" Syrie : Turquie-Russie, la nouvelle entente ? " LIBRE OPINION de Bertrand VIALA, fondateur d’Aldebaran Corporate Intelligence.

Posté le vendredi 28 octobre 2016
" Syrie : Turquie-Russie, la nouvelle entente ? " LIBRE OPINION de Bertrand  VIALA, fondateur d’Aldebaran Corporate Intelligence.

Après près d’un an de tensions extrêmes, après la destruction d’un appareil militaire russe par un missile turc en Syrie fin 2015, la Russie a pris l’initiative depuis le mois d’août de normaliser, voire d’approfondir ses relations avec la Turquie. Le signal a été donné en août dernier lors d’une rencontre meeting entre les deux présidents Poutine et Erdogan, au cours duquel une levée des sanctions russes contre les intérêts économiques turcs a été décidée.

L’annonce a été accueillie avec soulagement par la Turquie, dont les secteurs touristiques, agricoles et dans une moindre mesure énergétique avaient souffert des sanctions russes. L’initiative russe est venue également en soutien au gouvernement turc en pleine phase de réorganisation en raison de l’Etat d’urgence décrété après le putsch raté du 15 juillet. Plus tard en août, une délégation de Gazprom s’est rendue a Ankara pour discuter de la relance du projet de gazoduc Turkish Stream. Les premières autorisations accordées a ce projet par la Turquie ont été émises le 14 septembre.

Pour la Russie, il n’y jamais eu de meilleure fenêtre d’opportunité pour se rapprocher de la Turquie: pour cette dernière, la levée des sanctions russes a été une bouffée d’oxygène pour des secteurs clés de son économie. S’ajoutent à cela une convergence de leurs intérêts stratégiques. Les mesures de sécurité et de réorganisation de son appareil d’Etat prises par le gouvernement turc ont été la source d’une grande incompréhension de la part des occidentaux.

Alors que les Etats Unis et la Russie sont engagés dans des négociations difficiles au sujet de la guerre en Syrie, les positions de la Turquie et de la Russie se rejoignent sur le rôle des forces kurdes YPG considérées par les Américains comme un allié essentiel la lutte contre Daech. Or, les YPG sont considérés par Ankara comme des terroristes,  une extension du groupe séparatiste PKK contre lequel l’exécutif turc poursuit sa lutte armé. La Russie, elle, a renouvelé ses appels à l’intégrité territoriale d’une Syrie dirigée par Bachar El Assad, et de ce fait, considère également les YPG comme une menace. La création d’une entité territoriale kurde indépendante, comme l’ambitionnent les YPG, est donc perçue par les deux états comme une menace.

Ce n’est donc pas simplement une coïncidence si, lors de la visite surprise à Ankara, le 16 septembre, du chef des forces armées russes, Valeriy Gerasimov, Ankara s’est déclaré en faveur de l’intégrité territoriale de la Syrie. Alors que la Russie exprimait des réserves sur l’intervention turque en territoire syrien au mois d’août, après la visite du général Gerasimov, Moscou a exprimé la volonté de créer une ligne téléphonique directe entre les deux états-majors afin d’assurer une meilleure coordination, confirmant le rôle de la Turquie comme partenaire clé dans la région. Ceci intervient alors que de récentes déclarations d’officiels américains ont réaffirmé le rôle pivot que l’administration Obama attribue aux YPG sur l’échiquier syrien.

D’autres sujets comme le sort de Fetullah Gulen et sa possible extradition en Turquie, demandée à Washington par Ankara, qui tient l’opposant au président Erdogan et son mouvement pour responsables du coup d’état avorté du 15 juillet, continuent d’empoisonner les relations entre les deux alliés. Les circonvolutions de l’agence de notation Moody’s, qui avait affirmé que la Turquie avait pu surmonter le coup d’Etat, et relevé sa note pour l’abaisser deux jours plus tard, sont interprétées par certains observateurs turcs comme le symbole de l’état de la relation turco américaine : imprévisible, tendue et mettant potentiellement sous pression les politiques turques.

Si certains doutent de la pérennité de l’entente renouvelée entre Moscou et Ankara, ce contexte de défiance mutuelle entre les alliés turcs et américains, rend pertinent le nouveau canal de communication avec Moscou, et ce malgré les divergences initiales sur la Syrie. Pour Moscou, c’est une opportunité, dans le face-à-face qui l’oppose aux Etats-Unis sur de nombreux sujets comme l’Ukraine, la Crimée et la Syrie, de démontrer sa capacité à nouer des alliances au-delà de son environnement stratégique traditionnel.

 

Bertrand  VIALA
Fondateur d’Aldebaran Corporate Intelligence

Source : Les Echos