ESPACE. Jean-Yves Le Gall : «Dans l’espace, les États sont de retour !»

Posté le jeudi 13 février 2020
ESPACE. Jean-Yves Le Gall : «Dans l’espace, les États sont de retour !»

 


Exploration, cyberguerre, coopérations internationales, concurrence avec le secteur privé… Le patron des études spatiales françaises détaille les grands défis à venir.

 

«L’espace est un formidable moteur de développement technologique, qui irrigue l’ensemble de l’industrie française et européenne», estime Jean-Yves Le Gall.

Ingénieur diplômé de l’École supérieure d’optique et titulaire d’un doctorat sur la cartographie des étoiles issue du satellite européen Hipparcos, ancêtre de Gaïa, Jean-Yves Le Gall est depuis 2013 le président du Centre national d’études spatiales (Cnes), qui emploie quelque 1 700 ingénieurs.

 

 

 

LE FIGARO. - Le Cnes a été créé par le général de Gaulle en 1961. Quelques jours après le lancement réussi du satellite Angels, quels sont aujourd’hui les enjeux de l’espace pour une puissance moyenne comme la France ?

Jean-Yves LE GALL. - Effectivement, le 18 décembre 2019, le premier exemplaire de la filière industrielle française de nanosatellites à hautes performances a été lancé à partir de la Guyane. C’est la traduction de la volonté d’un État français stratège de s’adapter aux nouveaux enjeux spatiaux. Mais, au-delà, dans le spatial, la France est une grande puissance. Avec 40 euros par an et par habitant, nous sommes les deuxièmes au monde derrière les États-Unis. Et sur les programmes, nous sommes souvent les premiers, car nous sommes plus efficaces!

L’Europe fait d’ailleurs la course en tête dans de nombreux domaines: la sonde Rosetta-Philae a exploré la comète Tchury ; dans le domaine du changement climatique, nous avons le programme Copernicus ; et, dans celui des lanceurs, nous avons fêté le 40e anniversaire d’Ariane et nous venons d’effectuer son 251e lancement !

 

Quels sont les défis militaires du spatial français?

Depuis qu’a été signé le traité de 1967, régissant les activités des États dans l’espace extra-atmosphérique, les choses ont beaucoup changé. Aujourd’hui, l’espace fait partie intégrante des politiques de défense, avec l’observation, l’écoute et les télécommunications.

À l’ONU, début 2003, la France s’est servie de ses satellites d’observation pour contrer la position américaine sur de prétendus programmes irakiens d’armes de destruction massive. En cas de tensions internationales, il est indispensable de conserver des télécommunications sécurisées. Celles-ci passent forcément par l’espace. Aujourd’hui, les plus grandes puissances spatiales développent des satellites qui viennent observer de très près nos propres satellites. Nous devons développer nos propres moyens pour faire face à cette nouvelle menace.

L’espace est un formidable moteur de développement technologique, qui irrigue l’ensemble de l’industrie française et européenne.

 

La cyberguerre est-elle entrée dans le domaine spatial ? 

Oui, le risque cyber concerne aussi l’espace. Nos activités sont protégées par nos armées, comme l’a rappelé récemment la ministre des Armées, Florence Parly. Toutes les grandes puissances cherchent à pénétrer les secrets militaires et technologiques des autres par des cyberattaques.

Le Cnes œuvre aussi beaucoup pour la défense française, en innovant dans le domaine de la miniaturisation des satellites, ce qui permet d’en lancer davantage. Il y a deux types de satellites. Les géostationnaires, à 36 000 km d’altitude, sont utilisés pour les télécommunications. Les satellites d’observation sont, quant à eux, en orbite basse, à quelques centaines de kilomètres d’altitude. La France a lancé en 2018 CSO-1, un bijou de technologie dans le domaine de l’observation militaire.

 

À quoi sert aujourd’hui l’exploration spatiale à laquelle participe la France? A-t-on beaucoup appris depuis la mission Apollo 11 sur la Lune ?

Dans la mission InSight que nous avons lancée avec la Nasa, nous avons posé Seis, un sismomètre français, en 2018, à la surface de Mars. Nous savons que Mars a été habitable, et toute la question reste de savoir si Mars a été habitée. Et pour la Lune, nous l’observons aujourd’hui avec une précision bien meilleure qu’il y a cinquante ans.

De plus, l’espace est un formidable moteur de développement technologique, qui irrigue l’ensemble de l’industrie française et européenne. C’est un ingénieur du Centre spatial de Toulouse, Laurent Lestarquit, qui a inventé le signal Galileo, qui est en train de supplanter le GPS américain au niveau mondial. Nous sommes plus précis et nous avons à présent plus de 1,2 milliard d’utilisateurs. Comme Ariane, Galileo est un exemple où la France a fait de l’Europe un leader mondial.

La France a la particularité d’avoir des coopérations avec toutes les grandes puissances spatiales que ce sont les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Japon et la Russie

 

À l’heure où le secteur privé (Elon Musk, Jeff Bezos…) donne à croire qu’il est devenu le fer de lance du spatial, nous assistons à un grand retour des États…

Oui, dans l’espace, les États sont de retour! Et la meilleure preuve en est l’implication de l’État à son plus haut niveau, dans toutes les puissances spatiales du monde. Le 13 juillet 2019, dans son discours à l’Hôtel de Brienne, le président de la République a annoncé la création du Commandement de l’espace, qui est en train de s’installer aux côtés du Cnes, à Toulouse.

De plus, de nouveaux États développent des capacités spatiales. C’est le cas des Émirats arabes unis, avec lesquels nous coopérons et qui vont aller en orbite martienne, ou d’Israël, qui étudie l’évolution de la végétation terrestre grâce au satellite franco-israélien Venµs. Il est évident que cet effort des États profite directement au tissu industriel privé.

 

Êtes-vous toujours satisfait de la qualité de la coopération européenne?

Oui. En novembre 2019, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, a présidé le conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne à Séville, qui a fait faire à l’Europe spatiale un pas de géant! Nous avons décidé 14,4 milliards d’euros de nouveaux programmes, ce qui va nous permettre d’avancer dans les lanceurs, l’exploration et le soutien à l’industrie. Et la Commission européenne, qui, sur les sept dernières années, a mobilisé 11,4 milliards d’euros pour l’espace, va augmenter ce budget de plus de 30% !

 

Dans quelles coopérations la France est-elle investie ?

La France a la particularité d’avoir des coopérations avec toutes les grandes puissances spatiales.
- avec les États-Unis, pour l’océanographie et la conquête de Mars.
- avec la Chine, sur le changement climatique et l’exploration de la Lune.
- avec l’Inde, pour l’environnement et les phénomènes de mousson.
- avec le Japon, pour rapporter un échantillon de Phobos, l’une des lunes de Mars.
- et, avec la Russie, nous lançons les fusées Soyouz depuis la Guyane. La dernière en date, en décembre, nous a d’ailleurs permis de mettre en orbite Angels, le dernier-né des satellites fabriquées en  in France !

 

Propos de Jean Yves LE GALL
Renaud GIRARD
le Figaro 
5.2.2020

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

 

Source : www.asafrance.fr