GRANDES ECOLES : Réformer l'ENA.    

Posté le lundi 18 mars 2019
GRANDES ECOLES : Réformer l'ENA.      

Depuis de nombreuses années il est question de réformer l'Ecole nationale d'administration (ENA). Les élèves qui sortent de cette école ont tous de brillantes qualités intellectuelles mais, malheureusement, la courbe de Gauss ne les épargne pas dans d'autres domaines. Si certains d'entre eux s'adaptent très rapidement aux responsabilités qui leur sont confiées, d'autres, au contraire, n'ont pas le sens inné des réalités et donc . Comme par hasard ce sont souvent les mêmes qui se prennent pour de brillants esprits et qui croient savoir tout sur tout. Ils sont à l'origine de l'image que leur école a dans la population.

Il y a quelques mois la directrice de l'ENA prononçait une conférence sur les conditions dans lesquelles les élèves de son établissement étaient recrutés et formés.

Son auditoire comportant quelques militaires, elle faisait une comparaison avec la formation des cadres supérieurs des armées. Elle précisait que le défi qu'elle avait à relever consistait à faire suivre simultanément deux scolarités à ses élèves, « Saint Cyr » et « l’Ecole de guerre ».

En approfondissant la comparaison, elle aurait remarqué que dans l'armée tous les généraux commencent leur carrière avec les grades de lieutenant et capitaine dans lesquels ils vivent aux côtés des sous-officiers et des hommes du rang, et souvent dans les mêmes conditions. Ce n'est évidemment pas le cas des énarques qui exercent, dès la fin de leurs études, des fonctions comparables à celles qui sont confiées dans l'armée à des commandants, voire à des lieutenants-colonels. Les stages qu'ils effectuent en ambassade, en préfecture ou en entreprise donnent une ouverture mais ne remplaceront jamais une réelle expérience sur le terrain au plus près des exécutants.

On peut également remarquer que le fait d'avoir fait Saint-Cyr et l'Ecole de guerre ne donne aucune garantie à un officier de terminer sa carrière avec le grade de général. Il lui faut pour cela effectuer un parcours sans faute et réussir dans tous les postes qui lui sont confiés. Ca n'est pas non plus le cas des énarques qui bénéficient d'une rente de situation et d'une garantie de postes à vie, quoi qu'ils fassent...ou qu'ils ne fassent pas.

Dans les années 70,  il  avait été envisagé de créer un "grand corps" militaire dont les membres, après une sévère sélection, auraient été formés à l'image de l'ENA et auraient commencé leur carrière avec le grade de commandant. Cette idée avait très vite été rejetée. Notons au passage que d’autres corps de la fonction publique l’ont depuis retenue pour la formation de leurs cadres supérieurs.

Pour réformer l'ENA on pourrait donc s'inspirer de la formation des officiers. Laissons les jeunes étudiants faire leur « Saint-Cyr » dans n'importe quelle matière ou spécialisation, en école ou en université. Exigeons ensuite d'eux un minimum d'expérience, dans le privé ou dans le public, et transformons l'ENA en « Ecole de guerre ». Les élèves de cette école d'application, recrutés par concours[1], seraient nommés hauts fonctionnaires entre 36 et 40 ans ce qui leur laisserait encore le temps d'exercer leurs talents et d'amortir leur formation. Leurs origines diverses et leurs premières expériences différentes seraient une source de richesses pour la haute fonction publique qui comporte actuellement trop de responsables qui sortent du même moule.  Cette proposition rejoint une préoccupation de Directeur actuel de l'ENA qui déclarait récemment: "On a besoin que l’administration de ce pays soit composée d’hommes et de femmes qui représentent la diversité sociale mais aussi intellectuelle de notre société. Ce n’est pas le cas aujourd’hui."

Enfin, les fonctionnaires appelés à exercer les plus hautes fonctions pourraient, entre 45 et 50 ans, suivre un stage comparable à celui que suivent certains colonels au Centre de hautes études militaires.

La formation continue pour tous les personnels, y compris pour les "hauts potentiels", existe dans les armées depuis toujours. Elle donne totale satisfaction. Pourquoi ne pas s'en inspirer pour la haute fonction publique civile ?

En tout état de cause même les meilleurs des énarques ne pourraient que tirer profit de ce cursus, à l'instar des généraux qui ont toujours en mémoire le début de leur carrière vécu au plus près du terrain et qui, pour apprendre à commander, ont commencé par apprendre à obéir.

Général d'armée (2s) Yves CAPDEPONT
Ancien inspecteur général des armées

 

[1] Ce concours, qui comporterait des matières à option et éventuellement des quotas, en fonction de l'origine des candidats, remplacerait les trois concours actuels et le quatrième concours en projet.

 

Rediffuser sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr