CORONAVIRUS : Les grippes oubliées

Posté le mardi 07 avril 2020
CORONAVIRUS : Les grippes oubliées

La grippe asiatique de 1957 et la grippe de Hong Kong, 10 ans plus tard ont, selon l’OMS, respectivement fait 2 et 1 million de victimes dans le monde, dont, pour la deuxième, 50% dans l’ancienne colonie britannique, soit 15% de la population de l’époque.

En France, les bilans sont controversés. Pour la grippe asiatique venue des provinces chinoises du Guizhou et du Yunnan, on navigue tout de même entre 15 000 (Roland Pressat « La situation démographique », 1960.) et 100 000 morts (La Tribune du 29 octobre 2009). Quant à la grippe de Hong Kong originaire d’Asie Centrale, elle aurait tué 40 000 personnes en France et autant en Allemagne, sans qu’à cette époque les bilans fassent clairement la différence avec la grippe saisonnière.

Personne n’en parle. Moi-même je ne m’en souvenais plus. En Chine, la grippe asiatique coïncidait avec l’époque maoïste du « grand bond en avant » (36 millions de morts), tandis que 10 ans plus tard, celle de Hong Kong était contemporaine de la révolution culturelle, vaste chaos dont la Chine cache encore aujourd’hui, le nombre de victimes. C'est un réflexe.

En France, la grippe asiatique a coïncidé avec les derniers souffles de la IVe République, l’instabilité politique, la fin de la bataille d’Alger et les prémisses de la Ve. Celle de Hong Kong, avec mai 68, De Gaulle à Baden chez Massu, la dissolution de l’assemblée, ayant donné de mauvaises idées à Chirac, 29 ans plus tard. Fausse manœuvre catastrophique décidée en dépit des conseils de Philippe Seguin. N’est pas De Gaulle qui veut.

Les malades de ces pandémies sont morts dans le silence médiatique et politique. Pourquoi ? On n’aura pas la prétention de faire le tour de cette interrogation à la fois sociale, politique et, peut-être surtout, psychologique. Des sociologues ont avancé l’idée que les bouleversements politiques dans un monde occidental encore dominé par l’optimisme des « 30 glorieuses » ont anesthésié les émotions négatives et favorisé l’oubli.

Dans un article paru dans l’opinion le 8 mars dernier, Éric Le Boucher, ancien éditorialiste du Monde et aujourd’hui aux Échos, écrit que, même cette pandémie sera passée par pertes et profits et vite oubliée « si elle ne débouche pas sur des millions de morts ». https://www.lopinion.fr/edition/international/pandemies-passent-puis-s-oublient-chronique-d-eric-boucher-213771

Il ajoute ce constat affligeant sur la capacité des hommes à se réformer : «  (…) Si, dans peu de mois, les entreprises rattrapent leurs carnets de commande, si les ménages tout joyeux de ne compter aucune victime se prennent de folie consommatrice, si la Bourse en profite pour remonter, l’oubli interviendra vite. La maladie n’est pas, en tant que telle, une force de transformation. ». 

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Il est encore trop tôt pour tirer le bilan des victimes du Covid-19 et épiloguer sur la dangerosité réelle du virus. Au passage, certaines rumeurs, démenties par le ministère de la santé, mais propagées par des journalistes 24 / 24, en mal de nouvelles toxiques, laissent entendre que le virus circulerait dans l'air et pourrait se propager sans contact.

Au-delà du bourdonnement médiatique, on peut tout de même se demander pourquoi les 9 000 morts en France (bilan du 7 avril) font cet effet, alors que les pandémies d’il y a 60 et 70 ans, qui firent au total 3 millions de morts dans le monde et entre 60 000 et 140 000 en France, ont été oubliées.

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Entre temps, la Chine, devenue le 2e puissance globale est sortie de son lit asiatique. Sans toutefois perdre son atavisme de désordre foisonnant, ni sa culture de l’ambiguïté, articulée au Livre de Mutations (Yijing, ou Yiking, classique du changement), contrastant avec notre conception absolue de la vérité. En Chine, aucune vérité n’est première. Elle est toujours contingente.  Fonction du contexte et des circonstances, depuis la nuit des temps, elle est surtout politique. 

Ayant débordé les frontières du Monde Chinois, animée d’une prétention universelle anti-occidentale, le Parti communiste en quête de légitimité interne, déploie ses talents dans une mise en scène géopolitique tous azimuts. Son discours est relayé sur toute la planète au moment même où l’Occident s’interroge sur lui-même et la pérennité de son système démocratique.

Belle opportunité pour la propagande de Pékin. A la faveur de la pandémie, orchestrant son aide – très souvent payante, car ses masques que tout le monde se dispute, ne sont pas gratuits -, le Parti Communiste chinois prétend diffuser l’image de l’efficacité de son système politique autocrate, par un extraordinaire battage global, caisse de résonance planétaire dont le vacarme occupe tout l’espace médiatique.

Depuis les grippes oubliées, le monde a inventé le grouillement parfois sauvage des réseaux sociaux et les chaînes d’informations en continu. Ces dernières s'appliquent aujourd'hui à diffuser avec insistante le bilan journalier des victimes sur fond de compassion nationale mise en scène tous les jours par Jérôme Salomon, relais de la geste théâtrale du « Chef de guerre » présidentiel.

Disséquant les chiffres pour déceler le moindre indice de recul de la maladie, mettant en scène comme dans un film catastrophe, le mouvement des malades évacués par TGV, A 400M ou par hélicoptère, vers nos provinces moins touchées ou vers l’Allemagne (5 fois moins de décès que nous et dont au passage le nombre de respirateurs en stock était 3 fois plus important – mais « il ne faut pas comparer », dit Édouard Philippe qui semble prendre exemple sur la Chine -) , toute cette machinerie politico-médiatique met en scène 24 h / 24 un extraordinaire effort de transparence.

Si la puissance du bruit médiatique venait à faiblir, les histoires venant de Chine, qu'il s'agisse du succès de son confinement radical du Hubei et de sa levée le 8 avril, des soupçons sur le chiffre réel des morts nés des longues files d'attente devant les 8 crématorium de Wuhan, des 3 minutes de silence figé pour honorer la mémoire des victimes ou de l’avenir planétaire de la puissance chinoise, se conjuguent pour redonner vigueur à la musique anxiogène ambiante et du grain à moudre à BFM TV.  

Bref, 60 ans après la « grippe de Hong-Kong », aucune chance que le Covid-19 passe inaperçu.

On peut tout de même se demander ce qu’il en restera dans 50 ans. Certainement, le nombre de victimes dont le décompte n’est pas clos. Peut-être aussi, - mais comme le suggère Eric Le Boucher, restons circonspects puisque l’histoire nous apprend que le penchant naturel des humains - celui de la facilité grégaire et cupide - revient toujours au galop -, ce sentiment d’une « rupture » de l’idéologie du « village planétaire » et de l’obsession mercantile des délocalisations qui nous lie pieds et poings liés à la Chine et à ses masques.  

En même temps, le battage médiatique de la transparence pourrait avoir éveillé la conscience que le sauvetage écologique et économique du monde nécessite une coordination globale, ne serait-ce que pour tenir à distance les catastrophes humaines, sociales et économiques qui se profilent chez nous et surtout en Afrique.

Mais nous connaissons mal le virus, dit Antoine Flahaut épidémiologiste, directeur de l'Institut de de santé globale à l’Université Genève. La chaleur du printemps et les températures de l’hémisphère sud où les bilans sont moins alarmants, auront-elles raison du fléau ? Restons prudents. Comme la Chine, certains moins transparents que nous, cachent une partie de leurs morts. Au passage, balayons devant notre porte, car à nous aussi, il nous a fallu 3 semaines pour commencer à publier le bilan des EHPAD. On croit rêver. 

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En attendant, on ne peut pas nier que le recul de l’homme agité et destructeur, claquemuré chez lui, produit quelques effets bénéfiques. Observée par satellite, la pollution en Chine centrale a disparu. A Paris, plus de poussière noire sur les meubles. Le silence revenu permet d’entendre le chant des oiseaux tandis qu’à nouveau, canards et mésanges s’aventurent au bord de la Seine.

Surtout, le battage planétaire jette, chez nous et ailleurs, une lumière crue sur la destruction de l’hôpital public que le recul régalien de l’État a laissé aux mains des comptables. La prise de conscience commence à avoir des effets bénéfiques.

Le premier d’entre eux qui nous touche au premier chef, est la remise en cause de la décision prise en 2016 par le « Président normal », adepte du scooter nocturne, de fermer le Val de Grâce. Symbole planétaire de l’excellence médicale française, aujourd’hui endormi au cœur de Paris, l’ancien hôpital d'instruction des armées, couvre trois hectares occupés par les militaires de l’opération Sentinelle.

L’abandon reste un exemple honteux de l’abdication du régalien, ayant laissé le champ libre au pointillisme des trésoriers, eux-mêmes hypnotisés, pour solde de tout compte, par les critères de convergence de Bruxelles. Face à la perspective coûteuse d’une réhabilitation en urgence, les pleureuses redonnent de la voix « trop difficile, trop long, trop cher ». Mais, au moins, la question est posée, tandis que la sagesse et la raison semble à nouveau en passe de pénétrer la cervelle des « responsables. » Il était temps.

Récemment, au moment où, en Chine, apparaissaient les premiers cas de Covid-19, d’abord cachés par la bureaucratie communiste dont la désinformation influença le Directeur Général de l’OMS, Éthiopien reconnaissant à Pékin d’avoir annulé la dette de son pays en janvier 2019, Yves Buisson épidémiologiste de l'Académie nationale de médecine, expliquait :

« Nous nous en étions déjà rendu compte lors des attentats du Bataclan, fermer le Val-de-Grâce a sans doute été un mauvais choix, d'ailleurs motivé par des raisons budgétaires non confirmées » (…) « Le Val-de-Grâce aurait pu jouer un rôle très important pendant cette épidémie ». Alléluia. 

Tout en rappelant que le professeur Yves Buisson fut en mars 2016, une des seules voix autorisées à protester publiquement contre la destruction d’un symbole de la médecine militaire française https://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/03/07/31003-20160307ARTFIG00057-paris-peut-il-encore-se-passer-du-val-de-grace.php - il fut d’ailleurs à l’époque rappelé à l’ordre par le cabinet du ministre de la Défense -, on regrettera que nos médecins militaires ne se soient pas élevés plus clairement et plus fermement, au besoin publiquement, pour faire obstacle à ce qui fut ni plus moins qu’un sabotage.

François TORRES
Officier général (2s)

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr