LIBRE OPINION du général (2s) Bernard MESSANA : De la « chose militaire ».  

Posté le dimanche 11 mars 2018
LIBRE OPINION du général (2s) Bernard MESSANA : De la « chose militaire ».   

Dans sa toute dernière intervention concernant le projet de « Service national universel », le Président de la République évoquait un « service obligatoire, ouvert aux femmes et aux hommes, pouvant avoir une ouverture vers la chose militaire ». Les « choses », ai-je pensé, il faut savoir les appeler par leur nom, et dans le cas présent, la « chose » en question était sans doute ce que l’on appelle communément la « spécificité militaire ».

         

Je me suis alors souvenu que vers l’an 2000, au terme d’une quarantaine d’années passées sous l’uniforme, je m’étais penché sur cette « chose » que j’avais jusque là pratiquée sans le savoir, en toute innocence, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. « Plus spécifique que moi, tu meurs ! » avais-je alors proclamé, en conviant quatre de mes vieux amis anciens militaires, - avatars parfaitement imaginaires -, à m’adresser leurs professions de foi, expression de la raison de leur engagement. Ils l’avaient fait, à leur manière, en regardant la « chose » en face.

Charles-Albert, pur et dur, type parfait de ce « catho-facho » vomi par l’intelligentsia régnante, avait rappelé que Lui servait la France avant de servir l’Etat. Compatissant et fraternel, je l’avais laissé à son rêve sacrificiel.
Aldo, lui, m’avait dans le même temps tout dit, et l’inverse, type même du soldat politique brillant certainement appelé à de hautes destinées. J’avais écouté, morose, sans mot dire. Hans, à ma grande surprise, tous les lecteurs l’avaient adoré. Guerrier intransigeant, discipliné, d’un total dévouement, il était le soldat rassurant, grognard honnête et fidèle. Il avait donc largement triomphé dans la confrontation. Pour ma part, résolument neutre, je n’applaudissais pas car mon quatrième avatar, Ali, avait été délaissé, et cela me semblait injuste.  On avait ignoré sa « chose », se refusant même à la commenter. La soupçonnait-on d’être d’être porteuse de messages politiquement incorrects, et donc gênants ?

 

Aujourd’hui, j’ai relu sa profession de foi, et j’ai compris qu’avec sa sensibilité particulière, pas forcément cartésienne, Ali avait « senti » les choses, la désunion nationale, les velléités autonomistes, le désir d’inventer le « machin » rassembleur… Vous le lirez ci dessous car je tenais à redire son message. C’est « chose » faite.

 

                                                             

                                                                   Lettre de Ali.

 

C’était quelque part en Afrique, à la fin des années 60. Je commandais une de ces compagnies d’engagés formées à la hâte pour remplacer, sur le théâtre d’opérations, nos appelés précipitamment rapatriés dès les premiers accrochages meurtriers. Ils étaient rugueux, mes volontaires, la tête pas toujours bien pleine, mais pas forcément mal faite, avec d’énormes qualités, presque aussi grosses que leurs défauts. L’un d’entre eux allait tout à l’heure m’être présenté pour être puni. La faute avouée était de taille, la punition se devait de l’être, avec sa conséquence inéluctable, la résiliation du contrat d’engagement.

 

Il est entré dans ma case, a salué, crié son nom, son matricule, et conclu par le crescendo du « A vos ordres, mon capitaine ! », quelque peu étranglé par l’angoisse. J’ai fait mon laïus, annoncé la sentence prévue, et lui ai demandé s’il avait quelque chose à ajouter. Alors son regard qui fuyait s’est rivé sur moi : « Oui mon capitaine. Vous le savez, je suis de l’Assistance, je n’ai pas de parents. Ici, j’ai trouvé ma famille, vous êtes mon père et ma mère. Frappez-moi, mais, je vous en prie, ne me punissez pas, ne me chassez pas ».

Ce que j’ai fait alors ne vous regarde pas, mais sachez que depuis près de 40 ans, le « puni » m’écrit régulièrement aux alentours du 1er Janvier. Et que j’ai gardé intacte, au fond de moi, l’émotion particulière qui m’avait un instant envahi et ne se ressent, je crois, qu’en face de quelque chose de rare, de vrai.

 

Et si c’était cela la spécificité du soldat ? L’attachement passionné à une famille choisie, le don de soi à une communauté qui vous a accepté dès lors que vous avez accepté ses règles ? « Du soldat au Colon, on n’a qu’une âme », chantent les « Marsouins ». Appelons cela « l’esprit de corps », fait d’une discipline rude, mais librement consentie, d’une étroite solidarité entretenue par un entrainement intense, répété jusqu’à l’acquisition des automatismes, de rapports basés sur la loyauté et l’équité,- un Ali vaut un Martin-, d’un respect mutuel véritable, et d’une quasi vénération pour le chef dès lors qu’à sa compétence technique, il allie le sens de l’humain. Le soldat se sublime en son chef, paré de toutes les qualités, le chef s’efforce d’être fidèle à l’image qu’on veut avoir de lui. Voilà pourquoi sans doute j’ai si amèrement regretté cette suppression soudaine de la conscription, peut-être superflue pour la défense du Pays, mais si précieuse pour la survie d’une cohésion nationale. N’était-elle pas, aussi, un lieu privilégié d’intégration dans la communauté française, de dimensionnement de l’individu, une formidable école de découverte et de maîtrise de la violence ? Je me souviens de ce camarade britannique qui me disait : «  On peut dire tout ce que l’on voudra de votre Service militaire, mais il vous épargne bon nombre de hooligans ! »

 

Le soldat désormais va faire partie d’un Ordre, presque d’une secte, dont la fonction est de servir les armes de la France. Pourquoi choisit-il de le faire, en ces temps où rien ne le contraint d’aliéner sa liberté que certains voudraient sans limites, où tout est Droit, et jamais Devoir, pourquoi choisit-il en somme la « souffrance », comme le chantent les paras ? Pourquoi ? Parce qu’il bouillonne parfois d’une sorte de ferveur patriotique, avec son cortège héroïque d’aventures, de combats, de bravoure…mais aussi souvent parce qu’il ne voit rien d’autre à faire dans l’immédiat que d’entrer dans la vie par l’antichambre du soldat. Regarde-moi, moi Ali, tu vois de suite que mes ancêtres n’étaient pas Gaulois, mais, au delà du faciès, en dedans, je suis plein d’une substance unique et précieuse qui s’appelle France. Moi, j’ai la ferveur. Être soldat dans le Pays que j’ai choisi et qui m’a accepté m’apparaît être tout à la fois un devoir de reconnaissance, et une voie royale pour l’intégration. D’autres cherchent cette ferveur, et je me demande parfois si notre Armée ne va pas peu à peu se transformer en une sorte de Purgatoire bienfaisant accueillant ceux qui, comme moi, aspirent à l’intégration, et d’autres, Français de France ou venus d’ailleurs, en quête d’insertion, de réhabilitation, de reconstruction, volontaires rares, mais avides de respect, d’ordre, de justice, et prêts à payer cette reconnaissance par l’acceptation du sacrifice suprême. La mort du soldat n’est pas un accident du travail !

 

Quelque chose me perturbe un peu. Je te décris là la spécificité du soldat telle que je la vois, ou voudrais qu’elle soit. Mais est-ce là l’Armée que l’Etat souhaite ? A l’instrument passionné, entier, et farouchement patriote que j’entrevois, ne préfère t’il pas un outil sans personnalité trop affirmée, flexible, malléable à l’envie ? En somme, l’excès de spécificité militaire serait-il dommageable au service de l’Etat ?


C’est pourquoi je suis un peu désemparé. La France que j’ai choisie s’effiloche, tu le sais, et je perds mes repères. Je viens de recevoir par exemple une magnifique carte éditée par l’Armée de Terre tout récemment ; elle est couverte de mots-clés, porteurs de messages : « Europe, Solidarité, Crises, Communication, etc… », et je cherche en vain le mot France, comme si l’affirmation de son identité était déplacée, incongrue. Craint-on d’effaroucher l’Europe ? Cela me pose problème dans la mesure où moi, Ali, je ne suis que Français, je ne serai jamais Corse, Basque, ou Breton ! Et être Européen ne signifie rien pour moi. Veut-on alors que je me « communautarise » moi aussi ? Par le biais de l’Islam peut-être ?

 

J’ai fait un rêve…Un cauchemar plutôt. C’était le 14 Juillet, sur les Champs Elysées, et j’assistais au défilé d ‘une autre France : en tête, l’Armata corsa, suivie de la Haika basque, accompagnée de l’Armée révolutionnaire bretonne, précédant la Légion islamique du Val Fourré, devançant la Horde jaune du 13e…Alors j’ai préparé mon exil, et l’Appel que je lancerai depuis la capitale d’une ancienne possession française,-Alger, pourquoi pas ?- « Françaises, Français… », puis j’attendrai les ralliements, Inch’Allah !

 

Je plaisante, bien entendu, tout au moins pour ce qui concerne ma conclusion, mais cela ne change rien à mon constat. Si la France aspire à redevenir la Gaule, ne méritera t’elle pas, à nouveau, un César ?

 

Bernard MESSANA
Officier général (2s)
Source : www.asafrance.fr

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