Cockerill, depuis peu en négociations exclusives avec le groupe suédois Volvo pour le rachat de cet acteur majeur de la filière de défense terrestre française. 

Rassurer et développer

Après plusieurs sorties dans la presse, place au « grand oral » face à la Commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale pour François Michel, venu mercredi dernier présenter le projet d’acquisition d’Arquus par une entreprise certes étrangère mais plutôt francophile. Interpellé à plusieurs reprises sur d’éventuelles restructurations, le PDG de John Cockeri s’est voulu rassurant : « pas question de diviser par deux le nombre d’effectif chez Arquus, ce n’est pas du tout le sujet ».

« Il n’est absolument pas question de rationaliser ou de supprimer des sites, ni de remanier la direction d’Arquus », assure celui qui a entamé sa carrière aux Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, là où est installé l’un des sites d’Arquus. « Il n’y a aucun projet, aucun scénario où nous prévoyons de réduire significativement cette main d’oeuvre », poursuit-il, son entreprise ayant notamment pris « l’engagement très ferme de ne jamais toucher au site de Saint-Nazaire ».

L’un des enjeux de John Cockerill sera donc de garantir la stabilité dans la durée, notamment pour les grands et moins grands chantiers en cours. La suite de SCORPION, par exemple, programme majeur de renouvellement du segment médian de l’armée de Terre pratiquement parvenu au tiers de sa cible globale et pour lequel Arquus apporte des solutions de mobilité et d’autoprotection. Idem pour le programme VTCFS, dont les véhicules PLFS et VLFS sont attendus depuis longtemps par les forces spéciales françaises. Sans oublier un soutien des flottes de camions et autres châssis de CAESAR estampillés Arquus pour lequel la conservation de « liens  très, très forts » avec Renault Trucks s’avèrera primordiale. 

Acteur de premier plan dans le domaine des énergies, John Cockerill entend conserver la dynamique engagée pour « verdir » les armées françaises. Une réflexion illustrée, entre autres, par ce démonstrateur de Griffon hybride sur lequel Arquus travaille. « Nous allons travailler très activement avec Arquus à la décarbonation du parc de véhicules de l’armée », confirme François Michel, qui croit « beaucoup à la bi-carburation entre des carburants verts qui peuvent être utilisés au quotidien et des carburants un peu moins verts mais qui, en cas de crise, peuvent être plus stables ou plus utilisables sur le champ de bataille ».  

Pas d’ « effet Photonis » en perspective donc, dont la tentative de rachat par un groupe américain avait suscité l’émoi des parlementaires français et un sursaut de protectionisme de la part de Bercy. Mais la confiance n’écarte pas la prudence. Faudra-t-il encore renforcer la protection de certains actifs stratégiques face à d’éventuelles prédations étrangères ? « Peut-être, nous avons des discussions en ce sens avec les gouvernements tant en France qu’en Belgique et nous pourrions voir des mouvements de ce type arriver dans les prochains mois », pronostique François Michel. 

Une stratégie orientée verts l’export

S’il se concrétise, ce rapprochement franco-belge aura pour finalité de « façonner un acteur de premier plan dans un segment bien particulier qui est celui des chars légers et en mettant un accent particulier sur la conquête des marchés internationaux », résumait François Michel. Un « champion européen de la défense » qui devrait peser 1 Md€ et rassembler 2000 employés d’ici à 2026, mais dont le développement passera nécessairement par un effort à l’export. 

Confronté à un marché national réduit au minimum, c’est vers l’extérieur des frontières belges que John Cockerill Defense s’est naturellement tourné pour construire sa clientèle et, ce faisant, la quasi totalité de son chiffre d’affaires. « Ce que l’on sait faire, c’est exporter », se félicite le chef d’entreprise. Au contraire d’Arquus qui, bien qu’en lice pour plusieurs marchés et après avoir investi dans la réorganisation et la modernisation de ses sites industriels, « n’a pas pu se déployer pleinement à l’international » et a vu ses résultats fondre au cours des derniers exercices.

Les opportunités ne manquent pas dans le segment envisagé, signale John Cockerill. Dans « un marché mondial très dynamique », certaines zones émergentes expriment des besoins aux « volumes qui peuvent être quatre à cinq fois supérieurs aux besoins combinés de l’armée français et de l’armée belge ». Le groupe estime ainsi avoir « une grande carte à jouer » auprès de certains débouchés moins sanctuarisés par la Russie qu’auparavant. L’Inde par exemple, pays avec lequel la relation de défense avec la France vient d’être réaffirmée à l’aune d’un nouveau déplacement présidentiel et dans lequel JCD est aujourd’hui bien positionné. 

Que ce soit en Inde ou ailleurs, capter ces volumes permettra de réduire les coûts, « c’est ce sur quoi nous travaillons aujourd’hui ». « Impossible d’avoir une industrie de défense compétitive si elle ne recherche pas le volume dans des grands programmes exports (…) C’est ce qui nous permettra de tirer notre épingle du jeu et d’avoir un outil compétitif », note François Michel. Le tout sans s’interdire un rapprochement avec des industries locales dont certaines ont l’art de faire tiquer – à tort ou à raison – la filière française. L’un des plus gros contrats décrochés par JCD ne découle-t-il pas d’une alliance avec la filiale canadienne du groupe américain General Dynamics ?

Faire de l’union une force

Face à un marché d’autant plus concurrentiel que de plus en plus pays poussent leurs fournisseurs nationaux, la différenciation implique d’aborder la prospection avec le juste degré de technologie et de savoir-faire. « Nous avons été dans beaucoup de trop de directions et nous avons des produits qui, in fine, sont trop complexes et beaucoup trop chers par rapport à ce que nos États peuvent se permettre », relève François Michel. Selon lui, le défi à relever sera de construire une industrie capable de produire en masse et à bas coûts un matériel robuste, polyvalent et adapté aux nouveaux enjeux stratégiques et tactiques, notamment ceux liés à la lutte anti-drones. Robustesse et capacité à monter rapidement en charge deviendraient dès lors deux paramètres essentiels d’un effort développement.

Le contexte paraît propice à la résurgence de plateformes plus légères, les engagements militaires récents ayant « mis en lumière les vulnérabilités de certains chars lourds face aux défis spécifiques des milieux urbains ou des tactiques de guérilla ». D’autres voies sont maintenant explorées par certaines armées pour maintenir une puissance de feu importante tout en parvenant à contrer les menaces croissantes que représentent les drones armés, munitions téléopérées et autres obus guidés, une réflexion en partie à l’origine du M10 Booker américain ou du Sabrah israélien. 

Si tourelles et véhicules estampillés JCD et Arquus seront encore proposés séparément, cette logique s’accompagnera du développement de plateformes modulaires dans une logique d’export. « Nous sommes convaincus qu’en mariant des bonnes tourelles, qui sont compétitives, qui ont été construites pour des marchés exports et pas pour des marchés captifs, avec la force industrielle d’Arquus (…), en optimisant les plateformes ensemble, nous allons être capables d’offrir les deux pour exporter les deux ensembles », estime François Michel. 

Livrer plus vite et en quantités importantes nécessite également de réfléchir dès à présent à la réduction des cycles de production, autre cible dans le viseur de nombreux industriels de défense. Le groupe belge n’y coupe pas et a lui aussi embrayé en retravaillant des solutions entières, notamment privilégiant la standardisation de l’électronique. Si le groupe se disait incapable de livrer une tourelle en moins de deux ans avant l’éclatement du conflit russo-ukrainien, muscler la chaîne de sous-traitance et les stocks de composants électroniques et de canons aura permis de ramener ces délais à environ un an. Un résultat qui n’est sans doute pas suffisant au vu de la situation, mais qui représente néanmoins « des gains absolument considérables ».

L’intégration d’Arquus n’est peut-être qu’un point de départ vers quelque chose de plus grand. « Derrière, il peut y avoir des alliances ultérieures. Par exemple, avec KNDS ou avec d’autres groupes », souligne François Michel. Cette fusion à venir s’inscrit en effet « dans une grand complémentarité stratégique avec les orientations de notre partenaire, Nexter. Nexter a une offre immense, un savoir-faire immense, se concentre assez largement sur l’artillerie, les blindés lourds, les véhicules 8×8 alors que notre alliance, qui est complémentaire, cible un marché bien particulier qui est celui des véhicules blindés légers et standardisés ». Une perception prudente de l’avenir mais qui fait resurgir cette idée souvent évoquée lors des actions de consolidation, celle de l’émergence d’un véritable Airbus du terrestre.

Nicolas GAIN
Forces Opérations Blog - FOB
05/02/24

Source : Forces Opérations Blog - FOB