GEOPOLITIQUE : Les longues racines heurtées de la relation sino-russes.

Posté le lundi 07 février 2022
GEOPOLITIQUE : Les longues racines heurtées de la relation sino-russes.

La première tentative de relation bilatérale sino-russe remonte à 1619 du temps de l’empereur Wang Li des MING. Elle s’était mal passée, puisque les émissaires russes admis à la cour n’avaient pas été reçus en audience et étaient repartis bredouilles.

Plus tard entre les deux empires – le Chinois et le Russe, et notamment pendant la suite des Romanov (1613 – 1917) coïncidant presque exactement avec les Qing – Tching - (1644 – 1911), deux dynasties impériales nées dans les révoltes ayant elles-mêmes été abattues presque en même temps par un violent soulèvement politique, la relation fut toujours empreinte de défiance.

Hélène Carrère d’Encausse, venue en 1998 à Panmunjom, visiter la ligne de démarcation et que j’avais longuement rencontrée à l’ambassade de France à Séoul, raconte que les Romanov avaient tiré profit de l’affaiblissement des Qing durant les guerres de l’opium, pour « effacer » - c’était son mot – de la relation le traité Nertchinsk signé en 1689, entre Ivan V, 4e souverain des Romanov et Kangxi, 4e Souverain des Qing.

 

Un lancinant problème de frontières.

Au moment où les Romanov s’aventuraient vers l’Est en Sibérie, le long des frontières communes avec l’empire chinois que sont les fleuves Amour depuis l’Est du lac Baïkal jusqu’à Khabarovsk et Oussouri au nord de Vladivostok, l’objet du traité était, pour les Russes et les Chinois de garantir les intérêts territoriaux des deux empires.

Mais, alors que les Qing étaient entrés dans une phase de déclin sous les coups des Occidentaux, un nouveau traité dit d’Aïgun (1858, très inégal) concédait à l’empire russe un territoire de près de 2 millions de kilomètres carrés au nord du fleuve Amour, jusqu’à l’est de l’Oussouri et Vladivostok. Dans cette région de l’Extrême-Orient russe, il eut pour effet stratégique d’écarter la Chine de la mer du Japon.  

Les Chinois en gardèrent une sérieuse amertume. Elle fut la longue racine des affrontements sino-russes en mars 1969, entre l’URSS de Brejnev et la Chine plongée par Mao dans la révolution culturelle, vaste soubresaut de « révolution permanente » chant du cygne chaotique du « grand timonier » avant sa mort en 1976. 

Après la chute des Qing et, suivant une période de coopération avec Tchang Kai-chek contre les seigneurs de la guerre, le Parti communiste chinois né en 1921 frisa la destruction totale à Shanghai en 1927 (Malraux : La condition humaine), l’armée nationaliste aidée par des société secrètes et les seigneurs de la guerre, contre lesquels Tchang se retournera pour assurer son pouvoir sur l’Empire.

 

Le pragmatisme de Staline entre Tchang Kai-chek et Mao.

Les relations du « Generalissimo » avec Staline furent empreintes de grande méfiance, tant il est vrai que la révolution chinoise de 1911 fut d’abord nationaliste, avant de devenir « communiste » après la victoire totale de Mao en 1949.

Pragmatique, Staline changea son fusil d’épaule.

 

Tchang Kai-Chek débordé, réfugié à Taïwan.

Alors qu’il était allé jusqu’à accueillir en URSS, Jiang Jingguo, le fils de Tchang Kai-chek, Staline se rapprocha de Mao, non sans arrière-pensées. (lire https://www.questionchine.net/chiang-ching-kuo-le-fils-du-generalissimo , recension du livre « Chiang Ching-kuo, le fils du Generalissimo », publié en 2000 par Harvard university press et en France en 2016 par les éditions René Viénet. Traduction Pierre Mallet.)

Ici surgissent les racines de la question taïwanaise, plongeant dans la défaite de Tchang Kai-chek. Débordé par Mao le chef nationaliste se réfugia dans l’Île à partir de 1945 avec les débris chaotiques de son armée lourde, procédurière et corrompue, vaincue par la guérilla communiste, agile et noyée dans le peuple, portée par un idéal de libération égalitaire. 

Épuisé par la guerre contre les Japonais où Russes et Maoïstes le laissèrent presque seul, puis vaincu par Mao, Tchang dont la lucidité stratégique n’était pas le point fort, forma le projet improbable de reconquérir le Continent à partir de l’Île et - c’est en tous cas ce qu’il espérait – l’appui des États-Unis.

Il n’avait pas vu qu’à la fin de la guerre, la force implacable de la « realpolitik » était à l’œuvre.  Obligeant Washington à tenir compte du rôle de l’armée rouge dans la victoire de 1945 en Europe, le réalisme cynique fit de la Chine de Tchang Kai-chek, à la fois un des vainqueurs invité à la table des grands et le butin d’un pillage par Staline avec l’assentiment de Washington, de toute la Mandchourie, envahie par l’armée rouge après la défaite du Japon. 

 

La brutalité de Staline en Mandchourie.

Ce cœur industriel de la Chine nationaliste, que l’Empire nippon dont la trace laissée en Chine entre 1931 et 1945, est catastrophique, avait transformé en État séparé fantoche du « Mandchoukuo », est décrit par le film « Le dernier empereur » de Bertolucci (1987).

Berceau de plusieurs dynasties, dont celle des Qing 1644 - 1911, la dernière, tombée six ans avant les Romanov, la province avait également accueilli de nombreux fugitifs « Russes blancs » fuyant la révolution de 1917. Elle devint plus tard sous Mao, cette fois, aidé par Staline, la base arrière des armées maoïstes contre Tchang Kai-chek, lors de la reprise de la guerre civile chinoise après 1945. 

 

*

 

L’hypothèque du rôle de l’armée rouge dont les sacrifices à l’Est, facilitèrent la libération de l’Ouest du continent européen par les alliés pesa aussi sur la question coréenne, obligeant Truman à de sérieux accommodements.

 

L’opportunisme de Staline en Corée.

Après la victoire nucléaire sans appel contre le Japon dans le Pacifique occidental, où l’URSS de Staline ne joua qu’un rôle annexe, n’ayant déclaré la guerre à l’empire nippon qu’à la 11e heure, le 7 août 1945, le lendemain de l’explosion d’Hiroshima, Truman successeur de Roosevelt décédé en avril 1945, consentit cependant au partage le long du 38e parallèle, de la péninsule coréenne occupée par le Japon depuis 1910, en deux zones d’occupation dont celle du nord fut confiée à Kim Il Sung.

Implacable révolutionnaire communiste, apparatchik formé en Chine et dépourvu de toute vision stratégique, il fut vite obsédé par le projet de réunifier la péninsule par la force, après l’échec du projet d’élections libres en 1948 proposées par une résolution des NU suggérée par Washington, dont l’organisation au nord fut bloquée par l’URSS. Mais au nord, Pyongyang organisa ses propres élections non contrôlées par l’ONU qui entérinèrent la naissance de la République démocratique de Corée.

Selon, David Cumin, Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, auteur de : Stratégies militaires contemporaines  (Ed Ellipses, septembre 2020), « début 1950, Kim Il-sung demanda à Staline et à Mao Tsé-toung de l’aider à réunifier la Corée dans la foulée de la guerre civile chinoise, remportée par le PCC en octobre 1949. Le 7 juin, il proposa l’unification du pays par la réunion des deux gouvernements du Nord et du Sud, suivie par des élections générales, sans contrôle des Nations unies. Le gouvernement de Séoul refusa. Le 25 juin, 1950 la Corée du Nord envahit la Corée du Sud. »

Pour autant, Moscou et Pékin qui calculèrent justement que l’agression contre le sud serait facilitée par l’impréparation militaire des forces de Séoul, se tinrent en marge espérant, soit que Washington ne réagirait pas, essuyant ainsi une retentissante défaite morale, soit qu’une réaction entraînerait les États-Unis dans un bourbier militaire. Ce fut une fausse manœuvre.

 

Pékin et Moscou à contrepied et les héroïsmes de la guerre de Corée.

Plus encore, le 27 juin, en l’absence inexpliquée de l’URSS qui ne mit donc pas son veto, tandis que Pékin n’était pas représenté aux NU, le siège de la Chine étant à l’époque encore tenu par Taïwan, inféodé à Washington, le Conseil de sécurité vota une résolution de contre-attaque.

Elle ordonnait de « prendre d’urgence des mesures militaires pour rétablir la paix et la sécurité internationales » et recommandait « aux membres des Nations unies d’apporter à la République de Corée toute l’aide nécessaire pour repousser les assaillants et rétablir dans cette région la paix et la sécurité internationales ».

La suite est connue, alors que Staline qui comptait sur la puissance numérique de la seule armée chinoise n’avait promis que des appuis aériens et logistiques, le 15 septembre 1950, le général Douglas Mac Arthur, vainqueur de la guerre du Pacifique, attaquait de flanc, à partir d’Incheon, l’armée nord-coréenne imprudemment étirée du nord au sud et la coupa en deux.

Mac Arthur était à la tête d’une coalition des NU de 16 membres dont la France faisait partie avec le Bataillon de Corée. Les Français étaient aux ordres du général de légion étrangère Raoul (Ralph) Monclar, de son vrai nom Magrin-Vernerey, vainqueur de Narvik, et membre de l’ordre de la libération.

 A l’époque âgé de 59 ans, né à Budapest de père inconnu et de Virginie Magrin, institutrice, il avait accepté d’abandonner ses étoiles de général inspecteur de la Légion étrangère, pour les galons de lieutenant-colonel afin de se placer sous les ordres du colonel américain Davis Freeman, commandant le 23e régiment d’infanterie de la 2e division d’infanterie américaine.

 

Contre-attaque chinoise.

