RELATIONS INTERNATIONALES : L’US Navy en démonstration de force face à la Chine

Posté le vendredi 10 juillet 2020
RELATIONS INTERNATIONALES : L’US Navy en démonstration de force face à la Chine

Washington veut prévenir toute tentation d’un nouvel acte expansionniste de Pékin en mer de Chine méridionale.

Le Covid-19 n’a pas coulé l’US Navy. Les gigantesques ­coques d’acier de l’USS Ronald-Reagan et de l’USS Nimitz tracent leur sillage depuis samedi dans les eaux tropicales disputées de la mer de Chine du Sud pour le prouver. Pour la première fois depuis plusieurs années, le Pentagone a déployé de concert deux de ses porte-avions nucléaires dans cette zone revendiquée à 90 % par Pékin, en pleine esca­lade des tensions sino-américaines. Depuis samedi, ces deux mastodontes multiplient les décollages et appontages de chasseurs F-18, menant une démonstration de force spectaculaire de la supériorité aéronavale de l’US Navy écornée par la pandémie.

En mars, le virus avait con­ta­miné l’équipage du USS Theo­dore-Roosevelt jusqu’à son ­commandant, l’obligeant à rentrer piteusement à quai, mais ce porte-avions revient lui aussi dans les eaux du Pacifique occidental, défiant la montée en puissance chinoise dans la région, de Hong­kong, à Taïwan.

Ces exercices de « liberté de navigation », ont pour objectif de promouvoir une « zone Indo-Pacifique libre et ouverte », a déclaré la marine américaine, en réfé­rence à la stratégie de l’administration de Donald Trump, visant à tisser un réseau d’alliance dans la région pour contenir l’influence grandissante de la seconde puissance mondiale. Depuis 2015, Washington envoie régulièrement des navires croiser en mer de Chine méridionale dans les parages des sept îles artificielles bâtis par la seconde puissance mondiale pour asseoir ses revendications, aux mépris des conventions de l’ONU.

Le déploiement des porte-avions vise à envoyer un message de détermination au président Xi Jinping, ainsi qu’aux pays de l’ASEAN, à l’heure où l’empire du Milieu avance ses pions tous azimuts, de Hongkong, à la frontière indienne, où face au Vietnam et aux Philippines. « Il s’agit de dissuader la Chine et de rassurer les pays riverains. Ces manœuvres visent à réaffirmer l’engagement américain en matière de sécurité dans la région, malgré la menace de la Chine », juge Collin Koh, chercheur à la S. Rajaratnam School of International Studies, à Singapour.

Un climat tendu 

Un message scruté par les chancelleries de l’ASEAN inquiète de la montée en puissance du gigantesque voisin, et déroutés par les ­signaux contradictoires envoyés par Washington depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump, qui a dédié peu d’attention à cette région clé du bras de fer géostratégique en Asie Pacifique.

Le déploiement de cette « armada » américaine survient dans un climat particulièrement tendu, marqué par une recrudescence d’activités navales chinoises depuis quelques mois pour affirmer sa suprématie dans les « eaux vertes », ces étendues allant jusqu’au premier chaînon d’îles, de Taïwan aux Philippines, destinées à devenir un « lac chinois », aux yeux des stratèges de Pékin. Début juillet, la marine a conduit des exercices d’ampleur dans l’archipel des Paracels, bloquant la navigation des navires étrangers pendant cinq jours, autour de ces îles conquises militairement en 1974 face au Vietnam, qui en revendique également la souveraineté. « Il est très rare que les exercices américains se déroulent en même temps que ceux de la Chine. La présence des deux porte-avions montre que les États-Unis considèrent la mer du Sud comme un lieu de menace moyenne, c’est-à-dire où une guerre locale peut éclater à tout moment », juge l’amiral à la retraite Zhang Shaozhong, dans Le Quotidien du peuple.

Les manœuvres ont été critiqués par le Pentagone, comme menaçant la « stabilité » de la région. « Il est très normal pour une armée de s’entraîner sur son territoire. Il n’y a rien à dire », réplique Song Xiaojun, commentateur à la télévision d’État chinoise CCTV, affirmant la souveraineté du géant sur ces eaux disputées.

Le Vietnam et les Philippines dénoncent une recrudescence d’activités des garde-côtes chi­nois, marquée notamment par des attaques contre des bateaux de pêche vietnamien en avril et juin. « Les manœuvres américaines répliquent à une série d’actions de coercition chinoises contre d’autres pays riverains, dont la Malaisie, ainsi que l’établissement de districts administratifs en mer de Chine du Sud », juge Koh. Le 18 avril, Pékin a unilatéralement annoncé la création de deux nouvelles entités administratives, couvrant respectivement l’archipel des Paracels, déjà contrôlé, et celui des Spratley disputé par ­Hanoï, Manille et Kuala Lumpur. En mai, l’USS Montgomery a envoyé un explicite signe de soutien américain à la Malaisie, en croisant à proximité du bateau de ­forage West Capella, affrété par le groupe pétrolier Petronas, sur un site revendiqué par l’empire du Milieu.

Dans un contexte nationaliste exacerbé par la pandémie à ­Pékin, Washington veut prévenir toute tentation d’un nouveau coup de force expansionniste. Les manœuvres des porte-avions et de leurs flottilles répondent à « une logique de dissuasion concrète. Il s’agit d’avoir les capacités d’arrêter un nouveau geste unilatéral chinois », juge Mathieu Duchâtel, directeur Asie à l’Ins­titut Montaigne. Le Pentagone se souvient comment la Chine a transformé rapidement des récifs en îlots artificiels, à coups de remblais sous le regard timoré de Barack Obama, menant une politique du fait accompli pour asseoir ses revendications terri­toriales. Ignorant le jugement du Tribunal international de La Haye, en 2016, les dirigeants chinois mènent désormais une phase de consolidation et de militarisation de leur conquête avec pour ambition de transformer ces îles en bases permettant de contrôler à terme cette voie ­maritime par laquelle transite un tiers du commerce maritime mondial.

Les stratèges américains redoutent une nouvelle expansion sur des îles de Spratley, dans le contexte tendu de l’après-Covid, marqués par des difficultés économiques et sociales grandissantes en Chine, et une surenchère nationaliste. « Ces activités na­vales permettent de faire diversion en ralliant la population autour du Parti et de Xi Jinping », juge Collin Koh.

La démonstration de force américaine vise également à rassurer Taïwan, alors que l’Armée populaire de libération (APL) multiplie les manœuvres aériennes et navales au large de l’île ­rebelle, depuis la réélection en janvier de la présidente Tsai Ing-wen, championne de l’identité démocratique du territoire. L’USS Nimitz, et plusieurs avions de reconnaissance américains ont patrouillé fin juin dans les détroits de Bashi, couloir stratégique reliant la mer de Chine du Sud et celle des Philippines, jouant à cache-cache avec les sous marins de l’APL. Ces vols américains vers la mer de Chine du Sud, ont approché les îles Pratas, contrôlées par Taïwan, et qui seront la cible d’un exercice chinois, cet été, simulant une invasion à l’aide possible de char d’assaut amphibie.

Sébastien Falletti
Le Figaro
jeudi 9 juillet 2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr