UKRAINE : Digressions sur deux leçons de l’Histoire autour de la crise ukrainienne.

Posté le vendredi 11 février 2022
UKRAINE : Digressions sur deux leçons de l’Histoire autour de la crise ukrainienne.

Il faut s’imaginer les titres de la presse demain si l’on parvenait, in extrémis, à stopper le risque d’invasion de l’Ukraine par la Russie grâce à une négociation internationale imprévisible. « Vive la paix ». « L'objet du litige qui a failli provoquer la guerre semblait, somme toute, bien petit par rapport à la catastrophe qu'il risquait de produire ». Que représentaient, après tout « ces questions de détail » tactiques comme le délai d'évacuation et quelques hectares en plus ou en moins dans un petit coin d'Europe comparés aux millions de vies qui allaient, peut-être, se sacrifier à cause d'elles? Et pourtant ce sont ces questions, d'apparence minimes, qui ont bouleversé le monde, parce qu'il ne s'agissait plus d'un problème politique, mais d'un principe moral.»: « les pays alliés ont accepté que cette annexion se fît sur le plan de la négociation européenne, moyennant des procédés et des garanties européens, et non sur le plan du « bon plaisir ». Or, cette distinction est considérable...». Chacun aura reconnu ici le sombre récit des éditoriaux de la presse française, notamment celui rédigé par Wladimir d’Ormesson dans Le Figaro, au lendemain des accords de Munich du 30 septembre 1938, à la suite desquels la Tchécoslovaquie a été « livrée » à l’Allemagne hitlérienne. L’histoire ne se répète jamais mais elle bégaie, selon une formule prêtée à Karl Marx. Chacun veut le croire ou l’espérer et pourtant l’affaire ukrainienne interroge sur le précédent de celle des Sudètes il y a plus de quatre-vingts ans.

La crise actuelle entre les deux camps, Etats-Unis et Europe d’une part et Russie de l’autre, est celle d’influence, de communication, d’ascendant et de cyber action afin de mobiliser en sa faveur, grâce à la propagande, les opinions publiques. Pour autant, les enjeux géopolitiques ne sont pas neutres et mettent à l’épreuve quatre membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour la Russie, alliée objectif de la Chine, il s’agit de s’imposer comme un acteur incontournable mondial malgré ses faiblesses économiques et sociétales. Dans cette optique, elle peut avoir intérêt à tenter de diviser européens et américains même au prix de sanctions et d’embargo qui affectent sévèrement la population russe. Il faut, en outre, se souvenir des précédents de l’intervention russe de 2008 en Géorgie, puis la prise de contrôle de  la Crimée en 2014, avec la garantie d’un accès stratégique direct à la mer Noire et enfin de l’infiltration dans le Donbass ukrainien depuis 2015. Faire monter la tension en Ukraine et simultanément en Afrique, via le groupe de mercenaires Wagner, concourt à diviser les occidentaux et, pour le moins, à désunir les forces politiques et les opinions publiques de chacun des pays. Tout en mettant en alerte des forces armées, les chefs d’Etats occidentaux  multiplient les déclarations et les conférences afin de démontrer leur détermination comme leur volonté de dialogue et de clarification avec la partie adverse, afin d’éviter une confrontation armée détestable aux conséquences imprévisibles. Si l’on souhaite que la raison l’emporte, il ne faut pas occulter trois types de tensions à surmonter du côté occidental. Tout d’abord les tensions internes à l’Union Européenne lorsqu’elle n’apporte pas un soutien clair à la Pologne dans la crise migratoire avec la Biélorussie. Tensions aussi avec la Grande Bretagne post-Brexit qui fournit, de sa propre initiative, un soutien militaire à l’Ukraine. Et enfin, tensions au sein de l’OTAN qui malgré un retour « à une activité cérébrale » conserve sur son flanc sud, le particularisme de la Turquie dont on sait les liens avec la Russie, et dont on a pu constater ses récentes frictions avec la Grèce qui ont conduit la France à livrer, sans tarder, des avions Rafale à Athènes.

La conclusion en forme de réflexion, que l’on souhaitera prémonitoire, est tirée de l’Histoire de la campagne de Russie en 1812. Au mois de mars de cette année, Napoléon envoie ses ordres aux différents Corps d'armée pour une nouvelle avancée en territoire russe vers le Niémen, au-delà de la rivière du Bug qui marque aujourd’hui la frontière de la Pologne avec l’Ukraine. A deux cents ans de distance les mots forcent notre attention. « Je suppose que les Russes se garderont bien de faire aucun mouvement ; qu'ils ne peuvent pas ignorer que la Prusse, l'Autriche et probablement la Suède sont avec moi ; que, les hostilités recommençant en Turquie, les Turcs feront de nouveaux efforts, et que le Sultan lui-même va se rendre à l'armée, et que tout cela paraît de nature à ne pas les engager à me braver facilement... »

 

Dominique BAUDRY
Colonel(h)
Membre de l’Asaf

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Source : www.asafrance.fr