Au moment où les forces des Nations Unies approchèrent de la frontière chinoise, Mao décida d’abandonner le théâtre taïwanais et d’engager 300 000 volontaires qui ; franchissant le Yalu,  entrèrent en Corée du Nord, le 30 octobre 1950.

Après de nombreuses péripéties dont de nombreux héroïsmes individuels et collectifs, la guerre a été suspendue là où elle avait commencé par un armistice signé le 27 juillet 1953 à Panmunjom.

L’épisode meurtrier dont le bilan fut de 38 500 tués dans les forces onusiennes, dont 260 volontaires français et 1 350 blessés (certains à plusieurs reprises), 70 000 tués dans les forces sud-coréennes et 2 millions chez les combattants chinois et nord-coréens constitue le socle inébranlable de l’alliance entre Pékin et Pyongyang dont les Chinois disent qu’elle est comme « les lèvres et les dents ».

Pas tout à fait. C’est peu dire qu’à Pékin, le Parti est gêné par les provocations missiles de Pyongyang et la multiplication de ses essais nucléaires.

 

*

 

Au total, quand on fait le bilan de la relation sino-russe, où on voit que Moscou n’a participé que de loin à la guerre de Corée, tandis que la Chine et l’URSS se sont affrontés sur le fleuve Amour en 1969, il y eu certes des manifestations de connivence bilatérale dont la reconnaissance de la RPC en 1949, 15 ans avant Paris et un accord financier et ferroviaire pour la reconstruction des voies ferrées en Mandchourie (1950).

Plus récemment, au moment des prémisses de la chute de l’URSS, du 15 au 18 mai, 1989, une visite officielle de Mikhaïl Gorbatchev qui suivait un accord frontalier signé en décembre 1988.

Ce dernier fut suivi en 2004, d’un accord sur le statut des îles Yinlong  et Heixia         Zi au confluent de l’Amour et de l’Oussouri, transférées par Moscou à la Chine. 

Il reste que force est de reconnaître que les indices d’une défiance ou même de graves tensions furent nombreux.

On citera à partir de 1956, la critique par Mao de la déstalinisation et, réponse du berger à la bergères, en 1958 la condamnation du « Grand Bond en avant » par Khrouchtchev ; la même année, un très discret soutien de Moscou lors de la crise de Formose (tentative de débarquement amphibie de l’APL dans l’Île et intenses pilonnage d’artillerie des îles de Jinmen et Matsu situées à quelques encablures du Continent.-

Comme les crises précédentes celle-ci fut déclenchée par Mao au moment d’une détente entre Moscou et Washington, comme s’il ne pouvait pas supporter que la question de Taïwan soit oubliée, manière aussi pour « le Grand Timonier » de saboter la coexistence pacifique.

Autres entorses à la connivence stratégique sino-russe, 1959, Moscou refusa de transférer l’arme nucléaire à Pékin ; en 1960, près de 1400 techniciens soviétiques furent retirés de Chine, conséquence de la rupture idéologique autour de la déstalinisation ;

En 1962 – 1963 eurent lieu les premiers incidents de frontière tandis que Mao fit publier une » Lettre publique en 25 points du PCC au PCUS » dont l’essentiel était une riposte à une lettre de Moscou aux Partis communistes de la planète et à l’abandon « révisionniste » par Khrouchtchev des principes révolutionnaires du marxisme léninisme.

Mao qui n’avait jamais abandonné ses théories de « la révolution permanente » de ne jamais baisser la garde face aux risques de retour des cupidités corruptrices des milieux d’affaires, considérait notamment que même la vision des rémunérations « à chacun selon son travail » portait les germes pervers d’une dérive capitaliste corrosive.

A partir de Nixon (1969 – 1974), c’est peu dire que l’ouverture des États-Unis à la Chine, suggérée par Kissinger et les réponses favorables de Deng Xiaoping provoquèrent un malaise à Moscou.

 

Depuis le milieu des années 90, une bascule s’est opérée.

Après la chute du mur et la volonté russe de retrouver son rang, en riposte à l’entrisme américain en Europe orientale et en Asie centrale, glacis stratégique commun à Moscou et Pékin, la cohésion sino-russe alertée par les risques posés par le prosélytisme démocratique de Washington, s’est notablement renforcée, autour à la fois d’une dépendance chinoise au gaz russe et de l’affichage d’une relation personnelle entre V. Poutine et Xi Jinping.

Enfin, les récentes tensions de Moscou et Pékin avec Washington, ont donné l’occasion à Xi Jinping et à V. Poutine de réaffirmer leurs solidarités croisées à propos de l’Ukraine et de Taïwan. Elles ont été mises en scène de manière spectaculaire à Pékin, le 1er février lors du lancement des Jeux d’hiver par Xi Jinping.

L’avenir dira si ce rapprochement est solide au point de compenser le substrat de défiance accumulée dans l’histoire et suffisamment gratifiant pour Moscou pour compenser le fait que depuis les années soixante, la Russie est passée du statut de « grand frère » à celui de « petite sœur ».




François TORRES
Source ASAF et CRI
Date : février 2021


  Retour à la page actualité

 

Source : www.asafrance.fr