LIBRE OPINION : Général de Villiers : 20% des équipements terrestres de retour du Sahel sont « irrécupérables »

Posté le lundi 08 juin 2015
LIBRE OPINION : Général de Villiers : 20% des équipements terrestres de retour du Sahel sont « irrécupérables »

Le projet d’actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) prévoit d’allouer 3,8 milliards d’euros de plus au budget de la Défense. Même si cela s’est rarement vu (voire même jamais) en cours d’exécution d’une LPM, il n’en reste pas moins qu’il s’agit là d’un minimum étant donné que les missions, elles, n’ont pas diminué, bien au contraire.

« L’équation financière reste tendue : nous avons obtenu plus de crédits mais nous devons remplir davantage de missions, comme le déploiement de 7 000 hommes sur le territoire nationale », a souligné le général Pierre de Villiers, le chef d’état-major des armées (CEMA), lors d’une audition devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale. Et d’ajouter : « C’est la raison pour laquelle nous restons concentrés et organisés pour mobiliser en interne les ressources nécessaires au financement des capacités ».

 

Parmi ces 3,8 milliards d’euros, 500 millions seront affectés à l’Entretien programmé des matériels (EPM). Et là encore, compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles sont conduites les opérations militaires françaises, ce n’est pas un luxe.

 

« Les opérations se déroulent sur des zones aux dimensions très importantes qui mettent sous tension nos moyens de transport aéroterrestres avec une surconsommation de leur potentiel », a ainsi fait valoir le général de Villiers, avant de faire remarquer que « la zone d’opération au Sahel [ndlr, Barkhane] représente à elle seule près de 8 fois la superficie de la France, ce qui implique des temps de vol importants pour que nos avions et nos hélicoptères arrivent sur leurs objectifs, et nécessite deux fois plus de moyens de communication qu’un autre théâtre ».

 

S’agissant des hélicoptères, par exemple, le conseiller aéro-combat du commandant de la base de Gao, au Nord-Mali, confiait récemment à l’AFP que les équipages de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) sont « en limite d’emploi » de leurs « appareils ». Le sable pose énormément de problème. « Ici les moteurs ont une durée de vie inférieure d’environ la moitié par rapport à la France », expliquait un pilote selon qui il faut des « heures de nettoyage après chaque heure de vol ». S’ajoute à cela la chaleur, qui dilate les joints (ce qui favorise les fuites) et diminue la portance.

 

Lors de son audition, le général de Villiers a évoqué ses conditions extrêmes, qui sont éprouvantes aussi bien pour les personnels que pour les matériels. « Au nord du Mali, du fait de la chaleur – quelque 45 degrés –, chaque homme consomme chaque jour plus de douze litres d’eau. Le caractère abrasif des sables du Sahel et du Levant, de la rocaille des massifs du nord du Mali et de la latérite centrafricaine, conjugué aux vents violents, à la chaleur et aux amplitudes de température de ces théâtres, provoquent également une usure accélérée de nos matériels », a-t-il détaillé, avant de donner un chiffre qui donne la mesure des difficultés rencontrées dans la bande sahélo-saharienne (BSS).

« Quelque 20 % des matériels terrestres de retour de l’opération Barkhane sont irrécupérables », a ainsi précisé le général de Villiers.

Aussi, a-t-il poursuivi, « sans moyens financiers supplémentaires pour régénérer ces matériels, et compte tenu de leur âge, le maintien du niveau d’engagement actuel se traduirait à court terme par une diminution rapide de plusieurs parcs, dont ceux des avions de transport tactique et de patrouille maritime, des hélicoptères de manœuvre et des véhicules blindés. » Et d’insister encore : « Sans moyens financiers supplémentaires pour l’entretien des matériels, nous mettons en danger notre personnel ».

D’où la priorité affichée de régénérer les anciens matériels usés, « qu’ils tiennent jusqu’à l’arrivée des matériels nouveaux ». Mais pour le général de Villiers, « avec 500 millions d’euros, ce sera juste ».

 

Pour appuyer son propos, le CEMA a mis l’accent sur « l’état réel de nos équipements » en prenant l’exemple d’un véhicule de l’avant blindé (VAB) livré en 1983 et dans lequel il a embarqué lors d’un déplacement à Tessalit.

« Si nous ne réagissons pas, notre efficacité et notre capacité à durer seraient rapidement compromises. Nos amis britanniques ont connu ce phénomène de retour d’Irak et, plus récemment, d’Afghanistan. Pour éviter ce risque, des mesures urgentes s’imposent et avec d’autant plus de force que le contexte sécuritaire international se dégrade aussi bien sur le flanc est que sur le flanc sud de l’Europe », a plaidé le général de Villiers.

 

Toujours au sujet de « l’état réel » des équipements, le député Francis Hillmeyer a pu s’en rendre compte lors d’une visite à la Brigade Franco-Allemande (BFA), au cours de laquelle il a dit avoir vu des matériels datant de l’époque de son service militaire (qui doit remonter aux années 1960…). « Dans certains camions antédiluviens, les sièges du conducteur étaient complètement défoncés », a-t-il raconté, avant de s’interroger sur « l’employabilité » de cette unité.

« Les matériels que vous avez vus sont ceux des unités de l’armée de Terre. Loin d’être choqué que vous les ayez vus, j’en suis au contraire ravi et j’ai félicité la BFA d’avoir montré à des députés la réalité de nos armées. Jusqu’à présent, en bons soldats que nous sommes, nous mettions notre fierté à toujours mettre en avant ce qui va bien et à cacher ce qui va moins bien. Les temps changent », lui a répondu le général de Villiers.

Auteur : Laurent LAGNEAU
Source : Forces terrestresOpérations

Source : Forces terrestres, Opérations