SOUVERAINETE TECHNOLOGIQUE : L’exigence stratégique d’une préférence nationale

Posté le samedi 06 juin 2020
SOUVERAINETE TECHNOLOGIQUE : L’exigence stratégique d’une préférence nationale

Au nom du droit à la concurrence et ce depuis des décennies, la France s’est progressivement délestée des fleurons de son industrie technologique, y compris les plus stratégiques. Mais la crise sanitaire du Covid-19 a rebattu les cartes, explique Jean-Pierre Marongiu.

La pénurie de masques respiratoires, de tests de dépistage, de structures d’accueil hospitalières et d’équipements stratégiques de protection de la population a mis en lumière la dépendance de la France envers les pays à moindre coût de production. Cela est déjà en soi un manquement grave à la responsabilité sanitaire d’un gouvernement. "Gouverner c’est prévoir et ne rien prévoir c’est courir à sa perte" : la pensée d’Émile de Girardin a trouvé avec la pandémie du coronavirus sa pleine justification.

En effet, la responsabilité de l’État est engagée. Les déclarations récentes d’Emmanuel Macron, affirmant que personne ne pouvait prévoir en février l’ampleur de cette pandémie à moins d'être simplement mensongères, sont au mieux un aveu d’insouciance et au pire un aveuglement idéologique. Il est à souhaiter pour la France que nos dirigeants sachent prendre la mesure de leurs défaillances, car il est bien d’autres domaines où l’autonomie stratégique doit prendre le pas sur l’économie de marché. La souveraineté technologique est de ceux-là.

 

Les données sont le pétrole du XXIe siècle

La balance économique de la France en matière de technologie numérique est largement déficitaire puisque l’État achète massivement des logiciels aux USA, du hardware en Chine et en contrepartie leur fournit des données. Des données nationales. Or les données sont le pétrole du XXIe siècle. Les Gafam étendent progressivement leur territoire sans frontières, elles sont devenues les égales des superpuissances. Il y a de cela seulement vingt ou trente ans, parmi les dix marques les plus valorisées se trouvait essentiellement des compagnies évoluant dans le secteur pétrolier. Aujourd’hui, Google, Apple, Amazon, Microsoft trustent les 4 premières places suivies de Tencent, une entreprise chinoise de gestion des données, et de Facebook.

Qui contrôle les données contrôle le monde ?

Le contrôle les données sert à attirer les talents, il est vérifiable que les courbes de l’emploi suivent celles des données. Un contrôle qui permet d’influencer une élection, de s’attribuer des marchés d’Etat, de forcer la consommation… A contrario, un Etat qui n’est pas souverain dans le champ numérique expose ses fonctions vitales.

Quand la France lance des appels d’offres afin d’acquérir des solutions numériques, des ordinateurs, des logiciels, ce sont généralement des sociétés étrangères qui les emportent. D’autant qu’il arrive fréquemment que ces acquisitions ne fassent pas l'objet d'appel d’offres. Pour exemple, l’octroi à Microsoft de l’hébergement des données du Health Data Hub, la gigantesque plateforme destinée à centraliser l’ensemble des données de santé des Français. Une demande d’enquête pour favoritisme a d’ailleurs été lancée auprès du ministère de la Santé par un collectif de sociétés françaises.

Le danger stratégique est grand, les hébergeurs américains sont assujettis au "Patriot Act" et au "Cloud Act" qui autorisent la NSA et la CIA à mener leurs investigations dans les serveurs situés sur le sol américain. Or la France et l’Europe possèdent des solutions au moins aussi performantes, telles que la société française OVH Cloud qui a permis l’hébergement des dossiers Wikileaks, ou Qwant le moteur de recherche français qui n’opère pas de transfert de nos données personnelles.

Puisque la constitution européenne qui nous a été imposée par Nicolas Sarkozy nous interdit la préférence nationale, assurons-nous à tout le moins d’une préférence européenne. Un collectif de 200 sociétés françaises évoluant dans le secteur numérique a récemment publié une demande à l’Etat afin d’attribuer un quota de 50% des marchés numériques à des sociétés européennes. La décision d’Emmanuel Macron d’accorder sans concurrence le projet Health Data Hub à Microsoft est à la fois inconsciente en matière de sécurité et suicidaire pour notre industrie numérique.

Se gavant d’emphase sémantique, Emmanuel Macron a qualifié à tort la pandémie du Covid-19 de guerre, en oblitérant le fait qu’une véritable guerre mondiale des datas se déroulait sous ses yeux. Sans la restauration d’une part de souveraineté technologique, l’investissement de 500 milliards d’euros pour la relance de l’économie européenne annoncée conjointement par Emmanuel Macron et Angela Merkel risque fort de tomber dans l’escarcelle des Gafam.

Penser la souveraineté

Certains États ont bien compris les enjeux technologiques : la Chine qui a défini l’objectif de 100% de solutions nationales, les États-Unis, la Russie et le Japon également. Seule l’Europe n’a pas encore fixé de directives dans ce sens. Il est clair que La France doit redevenir souveraine dans les domaines stratégiques, la santé, les données numériques au même titre que la défense, l’éducation et la justice. L’État doit être présent et soutenir nos entreprises dans ces domaines, il convient de revenir à une gestion colbertiste de notre industrie. Le protectionnisme national doit s’appliquer aux secteurs névralgiques de notre industrie.

Une souveraineté européenne ne peut exister, car elle serait contraire au concept même de l’Europe ultra-libérale actuelle. De surcroît, au niveau européen, aucune nation ne possède la taille critique pour lutter contre les superpuissances que sont devenues les Gafam. Des alliances d’Etats entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre du type Airbus seront nécessaires pour préserver les libertés et les économies nationales.

La souveraineté stratégique doit également s’appliquer aux cabinets-conseils : comment interpréter la décision d’Emmanuel Macron de confier le déconfinement à une société privée américaine, Bain & Company ?
N’est-il pas suicidaire de confier l’ensemble des données sanitaires nationales à une entreprise privée étrangère lui donnant accès aux entrailles de la République ?

Avec l’attribution du projet Health Data Hub à Microsoft, les louanges de l’OMS concernant la gestion exemplaire de la pandémie Covid par l’exécutif français prennent une dimension nouvelle, en effet, Bill Gates est devenu depuis le gel de la contribution américaine (15,9 %) le premier contributeur de l’OMS à hauteur de 9,4%.

Le virus ultra-libéral qui déferle sur la souveraineté des nations européennes s’affranchissant de tout "gestes-frontières" relègue la létalité du Covid-19 au rang des démangeaisons cutanées.

Jean-Pierre MARONGIU * 
Marianne
Écrivain, ingénieur et expert en Management
le 03/06/2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

*Expatrié professionnel, il a parcouru la planète avant de devenir entrepreneur au Qatar où il a été injustement emprisonné près de 6 ans, sans procès.
Il a publié plusieurs romans et témoignages dont : Le Châtiment des Elites, Qaptif, InQarcéré, Même à terre, restez debout !

 

Source : www.asafrance.fr