RELATIONS INTERNATIONALES : Rencontre Biden-Poutine à Genève, en toute continuité  

Posté le dimanche 09 janvier 2022
RELATIONS INTERNATIONALES : Rencontre Biden-Poutine à Genève, en toute continuité   

Washington et Moscou négocieront le 10 janvier à Genève à propos des tensions concernant l'Ukraine et les questions de contrôle de l'armement nucléaire.
Une réunion entre la Russie et l'Otan pourrait ensuite avoir lieu le 12 janvier, suivie le 13 janvier d'une rencontre entre la Russie et OSCE, dont font partie les Etats-Unis.
(AFP/Le Temps, 28 décembre 2021)

« Ce passage d’une année à l’autre est marqué par un évident paradoxe géopolitique » écrit l’ancien ambassadeur Michel Duclos. « 2021, à la suite de 2020, avait érigé l’affirmation de la Chine et la confirmation de la rivalité sino-américaine en paramètres structurants de la situation internationale. Or l’année s’est achevée par un retour spectaculaire de la Russie sur le devant de la scène » (1) – il est difficile de l’ignorer, la presse bruissant de scénarios apocalyptiques. Pourtant, nous l’écrivions ici en juin 2021 (2) lors de la rencontre à Genève entre les deux présidents américain et russe accompagnés d’énormes délégations (un millier de personnes pour le premier, 800 pour le second), un dialogue, d’ailleurs suivi de rencontres de travail (3), avait bien été engagé ? Oui, avec un terrain commun au-delà de la théâtralisation des attitudes : « au-delà de leurs divergences idéologiques, Joe Biden et Vladimir Poutine ont un intérêt en commun, que le premier clame et que le second dissimule : freiner l’ascension de la Chine », résumait Renaud Girard pour le Figaro.

Si Joe Biden était bien venu en Europe (G7 au Royaume-Uni, OTAN à Bruxelles) avec l’idée de rassembler une troupe européenne qui n’attendait que ça sous la houlette américaine, la réalité de ses intérêts ne se limitait pas à la mise en scène du « retour de l’Amérique », écrivions-nous. Il y avait à reprendre les bases de divers traités de contrôle des armements abandonnés par Donald Trump, notamment d’acter la prolongation des limitations sur les stocks d’armes nucléaires stratégiques jusqu’en 2026 – ce à quoi les Russes étaient disposés. Avec l’idée pour Joe Biden d’avoir les mains libres avec la Russie (les deux pays détiennent 90% des armes nucléaires du monde) pour se consacrer à la Chine. Sans restreindre toutefois les contraintes imposées aux Russes. « Même si nous travaillons avec la Russie pour promouvoir les intérêts américains, nous nous efforçons également d'obliger la Russie à rendre compte de ses actions imprudentes et hostiles » confiait ainsi à CNN la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki. Cela s’entend avec la pression de l’OTAN sur les frontières russes, cette fois en Ukraine qui a demandé une adhésion que personne ne souhaite vraiment. « Vladimir Poutine a mis en garde à plusieurs reprises contre une adhésion de l’Ukraine (et de la Géorgie) à l’Otan », relevait ainsi Laurent Lagneau le 3 novembre 2020 (4). Ce que « l’exécutif américain semble encourager, le chef du Pentagone Lloyd Austin, ayant par exemple réaffirmé le soutien « indéfectible » de Washington à « l’intégrité territoriale et aux aspirations euro-atlantiques » de Kiev ».

Cela, Vladimir Poutine ne saurait en effet l’accepter, pas plus que les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine. Et après de multiples avertissements – suspension dès le 18 octobre de sa représentation politique à l’OTAN, interventions directes du président russe et de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov -, et au lendemain d’une réunion de l’OTAN le 15 décembre dernier, le Ministère russe des Affaires étrangères publiait deux projets d’accords Etats-Unis-Russie (5) et OTAN-Russie (6), accords destinés à assurer des « garanties de sécurité » à la Russie. A discuter dans un délai d’un mois.

Dimitri Trenin résume parfaitement, pour Foreign Affairs (7), le contenu et le contexte : « Le gouvernement russe a demandé l'arrêt officiel de l'élargissement de l'OTAN à l'est, le gel permanent de toute nouvelle expansion de l'infrastructure militaire de l'alliance (comme les bases et les systèmes d'armes) dans l'ancien territoire soviétique, la fin de l'assistance militaire occidentale à l'Ukraine et l'interdiction des missiles à portée intermédiaire en Europe. Le message était sans équivoque : si ces menaces ne peuvent être traitées par la voie diplomatique, le Kremlin devra recourir à l'action militaire ». Ajoutant : « Ces préoccupations étaient familières aux responsables politiques occidentaux, qui ont répondu pendant des années en affirmant que Moscou n'avait pas de droit de veto sur les décisions de l'OTAN et qu'il n'avait aucun motif d'exiger que l'Occident cesse d'envoyer des armes en Ukraine. Jusqu'à récemment, Moscou acceptait ces conditions à contrecœur. Aujourd'hui, cependant, elle semble déterminée à prendre des contre-mesures si elle n'obtient pas ce qu'elle veut. Cette détermination s'est reflétée dans la manière dont elle a présenté le traité proposé avec les États-Unis et un accord séparé avec l'OTAN ». En effet, « il est crucial de noter que Poutine a présidé à quatre vagues d'élargissement de l'OTAN et a dû accepter le retrait de Washington des traités régissant les missiles antibalistiques, les forces nucléaires à portée intermédiaire et les avions d'observation non armés ». Et, remarquant que Poutine est soutenu par ses institutions militaires comme par sa population, et que le contexte lui est favorable, Dimitri Trenin ajoute : « Biden a eu raison de ne pas rejeter d’emblée les demandes de la Russie et de privilégier l’engagement ». 

Rappelons, ce que Dimitri Trenin ne fait pas – ni le reste de la presse, que ce n’est pas la première fois que la Russie propose un accord destiné, selon les mots de Dimitri Medvedev alors président, à « créer, dans le contexte de la sécurité militaire et politique de la région euro-atlantique, un espace commun indivisible afin d’en finir définitivement avec l’héritage de la guerre froide ». Nous étions en juin 2008, nous l’évoquions ici (8). Le 29 novembre 2009, la Russie présentait un projet de traité de sécurité européenne, envoyé aux chefs des Etats concernés comme, parmi d’autres institutions internationales, à l’OTAN, à l’UE, à l’OTCS (Organisation du Traité de Sécurité collective qui regroupe Arménie, Biélorussie, Kazakhstan, Kirghizistan, Russie et Tadjikistan) et à l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la coopération en Europe). Le texte en est toujours disponible en ligne (en anglais) sur le site du Kremlin (9). L’esprit ? La Russie appartenant « l’ensemble de la région euro-atlantique, et par conséquent (…) à la civilisation européenne dans son entier » dont elle était, avec les Etats-Unis et l’Europe l’une des « trois branches », il fallait trouver, après la fin de la Guerre froide et le renoncement russe à tout retour à l’ère soviétique, à coopérer autour du « meilleur de ce qui fait l’héritage commun de la civilisation européenne » dans un cadre « véritablement égalitaire » où la Russie puisse apporter « toutes ses capacités et ressources naturelles, financières et intellectuelles » (discours aux ambassadeurs le 15 juillet 2008).

L’accueil ? La réaction très maussade du Wall Street Journal (10) est éclairante. « L’objectif du traité, selon la déclaration du Kremlin », écrivait Marc Champion, « serait que ‘‘aucun Etat ni organisation internationale ne puisse renforcer sa sécurité aux dépens d’autres pays ou organisations’’ ». Et d’ajouter : « Diplomates et analystes occidentaux disent que le projet doit être lu avec attention par les Etats-Unis et les autres membres de l’OTAN, soucieux que le traité puisse être utilisé pour nuire aux institutions de sécurité existantes – à l’OTAN en particulier », soulignant que ce Traité « donnerait à la Russie plus d’influence pour bloquer les activités de l’OTAN sur les territoires de ses membres en Europe centrale et de l’Est ».

Désillusion de Vladimir Poutine qui était, on le sait, derrière Dimitri Medvedev et ne pensait nullement à reconstruire l’URSS. L’objectif américain était de renforcer l’OTAN, pas de dessiner un nouvel arc de sécurité en Europe. Mais le président russe, s’il a vu, « à contrecœur » certainement, l’OTAN progresser à l’est, a des lignes rouges. On l’a d’ailleurs vu intervenir en Ossétie du Sud ou en Géorgie. Ou encore bien sûr en Crimée lorsque sa base de Sébastopol sur la mer Noire a été menacée. Il y a aussi, convient Dimitri Trenin, l’arme chinoise : « Moscou pourrait avoir besoin de s'appuyer sur Pékin, qui se trouve également sous la pression croissante des États-Unis. Les présidents Poutine et Xi Jinping discutent déjà de mécanismes financiers pour protéger leurs pays des sanctions américaines. Dans ce cas, la visite prévue de Poutine en Chine pour les Jeux olympiques d'hiver de février 2022 pourrait s'avérer être plus qu'une simple visite de courtoisie » (7). Pour Dimitri Trenin, qui liste par ailleurs les échecs européens (France et Allemagne) pour faire respecter les accords de Minsk par l’Ukraine, Poutine n’acceptera plus que « les instructeurs, les armes et munitions occidentaux affluent en Ukraine ». Et pas davantage « qu'un centre d'entraînement que le Royaume-Uni construit » dans le pays soit en fait une base militaire étrangère ou que les missiles américains pouvant « atteindre Moscou en cinq à sept minutes » y soient déployés.

Il faut donc aux Américains, qui n’ont aucune intention de combattre pour l’Ukraine, engager la discussion, dans leur intérêt. Ce sera fait le 10 janvier prochain à Genève, dans la continuité de la première rencontre Biden Poutine le 16 juin dernier. Puis Joe Biden rendra compte à ses alliés européens. Il y aura un conseil OTAN-Russie puis une discussion avec l’OSCE à laquelle participera l’Ukraine. De quoi satisfaire les deux côtés, Joe Biden qui pourra se tourner vers la Chine et Vladimir Poutine dont l’objectif, depuis longtemps on l’a vu et Dimitri Trenin le reconnaît, « n'est pas de conquérir l'Ukraine et de l'absorber dans la Russie, mais de changer la configuration de l'après-guerre froide dans l'est de l'Europe ».

Comme le chemin est long, en toute continuité !

Auteur : Hélène NOUAILLE
Source : La lettre de Léosthène
8 janvier 2022
http://www.leosthene.com 

Notes :

(1) Institut Montaigne, le 4 janvier 2022, Michel Duclos, 2022 sera-t-elle l’année de Vladimir Poutine ?
http://www.institutmontaigne.org/blog/geopolitique-2022-sera-t-elle-lannee-de-vladimir-poutine

(2) Voir Léosthène n° 1571/2021, le 16 juin 2021, Biden et Poutine à Genève : terrains communs, dits et non-dits
Le président Joe Biden achève sa venue en Europe par une rencontre, le 16 juin à Genève, avec son homologue russe Vladimir Poutine. Les deux hommes n’ignorent rien l’un de l’autre. Joe Biden présidait la commission des Affaires étrangères du Sénat lorsqu’il a été choisi comme vice-président, en août 2008, par le candidat Barack Obama accusé de manquer d’expérience internationale. Qu’ont-ils de si commun à discuter ? Renaud Girard le dit très bien pour le Figaro : « Au-delà de leurs divergences idéologiques, Joe Biden et Vladimir Poutine ont un intérêt en commun, que le premier clame et que le second dissimule : freiner l’ascension de la Chine ». On peut mal se parler, théâtraliser les attitudes, mais pour chacun, il n’y a aucun besoin de s’affronter même si l’on se frotte ici ou là. Biden ne peut s’offrir le luxe de deux fronts simultanés, ce qui se passe en Europe n’est pas vital pour lui, il lui faut se consacrer à la Chine. Poutine veut conserver son apparente bénévolence à l’égard de ses encombrants voisins.

(3) Voir Léosthène n° 1582/2021, le 24 juillet 2021, Stabilité stratégique : Russes et Américains à nouveau à Genève
L’agence TASS l’annonçait le 14 juillet dernier et la revue russe Kommersant, reprise par l’agence Reuters, le confirmait mardi 20 juillet : « La Russie et les États-Unis ont convenu de tenir leur premier cycle de discussions sur la stabilité stratégique nucléaire le 28 juillet à Genève ». Une suite, bien sûr, de la rencontre en Suisse, le 16 juin dernier, entre les deux présidents Vladimir Poutine et Joe Biden. Cette fois, les experts se mettent concrètement au travail. Joe Biden est dans la ligne, rappelle l’Arms Control Association, de ce que, alors sénateur, il déclarait en 1979, au plus fort de la guerre froide : « La poursuite du contrôle des armements n'est pas un luxe ou un signe de faiblesse, mais une responsabilité internationale et une nécessité nationale ». Pour Vladimir Poutine « une normalisation des relations entre la Russie et les États-Unis répondrait aux intérêts des deux pays mais aussi de ceux de toute la communauté internationale ». Pour Daryl Kimball, le directeur de l'Arms Control Association, les sujets ne vont pas manquer « parce que nous avons plus d'une décennie de problèmes accumulés qui doivent être résolus dans la relation nucléaire américano-russe ».

(4) Opec360, le 3 novembre 2021, Laurent Lagneau, Washington évoque des "manoeuvres militaires russes inhabituelles" près de l'Ukraine; Kiev relativise
http://www.opex360.com/2021/11/03/washington-evoque-des-manoeuvres-militaires-russes-inhabituelles-pres-de-lukraine-kiev-relativise/

 (5) Ministère russe des Affaires étrangères, le 17 décembre 2021, Treaty between The United States of America and the Russian Federation on security guarantees https://mid.ru/ru/foreign_policy/rso/nato/1790818/?lang=en

(6) Ministère russe des Affaires étrangères, le 17 décembre 2021, Agreement on measures to ensure the security of The Russian Federation and member States of the North Atlantic Treaty Organization
https://mid.ru/ru/foreign_policy/rso/nato/1790803/?lang=en 

(7) Foreign Affairs, le 28 décembre 2021, Dmitri Trenin, What Putin Really Wants in Ukraine
https://www.foreignaffairs.com/articles/russia-fsu/2021-12-28/what-putin-really-wants-ukraine 

(8) Voir Léosthène n° 524/2009, le 24 octobre 2009, Medvedev à Belgrade : retour sur la sécurité européenne
Dimitri Medvedev était le 20 octobre à Belgrade, première visite officielle d’un président russe en République serbe, pour le 65ème anniversaire de la libération de la capitale yougoslave de l’occupant nazi? Sans réveiller de vieux démons, que nous dit l’Histoire pour demain ? “ D’unir nos forces en face des grandes menaces, menaces envers le continent européen ou le reste du monde. Voilà ce qui sous tend l’idée suggérée par notre nation de signer un nouveau traité et de créer un système de sécurité européenne moderne, nouveau et efficace – un système qui ne soit dirigé contre personne, qui consolide nos liens et nous unisse au-delà de nos alignements politiques ou de nos idéologies ”. Dimitri Medvedev reprend l’idée qu’il avait développée le 5 juin 2008 à Berlin, où il était reçu en visite d’Etat.

(9) Kremlin.ru, le 29 novembre 2009, The draft of the European Security Treaty
http://en.kremlin.ru/events/president/news/6152 

(10) The Wall Street Journal, le 30 novembre 2009, Marc Champion, Moscow Posts Draft of European Treaty – WSJ
https://www.wsj.com/articles/SB125953291923668671 

 

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Source : www.asafrance.fr