ESPACE : L'Allemagne premier contributeur de l'Agence spatiale européenne (ASE)

Posté le vendredi 06 décembre 2019
ESPACE : L'Allemagne premier contributeur de l'Agence spatiale européenne (ASE)

Berlin a affirmé son ambition spatiale en devenant le premier contributeur au budget de l'ESA (3,29 milliards d'euros). Loin, très loin devant la France (2,6 milliards).

Un drapeau allemand flotte sur Séville... Celui du triomphe de l'Allemagne. Berlin avait caché la copie sur le montant de sa contribution avant la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, qui s'est déroulée les 27 et 28 novembre à Séville (Space19+). Et pour cause : elle devient, loin devant la France, la première nation contributrice au budget de l'ASE sur cinq ans : 3,29 milliards d'euros, soit 22,9% du budget de l'Agence spatiale européenne (14,38 milliards d'euros au total accordés à des programmes spatiaux européens). Soit 630 millions d'euros de plus que la France, qui a très largement perdu sa place historique de leader européen avec 2,664 milliards (18,5% du budget de l'ESA) même si elle a pu rajouter 160 millions d'euros au 2,5 milliards d'euros prévus avant la conférence ministérielle.

Aujourd'hui, la France est même talonnée par l'Italie, qui a réalisé un très gros effort financier en mettant sur la table de l'Europe spatiale 2,282 milliards (15,9%). Suivent dans le top cinq des contributeurs de l'ESA, le Royaume Uni avec 1,655 milliard (11,5%) et, enfin, l'Espagne avec 852 millions d'euros (5,9%).

Mais la France reste en tête sur les trois prochaines années...

Face au bulldozer allemand, la France a tenté de minimiser l'effort financier de Berlin. « Facialement, les Allemands ont mis plus », a admis le président du CNES, Jean-Yves Le Gall interrogé par La Tribune. Mais, explique-t-il pour tempérer le triomphe allemand de Séville, « nos contributions annuelles sont supérieures ».
Ce que confirme le ministère de la Recherche : « sur les trois prochaines années, la France reste en tête »

Mais les effets de ce leadership allemand se verront beaucoup plus sur le long terme...Si pour l'Europe spatiale cette manne financière est une bénédiction, les industriels français vont quant à eux devoir apprendre à passer après leurs partenaires allemands en raison du fameux juste retour géographique qui, certes, doit évoluer mais qui est encore en vigueur au sein de l'ESA. Une réflexion doit être lancée pour améliorer ce principe, a d'ailleurs précisé Jean-Yves Le Gall à La Tribune.

En dépit de cette désillusion, la France a obtenu pour la filière lanceurs, l'une de ses priorités, ce qu'elle voulait : soit 2,23 milliards plus 512 millions d'euros pour le port spatial de l'Europe basé à Kourou (Centre spatial guyanais). Une satisfaction pour les Français, qui ont mis sur le pas de tir plusieurs démonstrateurs comme le futur moteur bas coût Prometheus, qui a déjà engrangé plusieurs dizaines de millions d'euros, l'étage supérieur ultraléger en carbone Icarus et l'étage réutilisable Thémis. C'est le cas également de Callisto.

 

Record d'engagements financiers

« On a battu tous les records en termes d'engagements financiers », s'est félicité Jean-Yves Le Gall. Ce budget de 14,38 milliards d'euros, en hausse de 40% par rapport au précédent conseil ministériel, atteint une somme inégalée depuis la fondation de l'organisation intergouvernementale, en 1975. Il va permettre de financer les nouveaux programmes spatiaux sur une durée de trois à cinq ans. « C'est un pas de géant pour l'Europe parce que ce n'était pas évident de parvenir à tels engagements dans le contexte économique que l'on connait des Etats membres de mettre autant d'argent et de sursouscrire finalement aux propositions que l'ESA avaient faites », a-t-il expliqué à La Tribune.

Les États membres de l'ESA ont donc entériné une série de programmes qui vont permettre de garantir, pour les années 2020, l'autonomie de l'Europe en matière d'accès à l'espace et d'utilisation de ce dernier, de stimuler la croissance de l'économie spatiale européenne, et de réaliser des découvertes décisives pour la connaissance de la Terre, du Système solaire et de l'Univers. Sans oublier un enjeu essentiel : intensifier les efforts déjà entrepris pour assurer la sécurité et la protection de notre planète.

 

Un effort sans précédent pour le programme scientifique

Pour la première fois depuis 25 ans, une augmentation budgétaire significative a été accordée au Programme scientifique (2,82 milliards). L'ESA pourra ainsi mettre en orbite LISA, le premier observatoire spatial d'ondes gravitationnelles, mener à bien la mission Athena , qui consistera notamment à étudier les trous noirs, et faire avancer de façon considérable la compréhension des phénomènes physiques fondamentaux de l'Univers. Les États ont également investi dans la préparation des missions à venir, en allouant des financements supplémentaires conséquents aux activités de recherche et développement, ainsi qu'aux laboratoires de l'ESA.

Sur l'exploration spatiale, l'Europe, aux côtés de ses partenaires internationaux, continuera à repousser les frontières : poursuite de sa participation aux activités de la Station spatiale internationale jusqu'en 2030 et mise au point des modules de transport et d'habitation cruciaux pour le Gateway, un projet inédit de station orbitale lunaire. Les astronautes de l'ESA recrutés en 2009 continueront à être affectés à des missions jusqu'à ce qu'ils aient tous effectué un deuxième séjour dans l'espace. Des astronautes européens s'envoleront à destination de la Lune pour la première fois. Ainsi les ministres ont confirmé la participation de l'Europe à une mission pionnière de retour d'échantillons martiens, en coopération avec la NASA.

 

Soutien à la compétitivité européenne

L'ASE permettra aux entreprises innovantes et aux gouvernements des États membres de tirer parti de l'exploitation commerciale de l'espace. Pour ce faire, elle favorisera ainsi la compétitivité de l'Europe dans le contexte du NewSpace : développement des premiers systèmes satellitaires entièrement flexibles, conçus pour être intégrés dans les réseaux 5G, ainsi que des technologies optiques de prochaine génération, destinées au réseau communément appelé fibre optique de l'espace. Ces innovations devraient marquer un tournant dans le secteur des télécoms par satellite. En mettant ces technologies au service de la navigation, l'ESA commencera à mettre au point des systèmes de navigation destinés à l'exploration de la Lune.

Dans le domaine du transport spatial, les ministres ont veillé à ce que la transition avec la prochaine génération de lanceurs - Ariane 6 et Vega C - se fasse sans heurts, et ont donné leur feu vert à la poursuite du projet Space Rider, qui dotera l'Europe d'un véhicule spatial réutilisable. Enfin, les États membres de l'ASE se sont engagés en faveur d'une utilisation responsable de l'environnement, sur notre planète comme dans l'espace. Dans le domaine de l'observation de la Terre, l'ASE confortera sa position de chef de file mondial en mettant en œuvre 11 nouvelles missions, portant notamment sur des thèmes liés au changement climatique, à l'Arctique et à l'Afrique.

 

« Il est crucial pour la France de rester
un acteur majeur du spatial européen »
(Frédérique Vidal)

 

« Nous avons la chance d'avoir en France deux grands « satellitiers ». C'est une force. Mais, de temps en temps, le fait d'en avoir deux pose des problèmes face à une compétition mondiale féroce. Ils sont conscients que, sur certains programmes, ils doivent mieux travailler et réfléchir ensemble. (Frédérique Vidal)

L'année 2019 est une année clé pour la filière spatiale européenne, avec le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne (ESA) prévu en novembre prochain. Juste retour géographique, préférence européenne, consolidation industrielle, performances d'Ariane 6, relations avec l'Allemagne : la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, livre la feuille de route de la France pour la conférence ministérielle de l'ASE.

LA TRIBUNE - 2019 est une année chargée pour les questions spatiales avec en point d'orgue la conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne, dont l'objectif est de définir les priorités stratégiques et les financements qui vont avec. Quelles vont être les priorités de la France au conseil des ministres de l'ESA ?

FRÉDÉRIQUE VIDAL - Ce qu'il faut déjà rappeler, c'est à quel point l'Agence spatiale européenne est importante pour l'Europe et la France, leur permettant d'être des leaders du secteur spatial, dans le domaine des lanceurs comme dans celui des satellites : les lanceurs Ariane, les constellations Galileo et Copernicus, la sonde Rosetta... Lors de cette conférence ministérielle, le sujet central porté par la France sera celui de l'innovation. Comment l'Europe sur ces sujets d'innovation doit-elle faire pour rester un leader mondial ? Nous devons aussi penser davantage à l'utilisation des données générées par les satellites conçus et lancés par l'Europe et stimuler le développement de projets fondés sur leur exploitation. Penser à tout ce qu'on appelle le secteur aval, et qui va connaître un développement massif dans les prochaines années.

 

Pouvez-vous donner des exemples précis ?

Pour soutenir l'innovation, nous avons créé ArianeWorks, qui est une plateforme d'innovation de rupture d'un genre nouveau. Mon objectif est d'aider tout l'écosystème de startups New Space à se développer, en lien avec l'industrie et le Cnes. Que ce soit sur des sujets d'agriculture, avec l'utilisation des données satellitaires pour mieux gérer les sols et mieux prévoir la façon d'organiser les cultures ; que ce soit sur les questions de climat, avec l'observatoire que le Cnes est en train de monter au niveau mondial avec de nombreuses autres agences ; que ce soit sur les véhicules autonomes, avec le soutien d'exploitation des données de Galileo. Sur tous ces sujets, il faut maintenant qu'on tire profit des investissements faits au niveau des États membres, de l'ESA et de la Commission européenne.

 

Comment jugez-vous l'écosystème spatial français dans le domaine de l'innovation, notamment dans les data ? Est-ce qu'il vous paraît complet et voyez-vous des améliorations à apporter ?

Il y a toujours des améliorations à apporter, mais cet écosystème est vraiment dynamique. On a la chance d'avoir de nombreuses start-up dans le milieu des données, des calculs, dans l'algorithmique. On bénéficie d'un fonds très important de connaissances et d'expertise dans ces domaines-là, et cela permet d'alimenter la création de start-up, y compris d'ailleurs par des étudiants, des jeunes docteurs ou des chercheurs qui s'impliquent dans la création de start-up à partir de données du spatial.

 

En dépit de notre proximité avec l'Allemagne, il existe une réelle compétition entre Paris et Berlin dans le spatial.....

La France est l'un des pays pionniers sur les questions spatiales, avec le premier programme de lanceur engagé en 1965. Nous avons une agence spatiale en France, le CNES, qui est un support très important à la recherche et aux industriels tant sur les lanceurs que sur les satellites. C'est normal que la France souhaite avoir un rôle de leader. Maintenant, il y a plusieurs grandes nations spatiales en Europe, notamment la France, l'Allemagne et l'Italie qui, à elles trois, contribuent à 85 % du budget d'Ariane 6. Il est crucial pour la France de rester un acteur majeur du spatial européen, et c'est tout aussi important que nos partenaires, Commission européenne comme États membres, restent fortement impliqués dans le spatial. Cela ne fait aucun doute dans l'esprit de qui que ce soit. C'est ce qui fait les succès européens.

 

Ariane 6 est-il le bon lanceur au bon moment ?

Ariane 6, qui sera porté par l'expertise d'Ariane­Group et de l'industrie européenne, sera un lanceur fiable et adapté aux besoins du marché des lancements. Il est donc primordial de terminer son développement puisque celui-ci induira une diminution du prix des lancements. Il sera environ deux fois moins cher par rapport à Ariane 5.

 

Vega E n'est-il pas un futur concurrent d'Ariane 6 ?

Une concurrence entre acteurs européens dans ce domaine serait stérile. Les programmes Ariane 6 et Vega sont extrêmement liés, leur vocation est d'être complémentaires. Notre R&D et l'innovation sont mises en commun entre la France et l'Italie. La France a financé Vega C et l'Italie de son côté Ariane 6. Notre objectif est de disposer au niveau européen d'une gamme de lanceurs qui couvrira tous les marchés de lancement.

 

La réutilisation d'un lanceur, considérée comme une innovation de rupture, n'est pas donc pas à l'ordre du jour...

Nous ne devons pas nous interdire de penser à la suite. Nous proposerons d'accélérer le développement des nouvelles technologies pour préparer la suite d'Ariane 6, via le moteur réutilisable à bas coût Prometheus et les démonstrateurs d'étage récupérable Callisto et Themis. Ce sont des solutions de rupture. Notre objectif est d'être capable, à partir d'Ariane 6, d'améliorer en permanence l'offre de lancement d'Arianespace. L'Europe est en train d'achever le développement d'Ariane 6, qui sera prochainement opérationnelle, et en parallèle prépare l'avenir. Ariane 6 sera enfin un pilier très important de l'autonomie et de la souveraineté de l'Europe et de la France. L'Allemagne et la France sont d'accord sur cette stratégie. Nous nous parlons souvent avec mon homologue allemand.

 

Justement, la France joue le jeu de la préférence européenne. Ce qui n'est pas le cas des autres pays, dont l'Allemagne. Faut-il être plus contraignant ?

Nous devons jouer avec les mêmes règles que nos concurrents. Croyez-moi, ce sujet est une priorité et de grands progrès ont été accomplis depuis deux ans. La Commission européenne et l'ESA se sont engagées à utiliser les lanceurs européens pour leurs programmes spatiaux. Par ailleurs, des représentants de cinq États européens (France, Allemagne, Italie, Espagne et Suisse) se sont engagés lors du Conseil ministériel de l'ASE du 25 octobre 2018 à utiliser en priorité les lanceurs européens pour leurs satellites institutionnels.

 

La France va-t-elle également soutenir son industrie dans les satellites, qui estime être le parent pauvre de la politique spatiale française ?

Commençons par regarder qui est en tête des dernières compétitions les plus importantes dans les satellites. Ce sont des entreprises françaises. Cette industrie est essentielle et c'est pourquoi l'État l'a toujours accompagnée et a contribué à la porter au meilleur niveau mondial. Cela n'a pas de sens d'opposer les satellites aux lanceurs et vice-versa. Je le leur ai dit. Nous avons la chance d'avoir en France deux grands « satellitiers ». C'est une force. Mais de temps en temps, le fait d'en avoir deux pose des problèmes face à une compétition mondiale féroce. Ils sont conscients que, sur certains programmes, ils doivent mieux travailler et réfléchir ensemble. Ils se rendent compte eux-mêmes, au regard du marché international des satellites, que parfois le fait de rentrer dans une compétition à outrance l'un contre l'autre n'est pas le meilleur moyen pour être efficace.

 

Poussez-vous à un rapprochement ?

Je ne définis pas la politique industrielle et commerciale de ces entreprises à leur place. L'essentiel pour moi est que notre filière de satellites reste, dans la durée, un fleuron au meilleur niveau mondial, capable d'innover et d'exporter. Nous sommes prêts à envisager toutes les options.

 

Avez-vous déjà un schéma de rapprochement ?

Ce n'est pas à moi de leur dire ce qu'ils ont à faire, mais ils sont conscients, et moi aussi, qu'il y a des choses à améliorer. Toutes les options sont sur la table, à eux de faire des propositions.

 

Est-ce un projet à court terme ?

Il faut laisser du temps au temps. C'est à eux de réfléchir et de faire des propositions qui feront en sorte qu'en termes de compétitivité, d'innovations et d'emplois les bonnes décisions soient prises.

 

Et si rien n'avait avancé avant la fin de l'année ?

Je crois qu'ils sont parfaitement conscients du sujet et ils s'en parlent. Sur la question du spatial, on porte tous la même ligne.

 

Estimez-vous que la France doit adapter sa doctrine spatiale militaire ?

C'est une question qu'il faut poser à la ministre des Armées, Florence Parly. Mais l'espace tend à devenir un champ de confrontations. Quand on vous attaque, il ne me paraît pas illogique d'être en capacité de répliquer.

 

D'une façon générale, faut-il faire évoluer le principe de juste retour géographique ?

La France porte cette volonté de faire évoluer le juste retour géographique sur investissement. Principalement nous devons repenser l'industrialisation des lanceurs Ariane pour une raison simple : ce marché est désormais le cadre d'une véritable compétition internationale. Il est très important d'améliorer la compétitivité des futurs lanceurs face notamment à la concurrence américaine. Une réflexion est en cours avec l'ESA pour définir des modalités privilégiant l'optimisation du coût. La compétitivité des programmes spatiaux européens doit devenir la règle à travers une approche beaucoup plus économique.

 

La France a soutenu le renforcement de l'agence spatiale de l'Union européenne à Prague. Pourquoi l'ASE, soutenue par l'Allemagne, a-t-elle freiné des quatre fers ?

Peut-on vraiment penser que l'Union européenne n'est pas un acteur à part entière du spatial alors qu'elle va investir 16 milliards d'euros dans l'espace entre 2021 et 2027 ? L'UE va tirer bénéfice de la gestion et de l'exploitation des données spatiales issues des programmes européennes qu'elle a financé. Mais l'Agence spatiale européenne demeure unique par son expertise technique sur la gestion des programmes.

 

Propos recueillis par Michel CABIROL
La Tribune
14/06/2019

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

 

Source : www.asafrance.fr