AFGHANISTAN : Honneur à nos 90 soldats tués et à leurs 700 camarades blessés en Afghanistan !

Posté le jeudi 19 août 2021
AFGHANISTAN : Honneur à nos 90 soldats tués et à leurs 700 camarades blessés en Afghanistan !

L’ancien aumônier militaire*, présent aux côtés des soldats français dans toutes leurs opérations extérieures pendant plus de quinze ans, rend hommage aux militaires français morts ou blessés en Afghanistan et à leurs familles.

Vous savez, vous les Français, on vous aime bien. D’ailleurs, quand on reprendra le contrôle de notre pays, vous serez les derniers que l’on tuera… » La scène se passe en 2003, nous sommes en patrouilles avec des camarades du 3e RPIMa, dans un village proche de Kaboul, réputé pour ses sympathies avec les insurgés talibans. C’est le mollah du village qui me tient ces propos, à la fin d’une discussion, où nous avions abordé les différences entre la foi des chrétiens et celle des musulmans. Nous étions assis en cercle, à l’ombre d’un énorme mûrier, dégustant le « chaï » (thé) amer avec un bonbon au miel dans la bouche… Amertume et douceur mélangées… Plus qu’un symbole, à l’heure où les talibans ont de nouveau pris le contrôle de l’Afghanistan.

Pour des milliers de militaires français qui ont été engagés sur cette terre fascinante, pour les familles et les camarades des 90 soldats français morts en Afghanistan et des plus de 700 blessés, cette lancinante question revient sans cesse depuis hier matin : pourquoi ? Pour qui ? Quel sens donner à tout cela ? Sont-ils donc morts pour rien, comme semblent le clamer tant et tant de voix depuis quelques heures ?
À vue humaine le constat est déchirant. Tant de souffrances, de peines et de sang, pour en arriver là. Oh, dans le fond, cela semble habituel : ne l’avons-nous pas déjà vécu tant de fois, nous autres militaires ? Qu’on se rappelle l’Indochine, l’Algérie, ou des guerres plus proches de nous. Cette facilité à trahir nos alliés, à les abandonner à leur sort. N’est-ce pas finalement une signature révélatrice de nos démocraties occidentales ? Et comment gagner des guerres aussi complexes en dix ou vingt ans ? Quand il y faudrait, a minima, une génération, c’est-à-dire trente ans, pour le combat des idées, pour acquérir l’adhésion profonde d’une population ! Sans compter désormais la faiblesse numérique et budgétaire des armées françaises.

Dieu sait que les militaires français sont sans doute les meilleurs au monde pour cette capacité à appréhender les populations des pays où ils interviennent, à entrer en empathie avec elles, à pratiquer le « psy-ops », comme l’appelle le jargon militaire. Mais cela a des limites quand on se heurte à une civilisation aussi ancienne (voire plus ancienne) que la nôtre, aux « valeurs » aussi divergentes des nôtres, dans un pays aussi complexe. Surtout encore faudrait-il que l’on sache exactement quelles sont ces « valeurs » que nous portons à coups de bombardements, d’opérations militaires, de morts et de blessés, d’emprisonnement. Sommes-nous, Occidentaux, si sûrs de l’universalité de nos « valeurs » que nous semblions pouvoir tout nous permettre pour les imposer à des pays, des civilisations, des cultures différentes ?

Ces constats sont cruels. On aurait pu espérer au moins que la parole des chefs d’état-major des armées successifs fasse entendre un point de vue divergent, quelques rappels à la raison face aux politiques. Dans le fond, ce qui dérange le plus nos politiques, c’est la honte que leur renvoient en miroir les 90 militaires français, morts sur leur ordre, en Afghanistan. Leur pusillanimité. Au-delà des paroles de circonstances, leur distance envers les « valeurs » intrinsèques portées par les armées. La légèreté avec laquelle ils engagent ces hommes et ces femmes d’exception sur telle ou telle opération pour combattre le terrorisme islamiste. Voilà ce que leur renvoient nos morts d’Afghanistan. La classe politique française est engoncée dans ses certitudes matérialistes.
À l’opposé, quelle fierté d’appartenir à cette grande famille militaire à laquelle je dois tant et d’avoir côtoyé, durant tant d’années sur tant de théâtres d’opérations, ces hommes et ces femmes militaires d’exception, grands par leur engagement, malgré tout ce que je viens d’exposer plus haut, au service de leur patrie et de leurs concitoyens. À eux, aux familles de nos morts, je crie haut et fort : « Non, rien de rien, non je ne regrette rien. »

Soyons fiers de leur engagement, soyons fiers de leurs vies et de leurs morts. Ils se sont donnés jusqu’au bout, pour ce en quoi nous croyons encore : vérité, beauté, courage, honneur, fierté, grandeur incomparable de la France et de son histoire, amitié, dépassement, altruisme, service, héroïsme, sacrifice. Et nous essaierons d’être à la hauteur de leurs exemples.

Christian VENARD*
Ancien aumônier militaire
Source : Le Figaro
18 août 2021

* Auteur, avec le journaliste Guillaume Zeller, de « Un prêtre à la guerre. Le témoignage d’un aumônier parachutiste », (Tallandier, coll. Texto, 2019).

 

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