SOUS-MARIN : « Une torpille a bien explosé dans le Koursk » selon l'amiral François DUPONT.

Posté le vendredi 09 novembre 2018
SOUS-MARIN : « Une torpille a bien explosé dans le Koursk » selon l'amiral François DUPONT.

L’amiral français François Dupont, dans les sous-marins de 1971 à 1995, se souvient bien de ce naufrage du sous-marin russe, en 2000, avec 118 hommes d’équipage. Un film qui sort mercredi le raconte. Le sous-marinier français le trouve réaliste.

Le film Kursk relate le naufrage du sous-marin nucléaire russe K-141 Koursk, survenu en mer de Barents le 12 août 2000. Ce fleuron de la flotte russe du Nord avait coulé après une explosion et l’équipage avait péri faute d’avoir été secouru à temps. 23 membres d’équipages avaient survécu à l’explosion mais étaient mort avant l’arrivée des secours

Interrogé par Ouest-France, l’amiral français François Dupont estime que le film retrace au mieux la réaction des autorités russes de l'époque, alors que Vladimir Poutine venait de prendre la tête de l'Etat russe.

Le film Kursk (Koursk en français) vous semble réaliste ?

Réaliste et très juste. Dès la première minute, je me suis senti bien. Le film rend parfaitement compte de l’état d’esprit de l’équipage, des familles, de l’état-major et des liens entre eux.

À l’époque du naufrage, en 2000, vous étiez à l’état-major de la marine ?

Oui, et on a tous suivi cet accident et la façon dont on essayait de sortir les survivants.

Le scénario du film vous semble donc juste ?

Toutes les autres hypothèses ont été rapidement balayées par les Russes.

Il y a donc eu l’explosion d’une torpille dans le sous-marin ?

Oui. Soit à cause de l’obsolescence d’une torpille ancienne, soit à cause d’une torpille expérimentale. Mais le fait qu’il y ait une explosion avec les conséquences décrites dans le film, y compris un compartiment préservé, c’est réaliste.

On aurait pu sauver les rescapés ?

C’est toujours très compliqué. En particulier parce qu’un sous-marin est sous pression. Quand il est à 100 m de profondeur, comme le Koursk, ça représente 10 bars de pression. Si on veut sortir, il faut équilibrer l’intérieur et l’extérieur. Première solution : un sauvetage homme par homme. Mais chaque marin se retrouve avec des gaz dissous dans le sang qu’il va falloir éliminer petit à petit. Si c’est trop rapide, il meurt. Dans ce cas, il faut aussi que, dans le sous-marin, les hommes soient en pleine conscience et pas affolés…

Deuxième solution : le sauvetage collectif avec un petit sous-marin de secours. Cette fois, il faut que le bateau soit complètement à plat, ce qui semblait être quasiment le cas du Koursk, et que le format du sous-marin sauveteur soit en parfaite adéquation avec le sous-marin à sauver. Dans le film, on voit bien que des bulles s’échappent et que les Russes n’arrivent pas à faire la connexion.

Pourquoi la marine russe a tardé à accepter l’aide internationale ?

Sûrement par fierté. Quand ils l’ont enfin acceptée, quatre jours après le naufrage, c’était trop tard.

Poutine venait d’arriver au pouvoir. Ça a joué ?

Il était président depuis trois mois. Il n’a peut-être pas pris tout de suite toute la mesure de l’accident. Surtout, il y a eu cette fierté russe face aux Occidentaux. Tous les amiraux de cette époque avaient connu l’URSS. Ils avaient les réflexes de la Guerre froide.

La marine russe s’est-elle améliorée ?

Ce sont des secrets bien gardés. Mais en termes de performance, ils sont revenus à un bon niveau. Là, on était dans un creux de vague d’une dizaine d’années avant que Poutine décide de redonner à la marine son lustre et son efficacité.

A-t-on tiré des leçons de cet accident ?

Du côté occidental, la précaution de ne pas avoir ce type de torpille avec un combustible instable avait été prise depuis longtemps. Et nos coefficients de sécurité sont plus importants.

Et du côté russe ?

Sûrement. Pour les sous-marins et les bateaux en général mais aussi pour les moyens de sauvetage. Ils ont développé ou remis aux normes leurs moyens. Même un objet très performant comme un sous-marin ne peut pas être seul dans le désert.

La peur existe dans les sous-marins ?

Je n’ai jamais eu peur. Mais, quand on est en patrouille pendant 70 jours, on est toujours concentré. Il faut aussi de l’entraînement et que chacun possède le sens de la responsabilité. S’il y a un pépin à un moment c’est la réaction de chaque personne, sans avoir à demander une autorisation, qui peut sauver le bateau. C’est ce qui fait un des intérêts du métier de sous-marinier. En termes de technologie, c’est passionnant.

Le sous-marin est l’objet technologique le plus compliqué à réaliser avec une centrale nucléaire, des missiles, des hommes… Les missions sont particulières et il faut cette cohésion entre les hommes, et désormais les femmes, pour tenir 70 jours.

C’est quand même un métier à part ?

Oui. Mais les vertus qu’on y développe sont applicables beaucoup plus largement. L’autorité ce n’est pas l’autoritarisme. Chacun a une part d’autorité dans une mission. Et ça fonctionne parce qu’il y a une forme de bienveillance.

Le film évoque aussi une amitié entre un gradé britannique et un russe, est-ce aussi crédible ?

Quand j’ai rencontré des Russes ou des représentants des pays de l’Est, le contact était tout de suite très facile. On ne suivait pas la même idéologie mais on partageait les mêmes valeurs.

Et le récent naufrage d’un sous-marin argentin ?

On verra. C’est un sous-marin classique, beaucoup plus petit, et qui pour faire fonctionner son groupe électrogène a un gros tube qui sort de l’eau. Ce schnorkel a un clapet qui permet de ne pas prendre l’eau des vagues. Il est possible qu’il y ait eu une entrée d’eau très rapide par là.

Les gens de mer sont investis de la nécessité de sauver les autres marins. C’est le cas aussi en Méditerranée avec les migrants ?

Ce n’est pas possible pour nous de ne pas sauver des gens en détresse sur la mer. Après, la politique, c’est autre chose. Mais la première solidarité des gens de mer, c’est celle-là.

Y a-t-il une leçon que vous gardez de vos années de mer ?

La mer vous apprend le temps long. On ne va pas vite mais on ne s’arrête pas. C’est une des difficultés aujourd’hui, on a du mal à se projeter dans le temps long



Propos recueillis par Gilles KERDREUX
Ouest France

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

L'amiral François Dupont, 70 ans, aujourd'hui à la retraite.

Photo : Matthias Schoenaerts dans le film Kursk qui sort mercredi. | MIKA COTELLON

Source : www.asafrance.fr