EUROPE : La France et l'Allemagne se disputent le leadership de la défense de l'Europe (2/3). LIBRE OPINION de Michel CABIROL.

Posté le vendredi 09 novembre 2018
EUROPE : La France et l'Allemagne se disputent le leadership de la défense de l'Europe (2/3). LIBRE OPINION de Michel CABIROL.

Europe de la défense ou défense de l'Europe ? Alors que l'Europe de la défense peine à émerger, la défense de l'Europe trace son sillon chez la plupart des pays européens. Et la France s’époumone à tenter de suivre l'Allemagne.

En dépit de l'entente cordiale affichée entre les deux pays, la France et l'Allemagne se livrent à une véritable guerre souterraine pour prendre le leadership de l'Europe de la défense. Si Paris joue à fond cette carte (la mauvaise?), Berlin mise avant tout par tradition, pragmatisme, voire opportunisme, sur l'OTAN et pourquoi pas de temps en temps sur l'Europe de la défense. La ministre de la Défense allemande a été très claire début septembre lors de sa visite à Paris dans le cadre de la 16e Université d'été de la défense consacrée à l'autonomie stratégique de l'Europe. Tout en félicitant la France de son projet d'Initiative européenne d'intervention (IEI), Ursula von der Leyen avait rappelé qu'une "analyse objective de la situation stratégique conduit également à la conclusion que l'OTAN reste indispensable pour la défense collective et la sécurité de l'Europe". L'Allemagne a pleinement saisi le concept de nation-cadre ("Framework Nation Concept"- FNC) élaboré par l'OTAN à partir de 2012.

Tout est dit. L'Europe de la défense reste l'affaire de l'OTAN, donc indirectement de Washington. Tout comme l'Allemagne, qui n'a pas encore de culture d'autonomie stratégique, de nombreux pays qu'ils soient au sud, au nord ou à l'est de l'Europe, n'ont aucun état d'âme ni de regret à sous-traiter leur sécurité aux Etats-Unis. A l'Europe de la défense, ils préfèrent la défense de l'Europe, via l'OTAN. Résultats, les choix sur des programmes majeurs de souveraineté nationale en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Italie et au Royaume Uni en faveur du F-35 ainsi qu'en Suède, en Pologne et en Roumanie pour le système de défense aérien Patriot sont bien là pour rappeler la triste réalité d'une Europe de la défense marginalisée. Voire méprisée. Ainsi, la Suède est capable en l'espace d'une semaine d'acquérir le Patriot au détriment d'une offre européenne (France et Italie) moins chère, puis de signer une notification conjointe sur la coopération structurée permanente (CSP) en matière de défense de l'Europe. Pour la Suède, c'est le beurre et l'argent du beurre...

Paris relance la coopération franco-allemande

L'Europe de la défense reste donc une chimère poursuivie par la France principalement. Ce qui ne doit pas l'empêcher de continuer à ancrer cette vision chez ses voisins et au-delà mais en restant réaliste, c'est-à-dire en protégeant ses intérêts technologiques, industriels et politiques (dissuasion). Comme le fait d'ailleurs l'Allemagne avec beaucoup de succès. "Par principe autant que par souci d'économies", a estimé le député LREM du Finistère Jean-Charles Larsonneur, la loi de programmation militaire (LPM) prévoit que de nombreux programmes seront conduits en coopération avec certains des partenaires européens de la France, notamment avec l'Allemagne : système de combat aérien futur (SCAF), programme du char du futur, le Main Ground Combat System (MGCS), drone MALE européen, avions de patrouille maritime PATMAR du futur... Avec le Royaume-Uni, la France poursuit le système de lutte anti-mines futur (SLAMF) et le futur programmes de missiles FMAN et FMC (missiles de croisière).

La France, qui tente de profiter de Donald Trump à la tête des Etats-Unis pour faire avancer l'idée d'Europe de la défense, doit absolument profiter de cette double fenêtre pour avancer avec l'Allemagne tout en préservant ses intérêts. En dépit de son tropisme transatlantique, Berlin a donné son accord pour rejoindre Paris sur ces programmes. Par opportunisme ou pragmatisme ? "L'autonomie stratégique ne signifie pas se détourner de quelque chose, mais être libre de se tourner vers quelque chose : vers l'Union européenne de défense, a expliqué Ursula von der Leyen. L'Union européenne de défense constitue le bon choix pour renforcer la capacité d'action de l'Europe". A suivre.

L'Initiative européenne d'intervention de la France

Au vu des résultats peu probants de la France, sa vision de l'Europe de la défense a semble-t-il fait long feu pour contrer l'Allemagne, qui profite à plein du concept de nation-cadre de l'OTAN (FNC). Emmanuel Macron a tenté de casser la dynamique en lançant en septembre 2017 l'Initiative européenne d'intervention. L'IEI vise à favoriser l'émergence d'une culture stratégique européenne et à développer des coopérations opérationnelles pragmatiques, pour faciliter la mise en place d'une réponse coordonnée et rapide aux menaces et défis sécuritaires auxquels l'Europe est confrontée. L'IEI est "un forum indépendant de tout cadre institutionnel, tout en contribuant aux efforts de l'Union Européenne et de l'OTAN visant à renforcer la défense européenne", a expliqué Paris. Entre la défense européenne et l'Europe de la défense, la France a-t-elle déjà capitulé?

La ministre des Armées, Florence Parly, recevra mercredi pour la première fois depuis le lancement de l'IEI le 25 juin 2018, les ministres de la défense et des représentants des États participants. Cette première réunion ministérielle réunira les 9 pays membres - Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, France, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni. Elle sera suivie dès le 9 novembre par les premières discussions militaires de l'IEI, les Military European Strategic Talks (MEST), qui se tiendront entre les états-majors des Armées concernées. Cette initiative tardive lancée par la France pourra-t-elle concurrencer le concept otanien du FNC, véritable cheval de Troie pour l'industrie d'armement allemande? Pas sûr...

L'Allemagne a pris de l'avance

L'Allemagne a déjà pris de l'avance pour fédérer les pays européens de l'OTAN autour d'elle en mutualisant des capacités (logistiques, amphibies, sol-air, navales, etc.) et en suscitant des feuilles de route très ciblées : drone, centres de commandement et de contrôle Air (C2), etc... Une stratégie cohérente et efficace qui débouche souvent en Europe sur des ventes de matériels allemands, des partenariats industriels et des développements communs. Une stratégie qui est d'ailleurs vitale pour l'Allemagne qui s'impose des contraintes à l'exportation vers des pays tels que l'Arabie Saoudite, le Qatar.... Cette stratégie porte déjà ses fruits. C'est le cas en Norvège (sous-marins), aux Pays-Bas, en Lituanie et en Slovénie (Boxer) ou encore en Pologne (en gestation). Ainsi, la Brigade d'infanterie mécanisée "Iron Wolf" des forces armées lituaniennes, qui a été équipées de Boxer, a rejoint une division de l'armée allemande.

« Les États partenaires de l'Allemagne ont souscrit l'engagement de porter au standard le plus élevé leurs capacités des chars de combat, ce qui constitue une « formidable opportunité pour KMW », a démontré Jean-Charles Larsonneur dans son rapport sur l'équipement des forces et de la dissuasion. Cette opportunité est par nature d'autant plus grande que l'intégration des capacités militaires concernées est poussée ; or l'armée de terre néerlandaise ne pourrait désormais plus être déployée sans la Bundeswehr, tant leur intégration capacitaire est profonde. L'Allemagne, dans ce schéma, tient un rôle d'intégrateur des capacités européennes.

Dans ce contexte peu favorable pour la France, très souvent inexistante en matière d'exportations en Europe à l'exception du contrat de blindés en Belgique, le lancement en novembre 2017 d'une Coopération Structurée Permanente (CSP) pourrait être l'occasion d'un rééquilibrage des positionnements entre la France et l'Allemagne en Europe. Ce cadre permanent de coopération en matière de défense permettra aux États membres qui le souhaitent et qui le peuvent de développer conjointement des capacités de défense, d'investir dans des projets communs ou de renforcer l'état de préparation opérationnelle et la contribution de leurs forces armées. A la France de convaincre...

Michel CABIROL 
La Tribune

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr