OPERATION BARKHANE : Quitter le Mali ne veut pas dire quitter le Sahel.

Posté le mercredi 02 février 2022
OPERATION BARKHANE : Quitter le Mali ne veut pas dire quitter le Sahel.

Au Mali, Barkhane au pied du mur  


« Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel »
, assure Jean-Yves Le Drian, alors que Bamako pousse la France hors du Mali.

SAHEL C’est « paradoxal »… Le mot échappe à un officier, comme un aveu d’étonnement. Au lendemain du camouflet infligé par le gouvernement malien à la France, en exigeant manu militari le départ de son ambassadeur, Barkhane poursuivait ses opérations sur le terrain comme si de rien n’était. Dans la région d’Indelimane, de Ménaka ou d’Anderamboukane, plusieurs manœuvres sont actuellement en cours. « Il ne faut pas laisser les groupes terroristes armés prendre pied », répète-t-on au sein de l’état-major. L’armée vient aussi de se féliciter d’un succès conséquent au nord du Burkina Faso. Dimanche, Barkhane a rapporté l’élimination « d’une soixantaine » de djihadistes dans le cadre d’une opération conjointe avec les forces burkinabées. Celle-ci s’est arrêtée subitement et d’un commun accord le 23 janvier après le coup d’État à Ouagadougou.

Schizophrène, la stratégie militaire française au Sahel se dissout lentement dans la confusion politique. Neuf ans après l’intervention contre les groupes djihadistes au Sahel et les scènes de liesse à Tombouctou, la France ne semble plus être la bienvenue au Mali. La crise ne date pas de lundi. En refusant de s’engager sur des élections de transition dans un délai raisonnable, le colonel Goïta et ses hommes, qui sont parvenus au pouvoir après deux coups d’État, se sont coupés des États d’Afrique de l’Ouest. En sollicitant les services des mercenaires russes de Wagner, ils ont franchi une ligne rouge. En s’attaquant aux accords de défense liant le Mali et la France et en poussant le contingent danois de la task force Takuba à quitter le pays, ils ont manifesté leur hostilité à leurs alliés européens. Un observateur avisé du dossier croit d’ailleurs percevoir l’influence du Kremlin, via ses miliciens, dans le coup de menton contre le Danemark. Copenhague est engagé auprès des pays de l’est de l’Europe face à la Russie.

Défection norvégienne 

Takuba continue d’ailleurs de se déliter. Mardi, la Norvège a, elle aussi, renoncé à rejoindre les forces spéciales européennes engagées au Mali. Forte de quelque 800 hommes, Takuba devait progressivement prendre le relais de Barkhane. « Il n’a pas été possible d’établir un cadre juridique suffisant avec le Mali qui assure la sécurité de nos soldats », a affirmé à Oslo le ministre de la Défense Odd Roger Enoksen. Côté français, on poursuit les consultations avec la quinzaine de pays qui soutiennent Takuba. Son avenir est incertain.

Si Barkhane est devenue une opération morte-vivante, la France n’a pas renoncé à ses objectifs au Sahel : éviter la contagion djihadiste et la déstabilisation des États de la région. À l’Élysée, au Quai d’Orsay comme au ministère des Armées, les entretiens s’enchaînent pour trouver comment « réorganiser » le dispositif. Vendredi, Florence Parly s’est entretenue avec le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin. Mardi, elle a échangé avec le haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, Josep Borrell. Il n’est pas question de rester « à n’importe quel prix », dit-on. Paris voudrait aligner ses positions sur celles de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest. Certains observateurs s’interrogent aussi sur la capacité de la junte à se tenir isolée de tous. « Combien de temps peuvent-ils payer leurs soldats et leurs fonctionnaires ? », demande-t-on. Avec un peu de patience, Bamako pourrait revenir à la raison ? Bâtir une stratégie sur de telles incertitudes est périlleux.

« L’isolement du Mali est tel aujourd’hui qu’il a comme seuls partenaires les mercenaires de Wagner », a déclaré mardi le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l’Assemblée nationale. « Le combat contre le terrorisme se poursuivra au Sahel, il se poursuivra avec l’accord des autres pays de la région, il se poursuivra en soutien des pays du golfe de Guinée qui aujourd’hui voient, en raison de la porosité des frontières, les groupes terroristes pénétrer dans le nord de leurs territoires », a-t-il ajouté. « Notre volonté est intacte et ce n’est pas un événement dû à l’irresponsabilité, je réitère mes mots, dû à l’illégitimité d’un gouvernement de coup d’État qui va nous faire enrayer notre lutte contre le terrorisme », a-t-il insisté.

Les Européens se sont donné quinze jours de réflexion… « D’ici à la mi-février, on va travailler avec nos partenaires pour voir quelle est l’évolution de notre présence sur place » et « prévoir une adaptation », a déclaré mardi le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal. Mais la pression s’accroît sur l’Élysée pour tirer rapidement des conséquences des affronts maliens. Pour le président de la commission de la défense au Sénat, Christian Cambon, il est temps de quitter le Mali. « Quitter le Mali ne veut pas dire quitter le Sahel », ajoute-t-il en soulignant les options limitées de l’Élysée : le Burkina Faso vient de connaître un coup d’État, le Tchad est loin du front, le Niger tolère l’armée française mais ne veut pas des forces européennes. Le sénateur LR exhorte le gouvernement à associer le Parlement aux réflexions sur l’avenir de Barkhane.

Absence de soutien politique clair 

En tant que telle, l’opération ne dispose plus d’un soutien politique clair. « Les conditions de notre maintien ne sont plus réunies », estime le député Agir ensemble Thomas Gassilloud, qui suit de près le Sahel. Mais quitter le Mali prendra du temps. Fermer les bases françaises nécessiterait « plusieurs mois » voire une année, dit-on au sein de l’état-major. « C’est une manœuvre complexe qui n’est pas à l’ordre du jour », disait-on vendredi.

Les joutes diplomatiques ne doivent pas faire oublier la fragilité du Mali. Au Nord, les groupes « signataires des accords de paix » commencent à montrer leurs muscles et rêvent de sécession. Mais la porosité avec les djihadistes liés à al-Qaida inquiète.
Fin décembre, Barkhane a « neutralisé » un membre du Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad lié au RVIM, un groupe affilié à al-Qaida.

Au centre du pays, les groupes djihadistes sont aussi sous pression alors que Wagner et les Forces armées maliennes ont lancé leurs propres opérations. Mais les résultats réels de l’opération Kélétigui, menée avec « l’appui d’instructeurs russes », sont difficiles à connaître, dit-on au sein de l’état-major. Pour l’instant, Russes d’un côté, Français et Européens de l’autre, ont veillé à ne pas se croiser.

 

Nicolas BAROTTE
Le Figaro
2 février 2022

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Source : www.asafrance.fr