11 NOVEMBRE . La France qu’on aime et qu’on défend. LIBRE OPINION Max -Erwann GASTINEAU.

Posté le vendredi 26 octobre 2018
11 NOVEMBRE . La France qu’on aime et qu’on défend. LIBRE OPINION Max -Erwann GASTINEAU.

Emmanuel Macron a annoncé que la commémoration du centenaire du 11 novembre aura lieu sans parade militaire. Pour Max-Erwann Gastineau cette décision passe sous silence l'héroïsme de nos aïeux et vide de toute substance l'hommage national.


C'est donc entendu. L'Élysée a tranché. « Le sens de cette commémoration, ce n'est pas de célébrer la victoire de 1918. Il n'y aura pas de défilé ou de parade militaire ». Contrairement à l'Angleterre, autre grand vainqueur de la Première Guerre mondiale, la France ne rendra pas hommage à son armée et à ses soldats. Leur sacrifice, lors de ce qu'il est convenu d'appeler la « grande boucherie », ne méritait-il pas un tel hommage ?

« Le président regarde l'histoire en face », rappellent ses conseillers. Toujours ce don des communicants d'habiller de rupture la soumission aux vaches sacrées de l'époque : la transformation des combattants de la Grande guerre en victimes ; vidant ainsi de son contenu héroïque le sacrifice auquel ils consentirent.

« Si la science n'a pas de patrie, disait Pasteur, l'homme de science doit en avoir une, et c'est à elle qu'il doit reporter l'influence que ses travaux peuvent avoir dans le monde ». Bien que l'appartenance nationale ne puisse prétendre épuiser toute l'étendue de notre être, elle est ce supplément d'âme qui frappe nos réalisations du sceau du dévouement.

Autre temps, autres mœurs, diront les postmodernes. Pourquoi devrions-nous encore nous abriter sous l'ombre de ce qui fut ? Pourquoi, alors que le devenir de la France semble se confondre avec celui de l'Allemagne ?

Seul l'héritage relie les hommes.

En renonçant à organiser un défilé militaire pour rendre hommage aux combattants de la Grande guerre, Emmanuel Macron rate l'occasion historique de célébrer dans les vertus patriotiques autre chose que l'étendard de la haine et du retour aux heures les plus sombres ; autre chose que l'éternel sanglot consistant à se murer derrière la force des mots plutôt que d'avoir à penser l'événement : comment se fit-il que tant d'hommes furent prêts à donner leur vie pour leur pays ? Comme le disait le résistant Hélie de Saint Marc, «si on doit un jour ne plus comprendre comment un homme a pu donner sa vie pour quelque chose qui le dépasse, ce sera fini de tout un monde, peut-être de toute une civilisation »

À l'heure où l'Europe commémore le centenaire de la guerre qui infléchit pour toujours la courbe du temps, les fantômes du passé reviennent du champ d'honneur nous sortir de notre coupable insouciance. Car que retenons-nous de ce passé, sinon la longue litanie des abominations qui ensevelirent l'homme sous la furie du progrès technique ?

L'heure est venue de nous délivrer de l'absurdité de croire que le passé se réduit à la somme des chrysanthèmes inaugurés, et d'habiter ce passé. Seul l'héritage relie les hommes, invite les différences, tant célébrées de nos jours, à s'amonceler sans jamais se dissoudre dans le pot commun de la fraternité.

Qu'a-t-on fait de notre héritage ? Que retenons-nous de Paul Valéry lorsqu'au sortir de la guerre, en 1919, celui-ci comprit que « toute civilisation avait la fragilité d'une vie » ? Et de Simone Weil, lorsqu'en 1943 la philosophe rappela que « les Français n'avaient pas autre chose que la France à quoi être fidèles ; et quand ils l'abandonnèrent pour un moment en juin 1940, on vit combien peut être hideux et pitoyable le spectacle d'un peuple qui n'est lié à rien par aucune fidélité » ?
À quoi sommes-nous encore fidèles ? Le sommes-nous envers nos propres aïeux lorsque nous daignons faire de

À quoi sommes-nous encore fidèles ?

Leur patriotisme la quintessence de leur engagement sur les plaines de la Marne, de Verdun ou de la Somme ?

Aujourd'hui, l'histoire est mise à disposition du présent pour panser les plaies. Affranchie du mandat de structurer les imaginaires à partir d'un récit collectif signifiant, l'histoire doit désormais faire place aux histoires. Des discours d'Édouard Philippe sur «la trahison de la France » sous l'Occupation aux mots d'Emmanuel Macron sur l'Algérie, victime d'un « crime contre l'humanité» perpétré par la Colonisation française, ou sur Maurice Audin, cet ancien membre du parti communiste algérien torturé par l'armée française, les vivants battent leur coulpe sur la poitrine des morts au prétexte de soigner des blessures mal cicatrisées ; la reconnaissance par l'État des mémoires comme palliatif à l'atomisation sociale.

L'instrumentalisation du passé n'a pourtant jamais guéri quiconque. Elle fournit à celui qu'elle plonge dans la rancœur l'alibi d'une révolte à bon compte contre la société ; expression d'un narcissisme diluant la nation dans le processus d'affirmation des particularismes. Et demain des séparatismes ?

Curieuse époque que la nôtre ; qui célèbre après chaque attentat sa capacité de résilience en allumant des bougies et adoube pour fait de résistance la cécité intellectuelle dont les tenanciers du comptoir médiatique font preuve lorsqu'ils font du nationalisme, des années 1930 et du populisme les avatars passés d'un même devenir sombre.

La France qu’on aime et qu’on défend

Dans un article publié en 2014 pour le centenaire des débuts de la Grande guerre, le grand rabbin de France Haïm Korsia relate les traces de son illustre prédécesseur de 1914, Abraham Bloch. Se portant à la rescousse d'un soldat mortellement touché qui le prit pour un prêtre, ce dernier s'empressa de répondre aux derniers soupirs de son compatriote en lui apportant un crucifix. Un obus frappa les deux hommes quelques secondes plus tard…

L'émouvante communion des deux hommes rappelle ce qu'ils avaient d'essentiel en partage : l'amour de la patrie, ce chaînon périssable sans lequel toute solidarité effective s'étiole. « Plus de minute de silence, mais une minute pour la France, conclut Korsia. Tous ensemble et non pas différents. Jamais indifférents à l'autre. C'est la France qu'on défend, c'est la France qu'on aime ».

Nos morts nous regardent

Puissions-nous enfin méditer l'œuvre de Charles Péguy, mort au champ d'honneur à Villeroy-sur-Marne. Péguy plaida la cause de Dreyfus, non par esprit de tolérance ou d’« ouverture» - ces coquilles sémantiques qui parent de vertu la torpeur des belles âmes -, mais par sens de l'honneur: «ce que nous défendons, ce n'est pas seulement l'honneur de notre peuple dans le présent. C'est l'honneur historique de notre peuple, l'honneur de nos aïeux, l'honneur de nos enfants. Plus nous avons de passé, plus justement il nous faut le défendre ». L'honneur qui consistait pour Péguy à ne pas oublier que nos morts nous regardent, comptent sur nous pour continuer à maintenir haut l'exigence qui appelle tout un chacun à se tenir droit lorsque les contingences et commodités du moment poussent aux plus lâches renoncements.

N'est-ce pas l'honneur que convoqua le Général de Gaulle dans son appel du 18 juin ? N'est-ce pas de sens de l'honneur dont nos pères furent imprégnés jusque dans la misère de leur condition de soldat retranché ?

Le passé a ceci d'essentiel qu'il conteste toujours au présent son insolente suprématie. Voilà pourquoi nous autres Français, héritiers de la Grande Guerre, devrons le 11 novembre prochain dire combien nos cœurs sont emplis de gratitude. Gloire à nos pères !


Max -Erwann GASTINEAU

Tribune Figarovox
Diplômé en histoire et en science politique,
Attaché parlementaire
Rédacteur en chef adjoint des pages Politique de la revue
Limite.

Rediffusé sur le site de ll'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr