CORONAVIRUS : Crise mondiale, jeux d'influence et affrontements géopolitiques. Le décryptage de Xavier GUILHOU

Posté le mardi 31 mars 2020
CORONAVIRUS : Crise mondiale, jeux d'influence et affrontements géopolitiques. Le décryptage de Xavier GUILHOU

Dans l'entretien qu'il a accordé à Bruno Racouchot, directeur de Comes Communication, Xavier Guilhou (1) se montre sévère quant à la manière dont la France gère aujourd'hui la crise du Covid-19. Nos élites seraient-elles sous influence de la pensée mainstream ?

Au-delà des aspects techniques, Xavier Guilhou pointe surtout nos partis-pris idéologiques. Et de prévenir sans ambages : « Nous sommes hors sol et la réalité revient nous frapper de plein fouet. A nous donc de nous affranchir des barrières mentales actuelles, de renouer avec les réalités et de retrouver authentiquement le sens de la vie. »

 

Bruno Racouchot :
Vous avez une longue expérience de la prévention et de la gestion des crises, et ce, sous toutes les latitudes. Par-delà les questions d'ordre technique, quid de la dimension psychologique des crises majeures, comme celle du Covid-19 ?

X.G.
La question des modes de représentation et des ressentis est fondamentale dans ce type d’évènements où les questions de vie et de mort sont omniprésentes. Comme le dit très bien Michel Maffesoli, nous avons quitté le monde de la rationalité pour entrer dans le monde de l’émotion. Je suis frappé actuellement par la surcharge d’irrationalité qui règne à tous les niveaux, peut-être encore plus dans les étages décisionnels qui sont pris dans des dilemmes à la fois idéologiques, corporatifs et technocratiques.
Il y a une vraie difficulté pour prendre en compte le réel, d’autant que nos sociétés n’ont plus connu de véritables catastrophes depuis sept décennies. Elles n’ont connu que des crises de bien-être. De fait, nous avons construit de belles planifications rassurantes sans trop y croire et surtout, nous ne les avons jamais véritablement testées au niveau des populations. C’est ce choc entre la brutalité de la réalité et la virtualité des concepts qui fait exploser les peurs et développe de façon virale la défiance envers nos édiles.

Avec la moitié de la population mondiale confinée, des images morbides qui tournent en boucle sur toutes les chaines du monde, des interviews catastrophiques qui s’enchainent sur les "Live" et qui enflamment les réseaux sociaux, nous avons une multiplicité de crises multi-médiatiques qui se surajoutent à la crise sanitaire. Il y a là une forme d’hystérisation de la représentation de la crise qui est redoutable. La peur devient plus dangereuse que le virus lui-même. Entre le virtuel véhiculé par les images et le réel incarné par les médecins, plus personne ne sait véritablement où se situe le normal. D’où ces comportements que l’on peut observer de déni, de repli, de surréaction, de panique chez des personnes pourtant intelligentes et éduquées.

La confrontation à la réalité de la vie brise chez eux la lucidité et le discernement. Ils se laissent submerger par l’irrationnel et l’émotion. Nous connaissons ces mécanismes psychologiques lors de grandes catastrophes. Cela génère parfois des processus de décision quasi schizophréniques. La dimension psychologique dépend aussi en grande partie de la crédibilité des mots qui sont utilisés et de l’écart qu’ils génèrent avec la réalité. Quand on utilise le mot « guerre » vers les populations avec à côté le terme d’ « urgence sanitaire » pour le corps médical, l’écart est tel qu’il génère immédiatement du doute, de l’inquiétude voire de la contestation dans le mode de pilotage de la crise. D’autant que la résonance des autres postures au niveau international interpelle sur la véritable nature de la crise. Quand d’autres pays voisins passent en mode « état d’urgence » ou « état d’exception », personne ne comprend que dans un monde théoriquement globalisé, il y ait autant de différences sémantiques et juridiques… Tout ceci contribue à « fractaliser » les modes de représentation et à douter des choix retenus par les exécutifs, voire à s’imaginer que nous sommes victimes de complots… La rumeur devenant plus virale que le virus lui-même… Les mots choisis, les postures retenues, la façon d’expliciter les priorités sont déterminants.

A partir du moment où, pour appliquer le principe de précaution, vous donnez le pouvoir dès le départ aux médecins sur ce type d’évènements, qui n’est pas que technique, vous perdez immédiatement en crédibilité sur le plan stratégique. Puis, lorsque vous le reprenez, toujours en vous protégeant derrière de multiples comités Théodule, pour le passer au monde sécuritaire et militaire, sans pour autant prendre les décisions qui s’imposent, vous perdez toute légitimité sur le plan stratégique. Le risque, c’est petit à petit de glisser dans un pilotage dégradé où vous ne ferez plus que du commentaire de chiffres et où vous ne pourrez que constater l’écroulement de vos dispositifs de survivance. C’est un peu mai 1940 ! Sur une pandémie comme le Covid-19 qui est mondiale, et qui est de l’ordre non pas d’une crise classique mais d’une grande catastrophe planétaire, il faut tout de suite et en peu de mots incarner et injecter du sens. Il faut faire comme Giuliani le 11 septembre 2001 ou Churchill face à la pandémie nazie. Cela ne s’improvise pas !

Bruno Racouchot :
A la lumière des crises que vous avez suivies à travers le monde, estimez-vous que certaines d'entre elles peuvent être instrumentalisées comme vecteurs d'influence dans le grand jeu géopolitique mondial ? Si oui, quels sont les atouts et les faiblesses de la France et de l'Europe en la matière ?

X.G.
Bien entendu et ce fut le cas maintes fois. Je l’ai vécu sur le plan international après la chute du mur de Berlin avec la vague dite de démocratisation néo-libérale de l’Europe de l’Est et la manœuvre des grands groupes financiers anglo-saxons pour prendre le contrôle de la Russie, mais aussi avec les affaires du Kosovo, de l’Ukraine ou plus récemment de la Syrie. Ce fut le cas aussi lors des différentes guerres du Golfe pour couvrir des opérations de contrôle des marchés énergétiques. Nous pouvons ouvrir le débat avec cette pandémie. Certes la Chine nous a vendu comme causalité la viralité des chauves-souris, puis du pangolin… Mais il faut bien admettre que l’agenda provoqué par cette vague épidémique au niveau mondial est comme par hasard très favorable aux intérêts chinois en termes de rapports de force stratégiques. Cette pandémie arrive à un moment particulièrement opportun, si ce n’est décisif pour Xin Jinping.

Dans la continuité de sa communication planétaire sur la route de la soie, il souhaite désormais bien faire comprendre au monde entier que la Chine est enfin devenue en 2020 la première puissance au monde et ce, juste au moment des élections américaines… L’Amérique ne serait donc plus "first and great again" ! Quelle rupture dans les rapports de force mondiaux… Inimaginable pour nos modes de représentation de la puissance ! Et pourtant cette crise révèle au monde combien nos pays sont devenus dépendants et redevables de la Chine, grand atelier du monde. Je ne peux m’empêcher de réagir en termes d’anticipation stratégique.

Pour Xin Jinping, cette affaire lui permet non seulement de réduire à néant ses oppositions internes, de faire le ménage au sein de ses instances dirigeantes et désormais de se poser en sauveur du monde. De façon symbolique il se montre chevaleresque en produisant et distribuant aux Européens des milliards de masques, de tests et pourquoi pas en fournissant un antidote miracle… avant nos grands laboratoires… avec la bénédiction de l’OMS… Ses milliers d’entreprises se remettent en marche pendant que sur les 6 prochains mois, nos pays seront neutralisés par le confinement, puis défigurés par une crise financière pire qu’en 2008 avec ses cortèges de millions de chômeurs qui feront exploser les populismes, toutes nos coopérations voire nos frontières, notamment en Europe…

Cette pandémie va contribuer à redistribuer les cartes à très grande vitesse et, de fait, toutes les instrumentalisations sont bonnes pour désigner qui est dans le bien ou le mal. Les Chinois en abusent en accusant les Américains d’être désormais à l’origine du virus et un leader comme Trump en use pour sa réélection en parlant du "virus chinois" et en rajoute avec son secrétaire d’Etat Mike Pompeo qui évoque nommément le "virus de Wuhan". L’inconcevable n’est jamais impensable. Pour reprendre la métaphore d’Edward Lorenz si « un battement d’aile de papillon au Brésil peut provoquer une tornade au Texas », un virus chinois peut bien mettre à genoux toutes nos arrogances occidentales... C’est l’art subtil de gagner des guerres sans avoir à livrer bataille ! Face à ces enjeux et défis, l’Europe risque désormais l’implosion et la France la marginalisation pour ne pas avoir su anticiper à temps...


Propos de Xavier GUILHOU (1)
recueillis par Bruno RACOUCHOT
Directeur de Comes communication


                                                                

(1)  Ancien responsable de la DGSE dans les années 1980, puis fortement engagé dans la montée en puissance des opérations spéciales (COS) dans les années 1990, Xavier Guilhou est un spécialiste reconnu de la prévention des risques, de la gestion des crises et de l’aide à la décision stratégique.
Il a ainsi participé à titre civil et militaire à plus d'une trentaine de crises internationales et à plusieurs conflits sous mandats UE, ONU, OTAN.
Docteur ès Lettres et Sciences humaines, fin connaisseur du monde de l'entreprise, Xavier Guilhou a mis sa vie durant son savoir-faire au service de la France, de sa diplomatie - notamment humanitaire-, de ses armées, et de son commerce extérieur.

 

 

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