LIBRE OPINION : Armée de terre : la cohérence en danger

Posté le lundi 20 janvier 2014

Par Guillaume BELAN - (forcesoperations.com)…..

A peine 10 mois que le nouveau Livre Blanc sur la défense a été publié, serait-il déjà caduque? Car, à considérer les opérations extérieures (opex) françaises, cela fait déjà un bon bout de temps que l’armée de terre projette plus de soldats que ce que le Livre Blanc ne prévoit dans sa dernière mouture! Et ce n’est pas sans incidence!

Multiplication des opex

Pour mémoire, rappelons nous les termes du contrat opérationnel: « les armées doivent êtres aptes à s’engager dans la gestion de crises internationales, le cas échéant sur trois théâtres avec des moyens allant jusqu’à 7 000 hommes… ». Oui, mais voilà, les 7 000 hommes et les 3 théâtres du contrat opérationnel, cela fait déjà un bon bout de temps qu’ils sont dépassés et ce très régulièrement depuis plusieurs années.

Le compte est simple:

  • 900 au Liban (FINUL)
  • 2 800 au Mali (Serval)
  • 1 600 en RCA (Sangaris). Et bien que tout le monde s’accorde à reconnaître que les effectifs dépassent en réalité largement ce seuil« politiquement acceptable » de 1600…)
  • 500 en Afghanistan (ISAF)
  • 900 au Tchad (Epervier)
  • 450 en Côte d’Ivoire (Licorne)
  • 150 au Niger (au bas mot…)

Ainsi, rien qu’en ne considérant les principales opex, on dépasse les 7 000, sur 7 théâtres d’opérations extérieures. Et ces estimations ne sont que la fourchette ridiculement basse comparées aux véritables chiffres de déploiement des forces.

Prenons un régiment, le 4ème régiment de Chasseurs (4ème RCh) de Gap. Ce dernier enregistre un 100% de projections programmées ! Traduction : il ne restera pas un seul soldat dans la caserne ! Tous à la guerre ! Alors que le premier escadron, déployé à Djibouti a rejoint l’opération Sangaris fin de semaine dernière (sur VBL), le second escadron d’aide à l’engagement au complet est déjà en RCA (sur VBL également) jusqu’à début mars, tandis que le troisième escadron va partir au Tchad pour rejoindre la mission Epervier début juin avec ses ERC90. Tout le régiment est en opérations. Inouï, du jamais vu !

Carte des opex

Carte des opex

 

Le format en danger

Alors, l’armée de terre à flux tendu ?

Rappelons que l’objectif du Livre Blanc qui est de disposer de 66 000 soldats pour 22 000 projetables simultanément. Soit une réserve de trois fois les effectifs maximums projetables. Sauf nouveau (coup de) théâtre, il n’y a aujourd’hui pas (trop) de difficulté avec les effectifs, la marge de réserve est bien là. Mises à part certaines spécialités (pilotes de l’ALAT…)

Non, le véritable problème est ailleurs : c’est le format qui est malmené. En clair c’est la cohérence de l’armée de terre qui est aujourd’hui en limite de capacité. A trop imposer de réductions, le politique a contraint l’armée de terre à réduire l’ensemble de ses capacités. Résultat, certaines de ces capacités ne sont souvent plus qu’échantillonnaires : l’armée de terre française n’affiche plus aujourd’hui qu’un seul régiment NRBC (Nucléaire Radiologique Biologique et Chimique); un seul régiment de drone ; un seul régiment sol-air… et la liste continue… La conséquence : certaines fonctions opérationnelles, déployées sur plusieurs théâtres sont aujourd’hui en danger.  On retrouve là le 4ème RCh : les régiments de cavalerie légère blindée ayant été réduits, ils sont du coup suremployés…

Problème : en parallèle, le pouvoir politique continue d’imposer aux armées une suppression de 7 000 postes par an jusqu’en 2019, tout en maintenant ce haut niveau de projection et bien sûr la cohérence d’ensemble des armées. Autant dire, faire des miracles !

 

Manque d’équipements

L’autre gros souci imposé par cette multitude d’opex, touche le matériel. Que l’on pense au vénérable VAB : 700 d’entre eux ont été déployés an Afghanistan (dont 400 en version infanterie), qu’il faut encore remettre en état aujourd’hui. Et oui ! Si tous les soldats sont rentrés et ont digéré l’Afghanistan, ce n’est pas le cas des matériels, qui sont encore en processus de reconditionnement. Une statistique montre que pour 1 000 équipements engagés en Afghanistan, moins de 100 peuvent repartir en opération. Ceux restant doivent subir des réparations allant parfois jusqu’à une complète reconstruction. Bref, la tâche est loin d’être finie !

Las, le Mali s’est ouvert trop vite pour les matériels. Un théâtre absolument dévastateur pour les véhicules : très grandes distances ; terrains difficiles, chaleurs éprouvantes (des pièces se sont déformées au soleil rendant les véhicules inutilisables…).

Problème : réduction de budget oblige, l’armée a été contrainte d’inventer une utilisation optimisée de ses véhicules, cette solution s’appelle la politique d’emploi et de gestion des parcs (PEGP). Cette PEGP prévoit un parc de véhicules commun pour les opérations pour toutes les unités et un autre parc, plus réduit, pour l’instruction et les exercices en métropole. Une excellente idée. Sauf que ces parcs sont réduits, et l’armée est loin de disposer comme pour les effectifs de trois fois en réserve le parc de projection. Non, pour les véhicules, la réserve est de 1,5 fois le parc projetable. Et là, ça coince. Le système de la PEGP n’a pas eu le temps ni les ressources financières de digérer la maintenance du parc de véhicules projetés. Étranglé, grippé.

D’autant plus que la chaîne de soutien des véhicules de l’armée de terre n’est plus que l’ombre d’elle-même, avec une réduction de 30% de ses effectifs depuis 2008 (5 000 postes supprimés). Équation impossible. A imposer un schéma au plus juste, pour des raisons d’économie; aujourd’hui trop employé, le système se grippe et montre ses limites. Reste à croiser les doigts pour que le théâtre Centrafricain ne s’intensifie pas ou que la France ne joue aux pompiers ailleurs, sinon, il n’y aura plus d’eau, plus de lance-eau, plus de gros camions rouge, ni de pompiers capables de les utiliser.

Source : Guillaume BELAN - (forcesoperations.com)