ARMEE : Temps de travail des militaires (article du Monde)

Posté le lundi 19 juillet 2021
ARMEE : Temps de travail des militaires (article du Monde)

Un arrêt de la Cour de justice de l’UE
invalide la définition française
du « temps de travail » des militaires

 

 

Selon la justice, les militaires sont assujettis au même droit du travail que n’importe quel travailleur, sauf en opération. Une décision qui pourrait profondément remettre en cause l’organisation des services administratifs, de soutien et de santé au sein des armées, ainsi que toute la gendarmerie.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, jeudi 15 juillet, un arrêt qui pourrait profondément remettre en question l’organisation d’un certain nombre de services au sein des armées. Une décision relative au temps de travail des militaires, redoutée depuis de longs mois par l’ensemble des états-majors, et qui a tout d’une petite bombe, à l’orée des six semaines de vacances judiciaires annuelles de la cour européenne.

Dans un arrêt dévoilé jeudi, qui s’inscrit dans le cadre d’un contentieux opposant initialement un sous-officier slovène à sa hiérarchie pour le paiement de tours de garde datant de 2014, la CJUE a considéré que les « activités de garde » exercées par un militaire pouvaient en partie relever de la directive européenne sur le temps de travail. Une directive qui, elle, date de 2003 et encadre la sécurité et la santé des travailleurs au sein de l’UE.

Comme souvent dans les arrêts de la CJUE, il faut lire à l’envers. Stricto sensu, la cour a fait le choix de considérer que, de manière générale, « une activité de garde exercée par un militaire » était bien « exclue du champ d’application » de la directive de 2003Mais elle a décidé d’opposer un certain nombre de limitations. Et c’est sur ces dernières que la France se retrouve aujourd’hui prise à revers, malgré tout un plaidoyer développé ces derniers mois auprès de la CJUE et dans les médias par l’intermédiaire d’un certain nombre de personnalités pour tenter de limiter l’effet couperet de cet arrêt très attendu.

 

Exceptions


De manière globale, les activités de garde sont ainsi exclues du champ d’application de la directive sur le temps de travail, si elles relèvent de « la formation initiale », de « l’entraînement » ou si elles ont lieu en « opération », a tranché la CJUE. Les mêmes conditions s’appliqueront si ces gardes ont lieu « dans le cadre d’évènements exceptionnels » particulièrement graves, ou que la réorganisation qu’elles impliquent au vu de l’arrêt de ce 15 juillet risque de se faire « au détriment » des opérations. Mais il y aura plusieurs exceptions à ces grands principes.

Aux yeux de la CJUE, la directive sur le temps de travail devra s’appliquer aux services liés à « l’administration, l’entretien, la réparation, la santé », ou au « maintien de l’ordre » et à « la poursuite des infractions ». Ces « activités ne sauraient être exclues dans leur intégralité », insiste la cour. Ces exceptions pourraient, dès lors, directement affecter de nombreux services de soutien, le service de santé des armées ou la gendarmerie, à travers notamment la gestion des rotations des gendarmes mobiles ou les missions de la prévôté.

L’impact éventuel sur la gendarmerie est l’un des points les plus saillants de la décision de la CJUE, tant les gendarmes mobiles sont aujourd’hui un maillon-clé du maintien de l’ordre en France. Notamment en raison de leur disponibilité et des critiques qui ont pu être émises à l’encontre de leurs homologues de la police (les CRS), ou en raison de leur rôle pivot outre-mer, particulièrement sur un territoire comme la Nouvelle-Calédonie, où se profile une fin d’année sous tension en raison du référendum sur l’autodétermination prévu le 12 décembre.

« Sur l’essentiel, la France n’a pas eu gain de cause », regrettait-on jeudi soir au cabinet de la ministre des armées, Florence Parly, en expliquant que Paris défend une définition « englobante » du statut militaire et non une catégorisation par « activité », comme la CJUE. Le code de la défense, qui régit notamment le statut des militaires français, prévoit, dans son article L4121-5, que ces derniers peuvent « être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ». Le droit constitutionnel consacre également, pour le chef de l’Etat, le principe de « nécessaire libre disposition de la force armée ».

 

Une décision qui devra être transposée en droit français

 

Ce corpus juridique contrevient à l’analyse de la CJUE. La directive sur le temps de travail fixe des seuils à ne pas dépasser, tels un repos minimal de onze heures d’affilée par tranches de vingt-quatre heures ou une durée hebdomadaire maximale de travail de quarante-huit heures. A l’inverse, au ministère, jeudi soir, on faisait valoir par exemple que la disponibilité exigée des militaires était compensée, en France, par un grand nombre de jours de permission et par un droit à une retraite pleine après dix-sept ans de carrière.

Cette décision de la CJUE, qui n’est pas d’application immédiate, devra être transposée en droit français avant une quelconque traduction pratique. Un pays comme l’Allemagne – dont le rapport à la chose militaire est très différent de la France –, par exemple, applique déjà cette manière de procéder. Ces derniers mois, l’Espagne et la Slovénie avaient aussi défendu la position française auprès de la CJUE. « On est dans une phase d’analyse », indiquait-on jeudi soir au ministère des armées, où l’on ne souhaitait pas s’avancer sur d’éventuels contournements juridiques, alors que la voie est étroite.

Cet arrêt de la CJUE est le deuxième en quelques mois à tailler une encoche dans la gestion des affaires régaliennes des Etats européens, telle que considérée par la plupart d’entre eux depuis le traité de Lisbonne de 2007. En octobre 2020, à l’issue de quatre années de contentieux, la CJUE s’était déjà attaquée au champ du renseignement et des enquêtes judiciaires en décidant de limiter la conservation des données par les opérateurs de téléphonie mobile, les plates-formes et les fournisseurs d’accès à Internet. La portée de cette décision avait finalement été amoindrie par un arrêt du Conseil d’Etat, le 21 avril.

 

Elise VINCENT
Le Monde
16 juillet 2021

 Source photo : Laure Fanjeau / ASAF

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr