ESPACE : La filière spatiale espère un soutien renforcé de l’Europe pour amortir le choc de la crise

Posté le dimanche 10 mai 2020
ESPACE : La filière spatiale espère un soutien renforcé de l’Europe pour amortir le choc de la crise

Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace, tire le signal d’alarme Le compte à rebours redémarrera lundi 11 mai à Kourou. Après huit semaines d’arrêt, l’activité va reprendre sur la base spatiale guyanaise autour du pas de tir de la fusée Vega. Son lancement, initialement programmé le 23 mars, soit six jours après le début du confinement, est désormais prévu mi­juin. Avec près de trois mois de retard.
« Nous étions prêts, les 53 satellites étaient déjà à bord », raconte Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace. Pour lui, ce retour en vol a d’autant plus d’importance qu’il permet de valider le premier lancement groupé de petits satellites par une fusée européenne.

« C’est donc une mission pas tout à fait comme les autres », concède­t­il, car ce sera aussi la première intégrant les mesures sanitaires liées au Covid­19. Même si le virus circule quatre fois moins en Guyane qu’en métropole, il s’agit de protéger les 200 à 300 personnes qui viennent à chaque mission pour préparer les lancements, ainsi que les 1 700 salariés du centre et la population locale. Les « missionnaires », testés avant leur départ, seront soumis à l’arrivée à une quatorzaine dans des hôtels avoisinants. Sur la base, les règles de distanciation sociale et de port du masque vont être appliquées. Les clients ne seront plus invités à assister à la mise en orbite de leurs satellites.

La pandémie a conduit à l’arrêt de trois campagnes de tir : une avec Vega et deux avec Soyouz. « Ces trois mois d’activités interrompues entraînent des surcoûts. Cette suspension, pleinement légitime d’un point de vue sanitaire, pourrait avoir des conséquences sur le nombre total de lancements effectués en 2020 », dit M. Israël. Le retard sera­t­il comblé ? « Nous avions réussi à le faire en 2017, après un long mouvement social au printemps, nous allons tout faire pour, mais cette fois cela risque d’être plus compliqué. » Car, pour le patron d’Arianespace, « tant qu’on sera en mode Covid­19, la productivité sera plus faible dans l’ensemble de la filière ». Les usines tournent au ralenti tout comme les bureaux d’étude, le travail dans les open spaces va être très compliqué à organiser. D’où le retard que prend la fabrication d’Ariane 6, la fusée appelée à concurrencer la Falcon 9 de l’américain Space X, avec laquelle Elon Musk a ébranlé le marché, cassant les prix et proposant des mises en orbite nettement moins chères que celles d’Ariane 5. Le premier vol commercial de la fusée européenne prévu à la fin de l’année n’est plus qu’un rêve et ne devrait pas avoir lieu avant 2021. Un nouveau calendrier devrait être défini en juin lors de la réunion de l’Agence spatiale européenne.

« Les impacts du Covid­19 sur nos industries spatiales sont sérieux à court et moyen terme, s’alarme Stéphane Israël. Plus que jamais, nous avons besoin d’une mobilisation publique pour soutenir ce secteur stratégique et localisé. » Car aux retards de lancements s’ajoutent les craintes de reports par les clients de mise en orbite de satellites ou, pire, d’abandons de projets, à commencer par ceux destinés au trafic aérien, un secteur lourdement pénalisé par la crise due au coronavirus. « Nous devons évaluer l’impact de cette crise sur ce marché, qui a tiré de nouveaux projets », reconnaît le patron d’Arianespace. Les opérateurs de satellites sont les plus exposés pour d’autres projets concernant la mobilité allant jusqu’en 2022­2023, sans compter également le manque d’événements sportifs à transmettre pour les chaînes de télévision. OneWeb en difficulté De plus, le 27 mars, le projet de constellation de satellites OneWeb s’est placé sous « Chapter 11 » aux Etats­Unis, l’équivalent d’un plan de sauvegarde, faute d’avoir réussi à lever 2 milliards de dollars (1,85 milliard d’euros) dans un contexte de « turbulences de marché liées à la propagation du Covid­19 ».

Le japonais Softbank, principal financeur de la jeune pousse britannique, lui a retiré son soutien. Un coup dur pour Arianespace et Airbus, les deux grands partenaires de OneWeb, qui entend fournir une couverture mondiale d’Internet haut débit avec 650 satellites en orbite basse à horizon 2021 (dont 74 déjà lancés). Selon les documents déposés par l’entreprise en difficulté, cette dernière doit 238 millions de dollars à Arianespace. Un montant que M. Israël ne souhaite pas commenter. « Nous défendons nos droits en tant que créancier », se borne­t­il à indiquer.

A ce stade, une bagarre se profile pour la reprise des fréquences attribuées à OneWeb, mais rien ne laisse penser que l’infrastructure prévue verra le jour, alors que la caravane de satellites lancés par Space X, pour sa constellation Starlink, destinée également à fournir de l’Internet haut débit partout, n’en finit pas de troubler le ciel nocturne. « La question d’une constellation européenne de satellites en orbite basse se pose plus que jamais. La pandémie a montré à quel point nous avions besoin de plus de connectivité et de résilience, que ce soit pour les besoins souverains ou pour couvrir les zones mal desservies. Les infrastructures terrestres ne peuvent pas être la seule solution », prévient M. Israël, pour qui « la fragilité d’une partie du marché commercial oblige à renforcer les projets institutionnels émanant de gouvernements ou de l’Europe ». Et de pronostiquer : « Dans un monde où les déplacements physiques deviennent plus difficiles, la rivalité entre les grandes puissances dans l’espace ne peut que s’intensifier. »

 

Isabelle CHAPERON et Dominique GALLOIS
Le Monde

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr