STRATEGIE : Les stratégies chinoises  

Posté le lundi 13 septembre 2021
STRATEGIE : Les stratégies chinoises   

La nature politique de la Chine et ses stratégies s’articulent à trois constantes.

La première est qu’en dehors de la très éphémère période de Sun Yat-sen (29 décembre 1911 – 10 mars 1912, soit 70 jours) après l’effondrement dynastique de 1911, le pays n’a jamais connu autre chose qu’un système de gouvernement autocrate vertical plus ou moins dur.

A la dictature de Tchang Kai-chek (1928 – 1948) succéda, à partir de 1949, celle de Mao et du Parti communiste chinois dont la fibre répressive et de mise aux normes qui n’a jamais vraiment faibli, s’exacerbe aujourd’hui. Elle est articulée à la fois à un système de « crédit social » à base de caméras de reconnaissance faciale et à la répression sans nuance des contestations.   

La deuxième constante est que, sans solution de continuité entre la fin du système dynastique et la période post-impériale, la conscience stratégique des élites politiques a toujours considéré le pays comme « le pivot » du monde – « pays du milieu » ne voulant pas dire « du juste milieu » comme certains le croient, mais « au centre » 

Pour se convaincre de la permanence de l’idée de « centralité chinoise », il suffit d’observer les schémas et les cartes des « nouvelles routes de ma soie » dont les trajectoires en étoile, par mer et par terre, irriguent le monde à partir de la Chine. 

La troisième permanence est que la nature des relations de Pékin avec le reste du monde varie à la fois en fonction de la puissance de l’interlocuteur et de son éloignement du « centre ». Ainsi les petits pays proches – comme ceux de l’ASEAN, dont certains sont riverains de la mer de Chine du sud – essuient fréquemment les provocations de la marine chinoise dans leurs ZEE.  

En dépit des discours, la vérité est que « ces petits pays » sont plus considérés comme des « tributaires » de l’ancien système impérial redevables à l’empire que comme des partenaires normaux d’un ordre international régulé par le droit. La permanence du schéma relationnel « suzerain – vassal » entre la puissance centrale et la nébuleuse des inféodés avait été attestée par une réflexion de Yang Jiechi, lors d’un sommet de l’ARF à Hanoi, en 2010. 

Ancien Ambassadeur aux États-Unis, aujourd’hui n°16 du Bureau Politique, Yang qui s’est récemment distingué lors du sommet sino-américain d’Anchorage, le 19 mars dernier, par la fermeté de ses réponses à Antony Blinken, avait asséné sa vérité de puissance tutélaire, aux représentants de l’ASEAN rassemblés « Que voulez-vous, c’est un fait, la Chine est un grand pays et les autres sont des petits pays ».    

Quant aux plus éloignés, s’ils sont puissants comme les États-Unis, ils peuvent être considérés comme un rival ou/et un exemple de puissance à rattraper - jamais comme un modèle politique -, en tous cas toujours comme une pièce majeure de l’échiquier mondial à ménager.

Avec eux, il peut être nécessaire de trouver des accommodements temporaires, à moins qu’il ne soit nécessaire de leur opposer un contrepoids, comme par exemple la Russie dont les relations avec Washington sont, pour les mêmes raisons, tout aussi heurtées.  

Les autres acteurs majeurs comme la France, le Royaume Uni, l’Allemagne ou le Japon avec qui les contentieux historiques ne sont toujours pas réglés, font l’objet d’une vigilance à la fois condescendante – déficit de puissance oblige – et chatouilleuse dont le premier objet est d’éviter qu’ils s’agrègent à un front uni contre la Chine.

C’est avec cet arrière-plan de puissance globale autocrate, se plaçant elle-même au pivot du monde défiant la position hégémonique de Washington en Occident dont la réputation vient d’être gravement ternie par le chaos de l’abandon militaire d’Afghanistan, qu’il faut considérer le récent échange téléphonique du 9 septembre entre Joe Biden et Xi Jinping à l’initiative du Président américain.

Alors que la Maison Blanche explique que Biden aurait été exaspéré par le blocage des échelons subordonnés de l’administration chinoise n’ayant jamais donné suite aux promesses de coopération d’il y a sept mois, lors du dernier entretien au sommet, à Pékin, la chaîne de TV officielle chinoise, restée sobre, affirmait que l’échange avait été « franc et approfondi, donnant lieu à l’examen des deux positions stratégiques et des points de contentieux préoccupants ».

A l’intention de l’opinion publique chinoise, le but était de montrer que le n°1 chinois parlait d’une position comparable à celle de la première puissance de la planète, ramenant les stratégies extérieures de l’Empire articulées à la force du « fait accompli » à un simple « désaccord, source de préoccupations », alors qu’elles sont contestées par Washington, l’Inde, le Japon, l’Australie et la majorité des pays occidentaux qui voient de plus en plus la Chine comme une menace.

Non pas que les chars ou la marine chinoise soient à nos portes prêts à déferler. Mais partout, l’analyse des actions de Pékin montre la perpétuation d’une vision autocentrée articulée non pas aux règles internationales arrêtées en 1945, mais à la prévalence de la culture, de l’histoire et de la puissance sur le droit.

Les tensions nées de ces discordances sont encore attisées par la tendance du Président Xi Jinping à adosser le nationalisme chinois aux rancœurs jamais éteintes nées au XIXe siècle des humiliations infligées à l’Empire par les puissances occidentales et le Japon.  Dans ce contexte, les représailles contre les intérêts d’affaires en Chine des détracteurs des menées chinoises, restent le premier et immuable levier de la stratégie de force de Pékin.  

Opportuniste et réactive, la Chine saisit toutes les occasions pour, chaque fois que possible, affaiblir les positions occidentales, y compris les nôtres dans le Pacifique, en Nouvelle Calédonie et à Tahiti en jouant du nombre et de la richesse de ses réseaux commerciaux.

L’un des points clés est la Nouvelle Calédonie. Indépendant, en mal de cash, le « Caillou » passerait sous influence chinoise que Pékin prépare assidument par un intense jeu d’influence à travers ses associations proches des indépendantistes. Outre le nickel, l’objectif est d’ajouter un point d’appui chinois à ceux déjà conquis ou en passe de l’être des Îles Salomon, de la Papouasie Nouvelle-Guinée, des Nouvelles-Hébrides et des Îles Fidji.

Enfin, la puissance d’influence chinoise dans le Pacifique a fait l’objet d’une mention d’Emmanuel Macron lors de son récent passage à Tahiti, le 26 juillet. Le Président y a stigmatisé le projet chinois de ferme aquacole sur l’atoll de Hao qu’il a jugé « exotique », « aventureux », aux financements « incertains » et aux créations d’emplois « improbables »

En Afrique, la stratégie est la même. Anti-occidentale, s’imposant par la force des finances, ayant d’abord, par posture, rejeté toute coopération avec les anciennes puissances coloniales (les récents contrefeux antichinois ont obligé Pékin à nuancer son cavalier seul), elle suscite des contrecoups souvent dus au creusement des dettes publiques et à des heurts sociaux résultats d’une gestion brutale des ressources humaines.

Avec l’Europe, les relations se sont récemment aigries suite aux critiques du parlement fustigeant le traitement infligé aux Ouïghours. Mais déjà en mars 2019, lors de la visite de Xi Jinping à Paris, les stratégies chinoises dans les PECO, avançant sur le mode d’un cheval de Troie divisant les pays de l’UE, avaient suscité une réaction commune de Bruxelles, Paris et Berlin, qui qualifia la Chine de « rival systémique ».

Mais c’est en Asie, dans sa sphère d’influence stratégique directe que Pékin exprime le plus clairement ses réminiscences impériales articulées à la force.

En mer de Chine du sud, depuis le 1er septembre, elle enveloppe son grignotage territorial affirmant sa souveraineté sur tout l’espace marin vaste comme la Méditerranée d’une disposition législative d’autorité imposant aux navires en transit de décliner leur nom, leur indicatif, leur position, leur prochaine escale et l'heure d'arrivée estimée.

Contrevenant au dogme de la liberté de navigation en haute mer établi par la Convention sur le droit de la mer que Pékin a signée, l’injonction inverse la relation du rapport entre le droit et la force. Quand, dans les systèmes démocratiques, la force s’affirme en 2e ligne en appui du droit, les « caractéristiques chinoises » dont l’ADN philosophique est l’absolu indépassable de la souveraineté, utilisent le droit pour légitimer la force du fait accompli.  

Dans le détroit de Taïwan enfin, sans considération pour la volonté de la population qui, tous partis confondus, rejette l’idée d’une réunification avec un Continent tenu par le Parti communiste, Pékin tient l’Île sous la menace de ses missiles balistiques pour interdire toute dérive vers une affirmation d’indépendance.

Alors que, depuis 2016, la mouvance indépendantiste est au pouvoir - la Président Tsai Ing-wen ayant été brillamment réélue en janvier 2020 avec 57,1 % des suffrages exprimés et une participation record -, les tensions dans le Détroit ne cessent de monter.

Ce n’est pas fini. Le 31 août dernier, nous étions en pleine débâcle du retrait américain en Afghanistan. A Pékin, on fustigeait le désordre, stigmatisant la faiblesse et la défaillance du « leader mondial des démocraties ». Sans surprise le Global Times glosait sur la fragilité du soutien stratégique de Washington, doutant sans le dire de la promesse d’implication américaine dans le Détroit.

Hasard du calendrier, c’est à ce moment que paraissait dans « Le Monde » une tribune signée de Joseph Wu, Ministre des Affaires étrangères de Taïwan plaidant pour l’entrée de l’Île aux Nations Unies. La même exhortation est parue dans le Japan Times le 3 septembre et le 7 septembre, dans le journal suisse « Le Temps ».

La requête, chiffon rouge agité sous le nez de Pékin, prend à contrepied l’idée d’une appartenance de Taïwan à la Chine. Réaffirmant la quête de souveraineté de son Parti et de Tsai Ing-wen brillamment réélue en janvier 2020, le ministre s’inscrivait en faux contre l’affirmation que Pékin serait seul qualifié pour représenter l’Île à l’ONU.

Il rejetait aussi l’idée que l’avenir de l’Île n’existerait que dans le projet catégorique d’une réunification inéluctable à terme, pour l’instant contre la volonté d’une majorité de la population.

 

François TORRES
Officier général (2s)
Source : Asafrance.fr
13 septembre 2021

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